Philippe Ribac aux “Rencontres de Bellepierre”

« Le parler urbain : un moyen de lutte »

6 mars 2008

Le 6 février dernier, le cycle de conférences intitulé “Les Rencontres de Bellepierre” - consacré cette année à “la ville” - a vu deux intervenants évoquer le thème des “Parlers jeunes, parlers urbains”. Avant Gudrun Ledegen, sociolinguiste, maître de conférences à l’Université de La Réunion, Philippe Ribac, étudiant en prépa HEC au lycée Bellepierre, est intervenu sur le thème suivant : “Ce que le parler urbain veut dire, ce qu’il veut dire de la condition urbaine, ce qu’il veut dire de la condition humaine”. Voici le texte qui a servi de support à cette communication de Philippe Ribac.

Philippe Ribac. « Le parler urbain exprime l’envie de s’affirmer en cette société, de se faire entendre et reconnaître ».

La parole est l’expression de l’homme et l’expression permet le dévoilement partiel de l’être. Le parler urbain gagnerait donc en sens à être appréhendé comme expression urbaine. Une partie de la population, éprise au sein d’une atmosphère banlieusarde bouillonnante d’énergie, n’hésite pas à dévoiler en toute franchise et sans retenue aucune le nombre incalculable de ses facettes. Il ne s’agit pas d’une parade, ni d’un spectacle, nous avons affaire à la mise en exergue d’une véritable condition humaine.
Le parler urbain, revisité en tant qu’expression, joue alors le rôle de symbole ; il est représentation et a l’art de mettre en évidence des caractéristiques particulières relatives à la population urbaine : il lui donne un sens. Que nous exprime-t-il donc ? qu’est-ce qu’il veut dire ?

Le parler urbain en tant qu’expression de la différence

Caractérisé par une forme de langage très spécifique, le parler urbain comporte tournures, expressions toutes faites et mots nouveaux. S’il est évidemment basé sur le français, il se différencie de ce dernier, et c’est donc en ce premier point qu’il est expression de la différence.
Les jeunes, dans leur banlieues, s’ils ont recours au verlan, et je dirai même plus au verlan de la langue française, soulignent la distance qu’ils prennent par rapport à la culture dominante.
Cela permet aussi de mettre en valeur une certaine originalité. Mais en allant plus loin on peut dire aussi que vouloir se différencier peut être perçu comme un rejet de la culture dominante. Le parler urbain serait donc réaction et avènement d’une contre-culture (si ce n’est évoquer le langage argotique : l’argot est rejet, l’inverse du politiquement correct).
Par ailleurs, le parler urbain exprime le désir de former un groupe qui voudrait brandir une véritable identité. On évoque par là l’idée de vouloir se protéger de l’extérieur, qu’on définirait comme agresseur. Le parler urbain serait donc expression d’une peur ressentie, et donc d’un désir d’identité d’un groupe soucieux de son intégrité. Il peut alors être perçu comme repli sur soi.
On peut troisièmement considérer le jeu de la provocation, mettre en valeur des particularités, employer des phrases chocs. Le parler urbain exprime l’envie de s’affirmer en cette société, de se faire entendre et reconnaître. C’est donc un moyen de lutte contre ce qui est ressenti comme une ignorance, voire un mépris.
Ces trois visions convergent vers une question que nous nous devons de poser. Le parler urbain, expression de la différence à première vue, ne révélerait-t-il pas aussi, ou plutôt, l’idée d’un mal-être en la société ?

La condition urbaine

Si le parler urbain est expression d’une véritable condition urbaine, qu’en dit-il ?
La condition urbaine porte en elle une indéniable dynamique ; il n’y a point de condition urbaine sans activités, sans aléas, sans mouvements des êtres. Le parler urbain exprime ce premier trait de la condition urbaine, il gagne en vitesse, en rapidité, il suit le rythme, le flow comme on dit en Rap, avec des mots qui sont de plus en plus simplifiés.
De plus, il n’y a point de condition urbaine non plus sans cadre particulier. Ici nous évoquons les villes périphériques, les banlieues et leurs bâtiments cubiques aux fenêtres carrées et loggias - qui n’ont plus rien à voir avec celles d’Italie -, cachées en effet de moitié par les paraboles grisâtres, usées par le temps, pointant désespérément vers le ciel, dans l’espoir d’un salut prochain.
Le “paysage urbain”, très technique, très segmenté, est à l’origine d’une atmosphère où l’être est obligé de vivre en compagnie de la technique, vivre “techniquement”. Le parler urbain est technique, mécanique, segmenté, il montre que l’être est face à cette obligation, presque une nécessité qu’il subit.
Et pourtant, en même temps, il s’en détache et crée autre chose. Ce qui conduit à une autre petite remarque pour clore cette partie. C’est de dire que le parler urbain, parce qu’il exprime la condition urbaine de certains urbains, est une façon de faire remonter leurs maux, souvent inconscients, et faire par conséquent, efficacement ou pas, leur propre thérapie.

Le parler urbain comme expression des origines

Le parler urbain fait selon moi office de véritable transition. Il exprime un passage ; il est à la fois revendication des origines et expression de la situation actuelle. Il est synthétise culture originaire et actuelle culture banlieusarde, renouvelée.
Le parler urbain rassemble la volonté de revendiquer d’où l’on vient et l’affirmation de qui l’on est actuellement.
Il garde toute sa légitimité, par le fait qu’il insiste sur l’importance des origines de l’homme. S’il semble à ce point provocateur, s’il irrite profondément certains individus, c’est aussi parce qu’il puise toute sa puissance dans les origines.

Le parle urbain, une expression qui s’universalise

Parlons de tous ces nouveaux moyens de communication - le langage SMS, Internet, Messenger... - qui permettent donc au parler urbain de s’étendre considérablement.
Mais n’a-t-on pas affaire aussi à une véritable usure du mot, raison courante de la stigmatisation du parler urbain, qui selon un premier point de vue tendrait à s’effondrer ?
Le parler urbain, par ces nouveaux moyens de communication, s’effriterait du fait de ses mots qui s’usent et qui perdent en sens. La transmission rapide des messages expliquerait ce fait qu’ils perdent en sens, en richesse, la vitesse altère les parlers et notamment le parler urbain.
Langage SMS est rapide, simple, efficace, instantané ; mais que dire de riche, de pertinent dans l’instantané ? Rien ! « - Oui, tu fais quoi ? - Rien, et toi ?... ».
Cependant, nous pourrions aussi dire que les NTIC, véhiculant les mots et universalisant le parler urbain, permettent quand même une certaine montée en puissance de ce dernier.
Assistons-nous par conséquent à une l’émergence, avec le langage urbain, d’un nouveau langage, ou à la mise en péril de ce dernier ?
D’autant qu’il n’est plus réservé à la population urbaine, comme des patois locaux, nous constatons aujourd’hui qu’il s’étend en particulier à toute une jeunesse. On peut se demander si la question portant sur l’origine de l’être à présent urbain ne passe pas en un second plan, au profit de l’idée de rébellion et de l’affirmation outrancière du moi.

Conclusion

Je dirai que l’extension du parler urbain constitue un processus qui finira peut-être par dénaturer le langage. Aujourd’hui, si l’urbanité porte en elle une énergie véritable, chose que l’on ne peut pas nier, son mode d’expression est plus difficilement caractérisable, définissable.
Si le parler urbain est issu de certaines oppositions culturelles, il devient culturel lui-même et il est plus sensible au processus d’uniformisation, qui le réduira peut-être.


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