À propos d’une ordonnance du gouvernement

Le Contrat “nouvelles embauches” respecte-t-il le droit européen ?

23 juillet 2005

Le Contrat “nouvelles embauches” est-il légal au regard des engagements internationaux de la France ? À cette question, “l’Humanité” d’hier donne quelques réponses qui sont autant d’arguments à utiliser par ceux qui peuvent être sous la menace de ce type de contrat que le gouvernement s’apprête à vouloir imposer par ordonnance. Ci-après l’article de “l’Humanité”.

(pages 4 & 5)

Le Contrat “nouvelles embauches” est-il légal au regard des engagements internationaux de la France ? L’ordonnance qui met en place le CNE soulève plusieurs questions. D’abord, celle du motif du licenciement. La convention de l’Organisation internationale du travail du 23 novembre 1985 oblige en effet l’employeur à donner un "motif valable" au licenciement. La Charte sociale européenne (une charte du Conseil de l’Europe) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union interdisent de leur côté le licenciement "sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise" ou "injustifié". Ce sont des traités internationaux signés par la France, ils s’imposent donc en droit interne, et peuvent être mobilisés devant les tribunaux.

Discriminations

La seconde question concerne le principe d’égalité, un des droits fondamentaux défendus par les traités européens (lire à ce sujet “Contrat nouvelles embauches et droit communautaire”, par Katell Berthou, dans la Semaine sociale Lamy, nº1224, 18 juillet 2005). L’article L. 122-45 du Code du travail, qui doit beaucoup au droit de l’Union européenne, interdit toute forme de discrimination (fondée sur le sexe, l’âge, l’origine...) en matière d’embauche, d’évolution de carrière ou de licenciement. Le projet de CNE ne protégeant pas contre ces discriminations, les salariés devront vérifier a posteriori si leur licenciement comporte ou non des éléments qui laissent supposer l’existence d’une discrimination.
Plus intéressant encore, on peut recourir au concept de discrimination indirecte, issu lui aussi de la jurisprudence communautaire : on parle de discrimination indirecte quand un critère d’apparence neutre désavantage particulièrement une catégorie par rapport à une autre. Le CNE est un bon exemple : il soustrait aux règles du licenciement des salariés appartenant aux entreprises de 20 salariés et moins, dans lesquelles les femmes sont statistiquement plus représentées que les hommes. D’apparence neutre, il désavantage donc les femmes par rapport aux hommes.

“Modèle” britannique épinglé

En 1999, la Cour de justice des communautés européennes a eu à statuer sur une affaire qui concernait une loi britannique similaire au Contrat “nouvelles embauches” (voir encadré) . Dans son Arrêt, elle a estimé que si les statistiques indiquaient qu’un pourcentage considérablement plus faible de femmes que d’hommes atteignait la durée d’activité nécessaire pour bénéficier d’une protection contre le licenciement abusif, alors la discrimination indirecte fondée sur le sexe était établie. Ce concept, encore peu mobilisé devant les tribunaux français, offre pourtant un outil intéressant pour faire reculer les discriminations et peut pousser les employeurs à adopter des pratiques plus responsables. Ce qui n’est évidemment pas l’objectif du gouvernement, estime “l’Humanité”.


Arrêt Seymour-Smith et Perez

En septembre 1999, la Cour de justice des communautés européennes rendait une décision concernant deux licenciements en Grande-Bretagne.

Mme Seymour-Smith a commencé à travailler le 1er février 1990 en tant que secrétaire pour Christo & Co. et a été licenciée le 1er mai 1991. Le 26 juillet 1991, elle a saisi l’Industrial Tribunal au motif qu’elle avait été licenciée de façon abusive par ses anciens employeurs.
Mme Perez a commencé à travailler pour Matthew Stone Restoration Ltd le 19 février 1990 et a été licenciée le 25 mai 1991. Le 19 juin 1991, elle a saisi l’Industrial Tribunal d’une demande pour licenciement abusif contre ses anciens employeurs.
Dans son Arrêt, la Cour de justice des communautés européennes dit que "Dans l’hypothèse où un pourcentage considérablement plus faible de travailleurs féminins que de travailleurs masculins serait en mesure de remplir la condition de deux années d’emploi imposée par la règle décrite au point 3 du dispositif, il incombe à l’État-membre, en sa qualité d’auteur de la règle présumée discriminatoire, de faire apparaître que ladite règle répond à un objectif légitime de sa politique sociale, que ledit objectif est étranger à toute discrimination fondée sur le sexe et qu’il pouvait raisonnablement estimer que les moyens choisis étaient aptes à la réalisation de cet objectif".


Les chômeurs, cibles du gouvernement

Parmi les autres projets du gouvernement : sanctionner davantage les chômeurs pour que ces derniers soient plus facilement prêts à accepter n’importe quel travail.

Le gouvernement a transmis jeudi pour avis aux partenaires sociaux le projet de décret sur le contrôle des chômeurs. Celui-ci prévoit une gradation des sanctions et donne aux ASSEDIC le pouvoir de suspendre les allocations à titre provisoire.
Ce décret sur le "suivi de la recherche d’emploi" stipule que les demandeurs d’emploi sont "tenus d’accomplir de manière permanente des actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise". Il précise que ces démarches doivent présenter un "caractère réel et sérieux" apprécié "compte-tenu de la situation du demandeur d’emploi et de la situation locale de l’emploi". Alors qu’actuellement, les sanctions ne peuvent être qu’une suspension temporaire ou définitive des allocations, elles seront désormais graduées selon la gravité et la fréquence du manquement.
Le refus sans motif légitime d’une offre d’emploi conduira par exemple à une réduction de 20% des allocations pour une durée de deux à six mois s’il revêt un caractère isolé, et à une réduction de 50% pour une durée de deux à six mois, voire à une suppression définitive, s’il est répété. Désormais, les ASSEDIC, et non plus seulement l’État, pourront "à titre conservatoire" décider de suspendre ou de réduire le versement des allocations, mais seulement dans les cas où le demandeur d’emploi n’aura pas répondu à une convocation ou aura fraudé.
Les premiers syndicats à réagir ont émis des avis partagés sur le détail de ces dispositions. "Nous sommes opposés à ce que les ASSEDIC siègent dans une commission qui pourra sanctionner les chômeurs. Le rôle des ASSEDIC est d’indemniser, elles ne doivent pas être à la fois juge et partie, le risque étant qu’on cherche à réaliser des économies en sanctionnant les chômeurs", a estimé Jean-Claude Quentin (FO). FO est également opposé à la gradation des sanctions, qui est un moyen de "rétablir la notion de dégressivité des allocations", à quelques mois du début de difficiles négociations sur l’assurance-chômage.
Pour leur part, la CFE-CGC et la CFTC se montrent plutôt favorables au texte du gouvernement. Par exemple, la CFTC justifie sa position en estimant qu’"il y a une possibilité de recours et une limite dans le temps des sanctions".


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