Derrière la “guerre des chiffres”

La vision politique d’un développement durable

27 juillet 2004

Quel est le taux de chômage à La Réunion ? Celui donné par l’ANPE ? Celui fourni par l’INSEE ? Les systèmes de comptabilisation diffèrent, sur arrière-fond politique. Mais il n’en reste pas moins vrai que l’avenir ne s’annonce pas de façon résolument optimiste. Des facteurs extérieurs peuvent jouer en défaveur de La Réunion. Et la population active va augmenter...

Dans son édition de vendredi dernier, “le Quotidien” montre la divergence existant entre l’INSEE et l’ANPE, tant sur la situation du chômage à La Réunion que sur son évolution. L’institut chargé de la statistique donne un nombre total de chômeurs plus important que celui recensé par l’agence de l’emploi. L’évolution dans le temps fait aussi différence, l’ANPE considérant qu’il y a une baisse du nombre de demandeurs d’emplois alors que l’INSEE évoque plutôt une hausse du taux de chômage.
Le journal du Chaudron donne ce qui semble bien être l’explication de base à une telle divergence : les deux organismes n’usent pas des mêmes méthodes de recensement. Si l’INSEE fait référence à la définition du BIT (bureau international du travail) du chômeur, l’ANPE, elle, ne comptabilise que le nombre de demandeurs d’emploi recensés sur ses fichiers et ce, suivant des critères et des catégories qu’elle définit.
À cela, “le Quotidien” ajoute d’autres considérations plus pratiques dont l’attitude généralement adoptée par bon nombre de chômeurs qui, découragés parce qu’ils ne trouvent pas du travail par le biais de l’ANPE, ne font plus les démarches pour rester sur la liste des demandeurs.

Arrière-fond politique

"Annoncer que le chômage baisse ou monte n’a rien d’innocent", écrit le journal du Chaudron. Le débat a des arrière-fonds politiques. Gérant directement l’ANPE, l’État peut en modifier, à tout moment, ses méthodes de recensement pour utiliser toute annonce de diminution à la gloire de sa politique sociale. “Le Quotidien” rappelle que Brigitte Girardin, se basant sur les chiffres de l’ANPE, se vantait d’une baisse du chômage outre-mer. Enfin, nous ne devons pas oublier la récente polémique ayant opposé le ministre de l’emploi et l’INSEE en matière d’emploi.
La divergence que souligne “le Quotidien” rappelle la polémique qui a opposé, il y a peu, le ministre de l’emploi et l’INSEE sur la situation du chômage et son évolution en France, l’institut donnant des résultats allant dans le sens contraire de celui du gouvernement.
Il reste que l’évolution constatée par l’ANPE pose problème. La diminution de 10.093 demandeurs d’emploi constatée ne signifie pas que ces 10.093 personnes ont trouvé de quoi satisfaire leur besoin sur le marché de l’emploi. “Le Quotidien” recense toute une série de situations expliquant la variation constatée d’une année sur l’autre.

Quelle baisse ?

Il apparaît cependant que la raison principale de l’évolution constatée résulte de la mise en œuvre d’un nouveau mode opératoire que signale le journal du Chaudron. Depuis 2002, un nouveau traitement statistique est appliqué : des radiations administratives sont appliquées, d’autres le sont au titre de "l’absence de contrôle". Ces dispositions ont contribué à faire chuter les chiffres du chômage en métropole pour l’année 2003. Le gouvernement a dû l’admettre.
En Martinique, le syndicat CDMT-ANPE a contesté les dernières déclarations de Brigitte Girardin sur la baisse du chômage en rappelant que depuis janvier 2004, 9.570 demandeurs d’emploi ont été radiés pour absence au contrôle et 1.318 au titre de radiations administratives. “Le Quotidien” donne le chiffre de 4.500 radiations administratives ou pour absence de contrôle à La Réunion sur une année, chiffres qui sont bien en deçà de ceux produits en Martinique. C’est cependant sur le long terme qu’il faut porter son appréciation et voir comment évolue le chômage.
La progression démographique, combinée à un accès de plus en plus important des femmes arrivant sur le marché du travail, a contribué à élargir le nombre des personnes en activité. En moyenne, cette population active s’est accrue de 7.161 personnes par an entre 1982 et 1999, note l’IEDOM dans son rapport sur l’année 2003. L’institut d’émission note que "dans le même temps, l’accroissement de la population active ayant un emploi s’établissait en moyenne à 3.062 personnes par an, soit un déficit annuel en termes d’emploi de plus de 4.000 personnes".

Population active

C’est sans doute là la donnée essentielle : il manque chaque année, en moyenne, 4.000 emplois à La Réunion pour satisfaire toutes les demandes. L’IEDOM écrit : "En conséquence, le taux de chômage n’a jamais cessé de monter depuis 20 ans, au point de dépasser la barre des 40% vers la fin de l’année 97. Sur une période plus récente, l’amélioration du marché de l’emploi a été nette : entre 2001 et 2002, la population active employée, mesurée au sens du BIT, a progressé de 9.102 personnes quand l’ensemble de la population active n’augmentait que de 3.429 personnes. Le taux de chômage est ainsi redescendu à 31% en 2002 (l’enquête INSEE est réalisée au second semestre) avant de remonter à 32,9% en 2003. Cette situation entraîne également une précarité élevée, puisque 24% des familles dépendent directement ou indirectement du revenu minimum d’insertion contre 3% en métropole, même si les revenus tirés du travail informel viennent parfois alléger leurs situations financières".
Selon l’IEDOM, il est incontestable, par ailleurs, que ce sont les interventions importantes des fonds publics qui permettent de stabiliser la situation. "L’importance des fonds publics mobilisés (3 milliards d’euros sur la période 2000-2003, sous forme d’investissements en provenance de l’Union européenne, de l’État ou des collectivités) vise à combler les handicaps structurels de l’île et favoriser les développements et créations d’emploi", écrit l’institut.

Pessimisme

C’est en fonction de ces données qu’il convient d’apprécier les évolutions récentes du marché de l’emploi à La Réunion. Or, même si la loi programme a “perfectionné” certains dispositifs (comme celui de la défiscalisation), force est de constater que la diminution de la contribution de l’État au financement des emplois dits aidés (suppression des emplois-jeunes, baisse de la participation pour les CES...) ainsi que le gel de crédits - dont ceux consacrés à la Ligne budgétaire unique - ont joué en défaveur de l’emploi.
Enfin, les perspectives laissent place plus au pessimisme qu’à l’optimisme.
Dans une étude prospective portant sur la période 2000-2030, soit à un moment où La Réunion aura atteint le million d’habitants, l’INSEE estime que la population active réunionnaise devrait augmenter de 46% en passant de 303.000 à 441.000. Ces 140.000 personnes actives supplémentaires viendraient s’ajouter aux 100.000 chômeurs recensés dans l’île. C’est donc un total de 240.000 emplois qu’il y a à créer entre 2000 et 2030, "c’est-à-dire doubler l’emploi actuel, pour, en même temps, ramener le chômage à un niveau acceptable", commentait alors le directeur de l’INSEE.

Doubler

Rappelons que l’emploi est à son niveau actuel en raison de deux facteurs : les interventions massives des fonds publics, comme nous le rappelons un peu plus haut, et une politique de mobilité. Il est clair que pour "doubler l’emploi actuel", il faudrait d’autres moyens, c’est-à-dire un véritable développement durable. Or, le temps mais aussi des facteurs extérieurs - non ou mal maîtrisés - peuvent jouer contre La Réunion.
Exemple : le projet de réforme de l’OCM-Sucre pourrait se traduire par une catastrophe sociale si les Réunionnais n’obtiennent pas tous les moyens de sauver leur filière canne !

D. B.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus