Cours de cassation : Un arrêt reconnaît le droit de licencier pour sauvegarder la compétitivité

Le licenciement économique sans cause économique est possible

16 janvier 2006

Dans un arrêt rendu mercredi, la Cour de cassation reconnaît la possibilité pour les entreprises de procéder à des licenciements économiques au motif de ’la sauvegarde de la compétitivité’, avant la survenue de difficultés financières éventuelles. Si l’arrêt de la Cour de cassation fait jurisprudence, le licenciement économique peut être possible alors qu’une entreprise n’est pas en difficulté économique à la date du licenciement.

La Cour de cassation a rendu, mercredi, un arrêt qui va permettre aux entreprises d’ordonner des licenciements économiques sans avoir à invoquer des difficultés financières immédiates. C’est ce qu’écrit “Le Monde” dans son édition de samedi. "L’un des derniers verrous de la protection des salariés a sauté avec l’arrêt rendu, mercredi 11 janvier, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, présidée par Pierre Sargos. Assortie des mesures de publicité qui lui donnent une valeur de référence, cette décision risque de modifier profondément les dispositions du Code du travail sur la justification économique des plans sociaux", notait samedi notre confrère.

118 travailleurs licenciés

L’affaire jugée en dernier ressort par la Cour de cassation concernait un plan de réorganisation intervenu, en novembre 2001, dans la société Pages jaunes, éditrice d’annuaires téléphoniques. C’est une filiale à 54% de France Télécom.
Selon “Le Monde”, invoquant la concurrence introduite par l’arrivée d’Internet, l’entreprise avait proposé une modification de leur contrat de travail à 930 de ses salariés. Sur les 930 personnes, 118 avaient refusé les nouvelles dispositions, estimant qu’elles allaient se traduire par une baisse de leur rémunération de l’ordre de 10 à 20%. Ces récalcitrants avaient subi un licenciement économique, contesté devant les tribunaux par un certain nombre d’entre eux.

"Prévenir des difficultés économiques à venir"

Alors que plusieurs procédures sont toujours en cours, les Cours d’appel de Montpellier et de Grenoble avaient donné raison aux salariés. Celle de Dijon avait en revanche rejeté les requêtes d’une quarantaine d’entre eux. Confrontée à ces 2 arrêts, la Cour de cassation a tranché en faveur de l’entreprise.
Dans son interprétation de "la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise" - un des critères invoqués pour justifier les procédures collectives de suppressions d’emplois -, la Cour de cassation a considéré que les réorganisations pouvaient intervenir "pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences pour l’emploi, sans être subordonnées à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement".

Revirement de jurisprudence

Il s’agit là d’un revirement de jurisprudence. Car jusqu’à présent, la Cour de cassation considérait le licenciement comme l’ultime recours lorsque l’entreprise était confrontée à des difficultés économiques.
"La plupart des arrêts rendus s’inspiraient de la jurisprudence constante établie par Henri Waquet, prédécesseur de Pierre Sargos à la tête de la Chambre sociale", précise “Le Monde”, "selon laquelle le licenciement doit être envisagé en dernier recours par les entreprises en difficulté". C’est d’ailleurs ce qu’affirme l’article du Code du travail qui régit le licenciement économique (voir encadré) .
Or, selon “Le Monde”, lors du lancement de la procédure de licenciement contestée devant les tribunaux, la société Pages jaunes était toujours bénéficiaire. D’ailleurs Pages Jaunes est "implantée en France, en Belgique, au Luxembourg et au Liban, continue d’éditer 67,7 millions d’annuaires téléphoniques pour un chiffre d’affaires de 984 millions d’euros, en hausse de 6,3% au troisième trimestre 2005 et qui a enregistré un résultat net en augmentation de 19%". Elle est donc loin de connaître des difficultés économiques.


De réelles difficultés pour les salariés

À peine publiée, cette décision suscite des interprétations diverses. "Les entreprises auraient tort de se réjouir trop vite. Si les patrons considèrent qu’ils vont bénéficier d’une ouverture totale pour licencier, ils risquent la désillusion", note Me Rachid Brihi, avocat associé au cabinet Grumbach spécialisé dans la défense des salariés. Selon lui, en effet, le texte est "en harmonie avec la nouvelle loi du 18 janvier 2005 qui institue l’obligation d’une gestion prévisionnelle des emplois pour prévenir les plans sociaux. Pour licencier, les entreprises vont devoir justifier des évolutions technologiques, invoquer des causes réelles et sérieuses et proposer des mesures de reclassement en conséquence", précise-t-il.
Avocate des ex-salariés des Pages Jaunes, Me Hélène Masse considère qu’il s’agit "d’un arrêt mort-né". "La nécessité d’anticiper les conséquences sociales des mutations technologiques pourrait rendre caduc le contenu de la décision de la Cour de cassation". Même si, reconnaît-elle, son interprétation ouvre la voie à de réelles difficultés pour les salariés.

(Source “Le Monde”)


Ce que dit le Code du travail

Le licenciement : la dernière extrémité

La partie législative du Code du travail définit comme suit le licenciement pour motif économique (Article L321-1).

"Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées à l’alinéa précédent.
Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises".

(Source Légifrance)


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