Grèves dans les centrales du Gol et de Bois-Rouge

Le “dialogue social” a du plomb dans l’aile

26 novembre 2004

Deux responsables syndicaux accusés de vol convoqués par les gendarmes, et 25 salariés qui comparaissent aujourd’hui au tribunal de Saint-Pierre pour ’occupation illégale d’un site protégé’. À part cela, rien de nouveau dans le conflit du Gol et de Bois-Rouge.

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En apparence, ça va mieux. La production d’électricité a été rétablie suite aux réquisitions du préfet. La production de vapeur pour la sucrerie du Gol permet d’envisager la fin de la campagne sucrière de manière plus sereine. Mais tout n’est pas réglé pour autant, loin s’en faut.
Hier matin, dans une conférence de presse tenue à l’entrée de la centrale thermique du Gol, la CGTR a tenu à faire le point sur la situation, histoire de rappeler que le conflit était toujours en attente d’une solution négociée.
D’entrée de jeu, Patrick Hoarau, secrétaire général de la CGTR-EDF, rappelait l’historique de ce conflit, histoire de montrer où se situent les responsabilités de chacun. Cela commence par une bataille pour l’application du statut des Industries électriques et gazières, applicable aux personnels des centrales du Gol, de Bois-Rouge et du Moule, en Guadeloupe : trois établissements dépendants de la Séchilienne-Sidec, maison-mère dont le siège social est à Paris.
Suite à ces batailles, un document final est signé en février 2004 à Paris entre la direction, les représentants du personnel des différents sites, et la fédération CGT des Mines et de l’Energie. Dans ce document, il est acté, entre autres points, l’attribution d’une prime pour "travaux pénibles et salissants", en application du statut dont relève le personnel.
Le temps s’écoule, et devant ce qu’elle qualifie de "diversions de la part de la direction", la CGTR lance un préavis de grève le 28 août 2004. Le 20 septembre, après bien de tergiversations, un protocole de fin de conflit est signé entre la CGTR, la direction, représentée par un envoyé spécial de la maison-mère, en présence du directeur du Travail.
Ce protocole, rappelle Patrick Hoarau, stipule que "la PERS 96 (NDLR : note relative à la prime en question) est applicable à nos établissements". Il est également prévu la mise en place d’un groupe de travail paritaire chargé de régler les "modalités d’application des indemnités de travaux pénibles et salissants". Il est également prévu dans ce protocole le versement, à titre d’acompte, d’une prime forfaitaire de 1.800 euros sur la paie de septembre, en attendant l’application définitive de cette prime prévue pour le 31 décembre 2004.
Or, le 19 octobre, dans un courrier de la direction nationale adressé aux responsables CGTR des sites de Bois-Rouge et du Gol, on assiste à un revirement de situation. La direction estime que cette prime n’est pas "statutaire" et n’a donc pas lieu d’être versée. Et dans la foulée, elle réclame le remboursement des 1.800 euros d’acompte déjà versés.

"Nous sommes des gens responsables"

Ce retournement de situation amène les responsables syndicaux à multiplier les courriers à l’adresse de la direction nationale, de la direction du Travail, de la préfecture et de la DRIRE. Pour demander que soit respecté le protocole signé le 20 septembre.
"La direction s’appuie sur des appréciations, avec des formules du genre “il semble que” pour revenir sur sa décision. Nous lui disons : prouvez-nous qu’il existe un texte stipulant que cette prime n’est pas statutaire", lance Patrick Hoarau.
À l’inverse, la CGTR s’appuie sur une circulaire du secrétariat d’État à l’Industrie, en date du 9 juillet 1999, fixant les modalités d’augmentation de cette prime. "Pour nous, la question est donc réglée, il existe bien un texte de base pour l’application de cette prime", estime le secrétaire général de la CGTR-EDF.
Réquisitionnés, assignés en justice, accusés de vols, les salariés du Gol estiment que trop c’est trop. "Aujourd’hui, nous sommes montrés du doigt. On parle de prise d’otages. Mais personne n’est intervenu quand nous avons écrit aux autorités pour l’informer du fait que la direction ne respectait pas le protocole du 20 septembre qu’elle avait signé", rappellent les grévistes.
Pour les salariés du Gol, parler de "sabotage" comme l’a fait Jean-Luc Cousin, directeur du site, relève de la diffamation. "Nous sommes des gens responsables, et nous l’avons démontré. S’il y avait eu sabotage comme le dit M. Cousin, vous croyez qu’on aurait pu redémarrer la centrale aussi rapidement et fournir, dans l’heure, de la vapeur à l’usine sucrière ?" interrogent les responsables CGTR du Gol.

“Service public” : seulement pendant la grève

Au passage, ils rappellent que s’ils n’avaient pas fait preuve de responsabilité face à la direction qui est revenue sur sa signature, "tout aurait été arrêté". D’ailleurs, ajoutent-ils, depuis bientôt un mois, c’est toute une tranche de production d’une puissance de 30 mégawatts qui est arrêtée pour des raisons techniques, mais personne ne s’est inquiété alors des délestages et la notion de “service public” n’est curieusement apparue qu’avec la grève...
Patrick Hoarau et ses camarades rappellent également que la réquisition du préfet faisait état de la nomination de deux médiateurs issus de la DRIRE et de l’inspection du Travail.
Or, pour la CGTR, les discussions qui ont eu lieu mercredi à Bois-Rouge et au Gol montrent qu’à l’évidence, les directions des deux sites ne souhaitent pas l’intervention de ces médiateurs.
"Après avoir soutenu que la prime n’était pas applicable, on nous dit maintenant qu’elle pourrait être accordée, mais à une minorité du personnel. Et encore, pour cela, elle nous demande de signer un document prévoyant la mise en place d’un service minimum en cas de conflit. À quoi nous répondons d’accord, mais cela doit être débattu dans le cadre d’autres instances de discussion et ne doit en aucun cas être un préalable".

Une provocation

Visiblement, les salariés du Gol entendent ne plus être sur la défensive et faire entendre leur voix. D’autant qu’aujourd’hui, 25 salariés sont convoqués au tribunal par la direction pour "occupation illégale d’un site protégé". Une assignation vécue comme une véritable provocation par les intéressés.
"C’est une atteinte à notre honneur et à notre dignité", déclarent certains d’entre eux qui font remarquer que des personnes absentes ont été assignées, alors que des personnes présentes ne l’ont pas été.
Hier, pendant la conférence de presse tenue à l’entrée du site, certains faisaient remarquer que pour un "site protégé", on "entre comme dans un moulin", comme en témoignaient les allées et venues de plusieurs dizaines de véhicules entrant et sortant sans véritable contrôle...

S. D.


Du monopole public au monopole privé

C’est dans l’air du temps. Le libéralisme outrancier voue aux gémonies le “monopole public” et ne se lasse pas de vanter les bienfaits de la concurrence dont, cela va de soi, vous et moi, en bons cons-sommateurs, serons les premiers gagnants.
Sitôt les chaudières de la centrale arrêtées pour cause de grève, EDF se fendait d’un communiqué dans lequel il était question de "mission de service public". Pourtant, depuis le 30 octobre, la centrale du Gol ne fournit plus que 27 mégawatts au lieu des 60 produits en temps normal.

Ce "problème technique", qui a conduit à des délestages discrets, a été géré "an misouk" alors que dans le même temps, la consommation atteignait des pics de l’ordre de 370 mégawatts. On était alors à la limite extrême de la production. Mais personne n’en a jamais rien su.
En fait, le conflit a permis de mettre en exergue un problème qui dépasse largement les enjeux sociaux entre direction et syndicats. Ce conflit agit également comme un révélateur en mettant en évidence la dépendance d’un service public de l’énergie... de moyens de productions privés.
En se retirant du capital des centrales du Gol et de Bois-Rouge, et en s’engageant à acheter la totalité de la production de ces centrales, EDF se désengage de la production. De fait, on passe d’un monopole public tant décrié à un monopole... privé.


Deux graves précédents

Mine de rien, ce conflit qui touche la centrale thermique du Gol risque de marquer un tournant dans l’histoire sociale de notre île et ce pour deux raisons. En premier lieu, il y a les réquisitions ordonnées par le préfet.
C’est la seconde fois en quelques semaines que cette mesure d’exception est appliquée. D’abord dans le conflit de la clinique de Sainte-Clotilde. Ensuite au Gol. Il s’agit là d’une décision lourde de conséquences pour l’avenir, avec un risque de jurisprudence. À chaque fois, c’est toujours dans "l’intérêt du service public" dont on semble se souvenir qu’il est si important en cas de conflit, alors que par les temps qui courent, le service public, dans son ensemble, dispose de moins en moins de moyens pour faire face à ses missions. On en veut pour preuve le manque de personnel dans l’ensemble des services de l’État...
De plus, ces réquisitions interviennent "au nom du service public", mais dans le cadre d’un conflit privé, sans que l’on note le même zèle de la part des autorités pour "booster" le dialogue social. Un détail qui n’a pas échappé aux responsables syndicaux dans les conflits en cours...
En second lieu, la dénonciation unilatérale du protocole du 20 septembre signé pourtant sous les auspices de la direction du travail, sans que cette dernière ne bronche, crée également un précédent grave. Dans le cas de Bois-Rouge et du Gol, tôt ou tard, un autre protocole de fin de conflit interviendra. Que vaudra alors la signature de la direction ?
Dans son courrier adressé aux salariés en grève du Gol et de Bois-Rouge, le préfet écrit : "Je vous demande donc d’adopter une attitude responsable en reprenant dès aujourd’hui le dialogue social. Le directeur du travail avec le concours du directeur régional de la DRIRE, assurera le cas échéant une médiation dans ce conflit (...)". Or, trois jours après ces belles paroles, alors que les négociations achoppent toujours, on ne voit toujours pas poindre le moindre médiateur à l’horizon.
D’autre part, on peut aussi se poser logiquement la question : puisque l’on prône tant le dialogue social, puisque l’on fait appel "à une attitude responsable", pourquoi ne pas avoir pris les devants, alors que l’on savait pertinemment depuis un moins qu’un conflit était imminent ?
Ce n’est pas faute d’avoir tiré le signal d’alarme. "Les personnels des centrales ne sont pas d’accord avec la remise en cause du protocole du 20 septembre et vous sollicitent afin d’intervenir avant qu’un nouveau conflit éclate", écrivait, le 10 novembre dernier, Patrick Hoarau, secrétaire général de la CGTGR-EDF à Serge Leroy, directeur du Travail.
Peut-on, logiquement faire “zorèy koshon dan’ marmite poi” pour, 15 jours plus tard venir faire la leçon de demander "d’adopter une attitude responsable en reprenant dès aujourd’hui le dialogue social" ?


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