Chronique d’une pauvre en galère

La violence faite aux pauvres à Saint-Paul

12 octobre 2013

Depuis 15 jours, Marie n’a plus d’électricité. Ce n’est pas la première fois. Mais, avant, elle arrivait à « trouver l’argent » pour rétablir l’électricité. Pas cette fois. Alors, elle demande de l’aide aux institutions, qui la renvoient de service en service ; et aux élus, qui ne la considèrent pas.

Des centaines de milliers de Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté.
(photo Toniox)

Une jeune femme est arrivée à l’Espace Citoyen de Saint-Paul pour rencontrer le Conseil municipal des Pauvres. Nous l’appellerons Marie. C’est un prénom d’emprunt, bien sûr. Car Marie a peur. Elle ne veut pas qu’on puisse la reconnaître ; surtout pas la mairie. Elle a peur des représailles. Mais elle veut témoigner de ce qu’elle a subi pendant 15 jours.

Marie a les lèvres pincées. Elle parle fort. Elle parle sec. Ses mots sont presque violents. Mais au bout de quelques minutes, elle s’adoucit, elle sourit même. On comprend alors que si elle paraît dure et violente, c’est pour cacher l’effort qu’elle fait et le courage qu’elle prend pour s’adresser à nous. Lorsqu’elle comprend qu’on l’écoute vraiment, alors elle se détend et elle s’autorise à dialoguer sereinement.

Une commerçante dont la situation financière se dégrade rapidement

Marie est pacsée à son compagnon. Ils ont 4 enfants. Marie est commerçante, à titre individuel. « C’est pour ça qu’on s’est pacsé, pour qu’il travaille légalement avec moi dans le commerce, en tant que conjoint-collaborateur. J’ai toujours travaillé dans la légalité ». Mais comme beaucoup d’entrepreneurs, le couple ressent les effets de la crise. Marie est bientôt contrainte de diminuer son activité au minimum, car elle n’a plus les moyens de payer les fournisseurs. Même son comptable finit par l’abandonner avant de clore son bilan.

Le CCAS de Saint-Paul l’envoie au Conseil général... qui la renvoie au CCAS !

Le 11 septembre [comme le prénom, les dates sont fictives], EDF coupe l’électricité de son appartement, à cause d’un impayé de 350 euros.

C’était un mercredi, se souvient Marie, le jour où les enfants étaient à la maison. Ce n’était pas la première fois que l’électricité était coupée. Dans l’engrenage des revenus jamais suffisants, Marie fait des choix de dépenses et essaie de « tirer au maximum » pour avoir un semblant de vie normale. Mais, avant, elle arrivait à « trouver l’argent » pour rétablir l’électricité. Pas cette fois. Alors, elle décide de demander de l’aide aux institutions.

Le lendemain, jeudi 12 septembre, elle prend son courage, met son orgueil de côté et prend le taxi pour se rendre au CCAS de la Mairie de Saint-Paul. Le personnel qui la reçoit lui indique que le CCAS ne peut rien dans son cas. Il faut qu’elle se rende, l’après-midi, à l’antenne Ouest du Conseil général.

Ce n’est pas très loin, sur le front de mer en face du marché forain. Marie s’y rend comme indiqué. Elle s’entend alors répondre : « Le Conseil général ne peut pas débloquer le FSL, car l’électricité est déjà coupée. Il faut retourner voir le CCAS ». Sinon, « [elle peut] aussi voir l’assistance sociale du Conseil général de Plateau Caillou, mais que lundi matin, car [Marie n’est] pas une priorité ».

C’est vrai que l’électricité n’est coupée que depuis 1 jour ; que la nourriture du réfrigérateur et du congélateur n’a pas encore eu le temps de pourrir ; que les enfants peuvent faire leur devoir à la bougie comme dans le temps lontan … Rien d’urgent.

De retour au CCAS, le personnel lui « ouvre un dossier ». Marie n’ose pas demander pourquoi cela n’avait pas été fait plus tôt au lieu de l’envoyer au Conseil général pour rien, ni ce qui a changé pour que ce qui était impossible le matin devienne possible l’après-midi.

MM. Melin et Sini donnent de faux espoirs

Lundi suivant, le 16 septembre, Marie rencontre le conseiller général Monsieur Jean-Claude Melin. Devant Marie, ce dernier appelle le CCAS qui affirme que la situation sera débloquée dans la semaine.

Jeudi, sans nouvelles, Marie ne veut pas passer le week-end sans électricité. Elle se tourne alors vers un autre conseiller général qui, dit-on, a les faveurs de la présidente : Monsieur Joseph Sinimalé. Et c’est vrai qu’il prend les choses en main, et pour faire accélérer le dossier, « Monsieur Sini fait un courrier qu’il faxe devant moi à la présidente du Département ».

Mais toujours rien. Et le week-end passe sans électricité pour la famille de 4 enfants.

Lundi 23 septembre, Marie appelle le CCAS qui lui indique que « le dossier est en cours de traitement, il faut rappeler dans l’après-midi ou le lendemain, mardi matin ».

Mercredi 25, sans nouvelles, Marie se rend au CCAS qui lui indique que sa demande « est à la signature à la mairie depuis lundi ». Ni une, ni deux, Marie se rend à la mairie pour savoir ce qui se passe avec son dossier ; elle demande à rencontrer la maire.

Il faut 3 jours à Madame Leveneur pour autoriser une aide d’urgence

Marie se souvient de ce que lui a dit Madame Huguette Bello pendant la campagne municipale, en 2008 : « Aujourd’hui je ne peux rien pour vous, mais quand je serai maire, je ferai pour vous ». Marie était bien décidée à lui rafraîchir la mémoire. Le vigile lui a interdit l’accès au bureau de la députée-maire. Marie est rentrée chez elle dans un état moral que sa pudeur interdit d’évoquer ici.

Pour beaucoup, les courses se résument aux produits alimentaires de base des Réunionnais. Le plaisir de la diversification reste utopique.
(photo Toniox)

Jeudi après-midi, Marie appelle une nouvelle fois le CCAS, qui lui informe que l’autorisation est arrivée de la mairie : elle peut venir vendredi matin.

Marie apprend alors que ce délai est le lot quotidien du CCAS, car la moindre autorisation nécessite de passer par 3 bureaux hiérarchiques, et c’est Madame Leveneur qui décide en dernier. De plus, le directeur du CCAS a changé 7 fois depuis Mme Bello, actuellement, c’est un intérimaire qui assure la direction.

Après 17 jours sans électricité, selon le CCAS de Saint-Paul, Marie doit patienter inutilement encore 4 jours

Vendredi 27 au matin, Marie est aux premières heures au CCAS de Saint-Paul. Les employés lui remettent quelques bons “énergie” de 50 euros, pour payer EDF… Mardi suivant ; car EDF au Port ne reçoit pas les règlements avant !

Ce matin du 27 septembre, un membre du Conseil municipal des Pauvres, présent à l’Espace Citoyen de Saint-Paul, lui a proposé de l’emmener payer sa facture à EDF Saint-Denis. En complétant les bons du CCAS, elle a pu faire rétablir son électricité.

Ce parcours du combattant se termine finalement bien pour Marie. Mais quel parcours ! Quelles épreuves a-t-elle dû subir : les aller-retour entre les services, les déplacements en taxi, les demandes humiliantes aux élus, aux administratifs… Enfin a-t-elle eu au moins la satisfaction d’y voir une issue positive. On le sait, ce n’est pas le cas de tout le monde.

Le 1 er Conseil municipal des Pauvres de Saint-Paul

Tribune libre

L’anxiété de l’endettement et le désespoir peuvent ouvrir la porte à la permissivité… et rendre malade

Marie est une femme, digne petite commerçante, qui a subi pendant 17 jours les affres de l’administration ; celle que connait tout pauvre qui demande de l’aide au CCAS. Elle nous donne généreusement l’occasion d’illustrer à quel point la pauvreté est anxiogène.

La demande d’aides auprès des institutions est un véritable parcours du combattant pour les pauvres.
(photo CF)



L’affaire se termine bien pour Marie. Cette fois-ci. Sans électricité, suite à une coupure pour un impayé d’environ 200 euros, elle a reçu, au bout de 17 jours, d’une aide de la part du CCAS. Nous souhaitons qu’à l’avenir, Marie bénéficie, du fruit de son travail, des revenus nécessaires à sa vie familiale et à l’éducation de ses enfants. Dans son histoire, Marie avait de quoi compléter l’aide du CCAS pour régulariser sa situation auprès d’EDF, ce qui a permis le rétablissement de son électricité.

Que se serait-il passé s’il lui avait manqué encore 50 euros pour combler sa dette ? EDF, une fois l’électricité coupée, exige le paiement intégral de la dette avant le rétablissement de l’électricité.

Cela faisait 17 jours que Marie vivait sans électricité, en appartement, avec son mari et ses enfants. Cela faisait 17 jours qu’elle s’est déshumanisée, gommant tout son amour propre, pour s’humilier à demander de l’aide au CCAS. C’est comme cela qu’elle l’a vécu. Elle qui, jusqu’à maintenant, avait réussi à s’en sortir par elle-même. Cela faisait 17 jours qu’elle était trimbalée de service en service, d’élu en élu, d’agent administratif en assistante sociale.

Imagine-t-on le mépris et la violence du traitement que subissent les pauvres qui demandent une aide institutionnelle d’urgence ? Peut-on imaginer la violence que cela serait si après le parcours qu’elle a vécu, elle n’obtenait pas le rétablissement de son électricité, faute de 50 euros ?

Durant ces 17 jours, Marie aura « compris comment certains passent à la violence », dit-elle timidement.

Je dirai davantage : si l’issue n’avait pas été si favorable, il n’aurait pas fallu s’étonner que d’autres, en pareil cas, se soient « débrouillés pour trouver les 50 euros manquants »  :

- Subtiliser seulement un ordinateur, un Smartphone ou quelques bijoux dans une villa qui semble héberger des gens qui ont les moyens de s’en racheter, ce n’est pas ça qui va bouleverser le monde ; ils pourraient être généreux, eux.

- Extorquer le fonds de caisse d’un commerçant pas protégé ne va pas le ruiner, après tout, je lui en donne quasiment tous les jours de l’argent à ce commerçant ; ce serait justice.

- Un mauvais moment tarifé passé avec un inconnu, finalement, ne serait pas si cher payé pour retrouver un minimum de confort social. Ce serait qu’une fois. Personne ne saura.

L’anxiété de l’endettement associée au désespoir de ne voir aucune perspective positive ouvrent la porte à des pensées permissives. Les plus fragiles passeront à l’acte. Les autres somatiseront, ils développeront les maladies du stress.

Et les élus continueront de « traiter des dossiers » au lieu d’œuvrer à abolir l’extrême pauvreté.

Pourtant, c’est possible. Y compris avant 2015.

Philippe Yee Chong Tchi Kan,

Chargé des OMD, Comité de l’Appel de l’Ermitage

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