Le Président Macron doit revoir sa copie au sujet de La Réunion

27 novembre 2018, par André Oraison

Dans des « Tribunes libres » publiées dans la presse locale et sur les réseaux sociaux depuis le début de la présente année, nous avons mis en garde le Président de la République sur les conséquences qui résulteraient de sa politique résolument antisociale et de son matraquage fiscal qui pèse sur les classes les plus défavorisées de la nation. Mais le Président jupitérien n’a rien voulu entendre. Après dix-neuf mois d’exercice du pouvoir, exercé en solo depuis le palais doré de l’Élysée, les résultats catastrophiques sont au rendez-vous. La France peut être comparée à un bateau ivre, semblable au Titanic, qu’un jeune pilote autant inexpérimenté que psychorigide s’obstine à diriger dans le brouillard et sur une mer houleuse vers des icebergs de plus en plus gigantesques.

Plus de responsabilités pour les élus des Réunionnais, ce serait un des moyens d’aller vers la sortie de crise.

Si la situation est aujourd’hui fortement dégradée dans la France hexagonale, elle est franchement effrayante dans les collectivités territoriales ultramarines et notamment à La Réunion dont les habitants se retrouvent quasiment au bord du gouffre. La révolte des « gilets jaunes » – une révolte au demeurant pacifique – est là pour en témoigner. Si rien n’est fait pour redresser la situation, quelle assurance avons-nous que demain les Réunionnais ne se retrouveront pas au fond d’une fosse abyssale ?

En vérité, tout a été mis en œuvre par le pouvoir central pour assurer la paupérisation de La Réunion en cautionnant les bas salaires dans le secteur privé, en accroissant le nombre de personnes qui vivent au-dessous du seuil national de pauvreté – 42 % des Réunionnais survivent en effet avec moins de 1 000 euros par mois – et en faisant grimper, en parallèle, le chômage et notamment celui des jeunes.

Les contrats aidés ont été massivement supprimés, mettant aussitôt les collectivités territoriales de La Réunion et notamment les communes en difficulté au plan financier et dans l’impossibilité de mener à bien toutes leurs obligations de service public de proximité. Les aides sociales ont été revues à la baisse dans tous les secteurs, notamment l’aide personnalisée au logement (APL), les allocations familiales et les pensions de retraite. La revalorisation de ces prestations n’interviendra qu’au 1er janvier 2019 et elle ne le sera qu’au taux fixe de 0,3 % en 2019 et en 2020, alors même que l’inflation pourrait atteindre plus de 2 % dès la fin de la présente année 2018 (d’après les statistiques de l’INSEE). Ce sont donc ceux que le Président appelle les « derniers de cordée » – désignés comme boucs émissaires – qui, à ce titre, devront payer les pots cassés de son incapacité à juguler l’érosion monétaire et à faire progresser la croissance économique. L’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 % depuis le 1er janvier 2018 frappe également lourdement les retraités qui, par définition, sont des personnes âgées, des personnes à la santé fragile, notamment à La Réunion, et plus encore des citoyens humiliés dont la plupart perçoivent des pensions dérisoires quand elles ne sont pas franchement indécentes.

Le pouvoir central a également remis en cause le dispositif d’abattement de l’impôt sur le revenu – un abattement de 30 à 40 % selon les territoires ultramarins – dont bénéficient, depuis 1960, les contribuables domiciliés dans les départements périphériques en compensation de la cherté de la vie qui ne cesse pourtant d’augmenter. Dans la foulée, il envisage maintenant, toujours sans état d’âme, de réduire fortement le montant des pensions de réversion qui profitent surtout aux veuves, des personnes qui ont eu le tort – selon ce pouvoir aveugle – de rester à la maison pour s’occuper de leur progéniture.

Dans ce contexte de matraquage fiscal déjà réalisé ou programmé, la hausse rapide des prix des carburants et la politique correspondante de hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), sous le prétexte fallacieux qu’il faut freiner la consommation des énergies fossiles et réussir la transition écologique, ont été les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase.

En renforçant la pression fiscale sur les Réunionnais, après avoir porté atteinte à leurs acquis sociaux alors même que, d’après l’INSEE, le coût de la vie est de 12 % en moyenne plus élevé à La Réunion que dans la France hexagonale, le pouvoir macronien a fortement entamé leur pouvoir d’achat et ralenti de manière sensible, par ricochet, les activités économiques dans ces territoires qui sont déjà, pour la plupart, dans un coma social prononcé. En d’autres termes, le Président des riches a mis en place une départementalisation au rabais ou départementalisation « low cost » en Guadeloupe, à Mayotte et à La Réunion et dans les deux autres collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution : la Guyane et la Martinique. Manifestement, l’Outre-mer n’est pas sa tasse de thé. Le sort des Français ultramarins le laisse totalement indifférent. À cet égard, il faut le dire et le répéter : les responsables de la casse de l’outil de travail à La Réunion ne sont pas les petits malfrats qui pillent les magasins la nuit – des jeunes désœuvrés qu’il ne faut pas confondre avec les « gilets jaunes » – mais bien le Président Emmanuel Macron et son Gouvernement qui font preuve, depuis maintenant dix-neuf mois, d’incompétence notoire, d’amateurisme et même de cynisme dans la gestion à l’aveuglette de la France.

Désormais, nous devons tous nous considérer comme des « gilets jaunes » à La Réunion, même si on ne possède pas de véhicule ! Il faut qu’il en soit ainsi si l’on veut que notre île ne tombe pas dans un gouffre sans fond. Les Réunionnais – des protestataires lucides, responsables et déterminés – doivent enfin être écoutés et pris au sérieux par les pouvoirs publics et notamment par la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, une personne largement responsable de la situation présente. Plus encore, les Réunionnais doivent présenter au Gouvernement, par le biais du préfet, des « cahiers de doléances » dans lesquels doivent être énumérées toutes les mesures qui les pénalisent et notamment toutes celles qui ont été prises depuis le 14 mai 2017, la date à partir de laquelle s’exerce le pouvoir macronien.

Cependant, à notre humble avis, le but ultime à atteindre n’est pas seulement de revenir sur le matraquage fiscal des Réunionnais les plus modestes et sur toutes les mesures antisociales que nous venons de dénoncer et qui pourraient très bien être financées par le rétablissement de l’impôt sur la fortune qui frappait les grands amis de Macron (les « premiers de cordée ») et rapportait près de 5 milliards d’euros par an au budget de l’État. L’objectif ultime doit être beaucoup plus prospectif quand on songe aux prochaines générations. Dès lors que le système en vigueur est manifestement « à bout de souffle », il apparaît logique et urgent de changer de logiciel à La Réunion à travers trois réformes qui nous paraissent élémentaires sans être pour autant révolutionnaires.

Pour une réforme institutionnelle

1) Il faut d’abord créer le congrès des élus départementaux et régionaux qui a été institué dans les départements français d’Amérique (DFA) régis par l’article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Guyane et Martinique) afin qu’une telle structure puisse proposer des réformes d’ordre statutaire jugées indispensables pour lutter contre le chômage et mettre en œuvre l’égalité réelle à La Réunion.

2) Pour des raisons évidentes d’efficacité, de visibilité et plus encore d’économie, il faut également réaliser le plus tôt possible la fusion de la région et du département de La Réunion – un réforme institutionnelle qui est expressément autorisée par l’article 73 de la Constitution, dans son alinéa 7. Il convient ici ce préciser que cette réforme structurelle a déjà été mise en œuvre avec succès en Guyane et à la Martinique depuis le 1er janvier 2016.

3) Il faut enfin supprimer l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution – le fâcheux « amendement Virapoullé » – qui empêche La Réunion et uniquement La Réunion de disposer d’un pouvoir législatif et règlementaire par habilitation, selon le cas, du Parlement ou du Gouvernement dans des matières, certes non régaliennes, mais hautement stratégiques comme, par exemple, l’éducation et la culture, la fiscalité locale, l’énergie, les transports publics des passagers et des marchandises, sans oublier bien sûr l’emploi et tout particulièrement l’emploi des jeunes Réunionnais de moins de 25 ans.

Sans les réformes fiscales, sociales et institutionnelles ainsi énumérées ou suggérées, on peut être certain que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Plus encore, on peut même craindre le pire pour La Réunion.

André Oraison, Professeur des Universités, Juriste et politologue

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