Des entreprises privées peuvent suivre des demandeurs d’emploi

Le chômeur : une source de profit

25 juillet 2006

L’arrivée d’entreprises privées concurrentes de l’ANPE va-t-elle faire diminuer le chômage ? Où n’est-ce pas plutôt un moyen de détourner une grande partie des cotisations payées par les travailleurs et les employeurs vers des actionnaires qui pourront toucher sans risque le pactole ?

Le 5 juillet dernier, l’UNEDIC a pris la décision d’étendre partout une expérimentation, celle concernant l’aide à la recherche d’emploi des chômeurs de longue durée par des entreprises privées. Jusqu’alors, cette mission de service public était officiellement assurée uniquement par l’ANPE. Quel est l’intérêt de cette mesure pour les plus de 90.000 demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE en mai 2006 selon le Bulletin travail-emploi-formation de la Direction du Travail de La Réunion ?
Pour Christophe Queland, syndicaliste CGTR à l’ANPE, un suivi par le privé n’est pas a priori à rejeter si cela permet à un chômeur de retrouver plus rapidement un travail durable. Mais le syndicaliste pointe du doigt des effets pervers qui pourront aggraver la situation de ceux qui sont déjà dans la plus grande précarité. N’est-ce pas une manière de diviser les chômeurs en 2 catégories ?
On aura alors d’un côté une minorité sur laquelle on concentre les efforts pour les aider parce qu’ils ont le potentiel de revenir rapidement à la vie active, ce seront ceux qui seront choisis par les entreprises privées. Et de l’autre, les plus précaires qui devront se partager la misère des moyens restants, c’est-à-dire ceux qui, dans l’état actuel de la société, sont obligés de se contenter au mieux un contrat “aidé”. Déjà frappés par la violence de la privation d’un travail, la faiblesse du montant de l’indemnisation et la pénurie d’emploi, ces Réunionnais seront encore davantage exclus de tout si la vigilance décline.

Au moins 5 fois plus pour le privé

Sur la forme, Christophe Queland note que l’on ne veut pas rendre compte des véritables résultats de l’expérimentation. Car agences de “placement” privées et ANPE ne sont pas dès le départ sur le même pied d’égalité.
Tout d’abord, les entreprises privées peuvent choisir le demandeur d’emploi qu’elle veulent suivre. Premier concerné, le chômeur ne décidera pas. Si on se fie à un contrat signé entre une entreprise australienne, Ingéus, et l’UNEDIC (1), la société privée reçoit 2.800 euros par chômeur pris en charge, 300 euros s’y ajoutent quand le travailleur retrouve un emploi, puis 600 si l’entreprise garde l’ancien chômeur pendant 3 mois, et 600 euros de plus au bout de 6 mois d’embauche. Total : 4.300 euros si un chômeur décroche un CDD de plus de 6 mois. Dans ces conditions, on peut avancer que si elle le peuvent, les entreprises privées devenues concurrentes de l’ANPE vont se contenter de sélectionner les chômeurs qui ont le plus de chance de trouver rapidement un travail afin d’empocher le pactole. Christophe Queland donne comme fourchette comprise entre 3.200 et 6.000 euros débloqués par l’UNEDIC pour qu’une entreprise privée suive un chômeur, et compare cette somme aux 650 euros par demandeur d’emploi qui sont versés à l’ANPE pour faire le même travail.
Ce qui est plus difficile à avaler, c’est que ces sommes allouées au privé proviennent des cotisations, c’est-à-dire que l’argent prélevé sur le salaire des travailleurs va dans des caisses d’agences de placement contrôlées par des personnes qui sont là avant tout pour rentabiliser leur investissement. Et Christophe Queland d’affirmer qu’avec les mêmes moyens que ce que l’UNEDIC donne au privé, l’ANPE pourrait sans doute en faire autant.

Solidarité cassée

Tout ceci ne va pas dans le sens de la solidarité entre travailleurs salariés, demandeurs d’emploi et employeurs. Pour le représentant de la CGTR-ANPE, ce sont les chômeurs qui sont les plus précaires, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de diplôme et pour qui la vie est une bataille quotidienne pour survivre, qui ont besoin de davantage de moyen que les autres pour trouver un travail. "Celui qui est sur un métier porteur, qui a un niveau de formation adapté retrouve par lui-même du travail", précise le syndicaliste.
Mais la réforme actée par le Conseil d’administration de l’UNEDIC va dans l’autre sens, celui qui cherche à casser la solidarité. Faire entrer la course au profit financier dans le service public d’aide à la recherche d’emploi, c’est risquer d’enterrer ceux qui sont déjà au fond du gouffre en leur montrant qu’ils appartiennent à une catégorie condamnée à vie aux revenus minimums.

Manuel Marchal

1) “L’UNEDIC offre 200 millions d’euros aux nouveaux marchands de chômeurs”, “Le Canard enchaîné” du 12 juillet 2006.


Réactions

o Jean-Hugues Ratenon, Président du collectif Agir Pou Nout Tout

"... il faut privilégier le service public"

Cette stratégie qui consiste à aller vers les boîtes privées pour réduire le chômage, c’est d’une inefficacité aujourd’hui révélée. À La Réunion, c’est un problème différent. Ici, c’est un problème de pénurie de travail. On ne va pas aider les personnes à chercher un travail qui n’existe pas. Ce qu’il faut retenir, c’est que dans le domaine du logement, du travail et de la santé, il faut privilégier le service public. On ne peut pas marchander des services qui touchent la population, qui la concernent directement. C’est de la responsabilité de l’État. Que dois-je encore dire, sinon que c’est beaucoup de dépenses pour rien. Et cela pose surtout la question de la compétence de ce gouvernement pour gérer le problème de l’emploi.

o Jean-Pierre Técher, Directeur de l’association Agir Contre le Chômage, Président du Collectif de Lutte contre l’Exclusion

"... l’UNEDIC engraisse des sociétés sur le dos des chômeurs"

Cette solution d’insertion est inefficace dans sa globalité. C’est la preuve que la baisse du monopole de l’ANPE coûte cher à l’État, pour des résultats faibles comparés à ceux annoncés. Ainsi, l’État prend l’argent des contribuables, salariés et employeurs pour soi-disant la mise en place de dispositifs, cela à coup de renfort publicitaire pour dire qu’il intervient en matière d’emploi. Le résultat, nous le voyons. L’UNEDIC engraisse des sociétés privées qui se partagent le pactole. C’est une aberration dans la gestion de l’UNEDIC, mais surtout dans la gestion de l’emploi en général. Moi, ce que je déplore, c’est la victimisation des demandeurs d’emplois. Et pourquoi ? Pour 1, 3 ou 6 mois de travail. Travailler 6 mois, 3 mois ou encore pire, 1 mois, ne fait d’une personne un salarié. Il faut dire que tout ce qui a été fait depuis une vingtaine d’années en matière de lutte contre le chômage est exactement à l’antipode de ce qu’il faut pour en venir à bout. Pendant ce temps, l’UNEDIC engraisse des sociétés sur le dos des chômeurs.


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