
Les chômeurs n’ont nul besoin d’« incitations au travail »
Le revenu de solidarité active favorise-t-il la lutte contre le sous-emploi ?
29 décembre 2007

« La majorité des érémistes n’attend qu’un emploi pour sortir de l’assistance », titrait le “Monde” du 12 décembre 2007, à propos d’un sondage (1) commandé par Martin Hirsch, le haut-commissaire aux solidarités actives. Seulement voilà... Ce sondage ne va pas dans le sens des mesures actuellement proposées, dont le revenu de solidarité active (RSA) destiné à compléter les ressources des salariés pauvres à temps très partiel en faisant l’hypothèse que cela est essentiel pour “inciter” les chômeurs à accepter un job.
Premier problème. Lorsqu’on demande aux érémistes sans emploi quelle est la principale difficulté qu’ils rencontrent pour trouver un emploi, ils répondent très majoritairement que c’est parce qu’on ne leur en propose aucun, ou que leurs candidatures ne sont pas retenues (34%), ou parce que ceux qu’on leur propose ne conviennent pas (27%). Ce qui crée le chômage, c’est avant tout le manque d’emploi, pas le manque de volonté des chômeurs, on l’oublie parfois.
Deuxième problème. Parmi ceux qui déclarent que les emplois proposés ne conviennent pas, il y a un groupe très important (38 %) qui concerne des emplois trop peu payés pour que le bénéficiaire du RMI soit sûr d’y gagner, ou des emplois impliquant des dépenses supplémentaires (transport, gardes d’enfants) qui coûteraient autant que ce qu’on peut gagner. Ce sont donc des emplois dont on ne peut pas vivre décemment. Le RSA va encourager leur progression, alors que cette progression est déjà impressionnante, comme l’indiquent deux faits parmi d’autres.
1. Les emplois à domicile de “services à la personne” ont connu une expansion spectaculaire. On arrive en 2006 à un total de 1,46 million, hors “assistantes maternelles”. Un million d’emplois ajoutés en 12 ans !
Extraordinaire succès dans la lutte contre le chômage ? Pas vraiment... Car le chiffre clé de ces données est le suivant : 1,46 million ne représente que 445.000 équivalents temps plein. En moyenne, les personnes employées dans ces activités, très majoritairement des femmes, travaillent 40 heures par mois, environ 10 heures par semaine, le plus souvent au SMIC ou très près. Elles gagnent en moyenne 350 euros par mois, moins que le RMI (440 euros pour une personne seule). On ne peut pas parler d’emploi. Ce sont le plus souvent (il existe des exceptions) des petits boulots dont on ne peut pas vivre. Ce sont eux que le RSA va subventionner, en venant s’ajouter aux cadeaux fiscaux pour les ménages employeurs.
2. Le “sous-emploi”, au sens de l’INSEE, correspond au cas de personnes qui ont un emploi à temps souvent très partiel, qui souhaiteraient travailler plus d’heures, et qui seraient prêtes à le faire : en tout 1,44 million de salariés en 2007, plus de 200.000 de plus qu’en 2003. Or, entre ces deux dates, selon les chiffres rectifiés par le collectif ACDC (http://acdc2007.free.fr/escamota.pdf), le nombre de chômeurs a été réduit d’environ 280.000. La montée du sous-emploi équivaut à près des trois quarts de la réduction du chômage !
La perspective offerte aujourd’hui à la plupart des chômeurs est de tenter de passer du chômage, dont on vit mal, à un emploi, dont on ne peut pas vivre. Faut-il que le travail leur importe pour qu’ils continuent activement à en chercher dans ces conditions, ce qu’ils font dans leur grande majorité.
Troisième problème : les incitations comptent peu.
En réponse à la question « De quoi auriez-vous le plus besoin pour pouvoir travailler ? », assortie d’une liste d’une dizaine de motifs possibles, on trouve, en tête, le besoin de moyens de transport (20%), d’une formation (16%), d’un suivi médical (11%). Viennent ensuite, nettement derrière, le besoin de conseils et de relations personnelles (8%) et celui d’une incitation financière (8%). Une belle gifle pour les économistes libéraux qui expliquent le chômage par l’absence d’incitations financières conduisant à la formation de “trappes”, où les gens se réfugient volontairement dans l’assistance.
Les érémistes et les chômeurs n’ont pas besoin d’“incitations au travail”. Il faut créer de vrais emplois, correctement rémunérés. Si, en France, la durée effective moyenne de travail passait de 38 heures par semaine, chiffre actuel, à 33,7 heures, comme en Norvège (Alternatives économiques, hors-série, 2e trim. 2007), avec une réduction des écarts entre ceux qui en font trop et ceux qui n’en ont pas assez, il existerait une marge de création d’emplois permettant d’aboutir à un quasi plein-emploi de bonne qualité.
On pourrait alors parler de “solidarité active”. On nous propose exactement la voie inverse, en appelant ceux qui sont déjà à temps plein, parfois trop plein, à “travailler plus”, et en subventionnant tous azimuts les petits boulots précaires et le sous-emploi, c’est-à-dire le “travailler très peu”.
(1) Résultats en ligne sur www.grenelle-insertion.fr.
Jean Gadrey, économiste, Professeur à l’Université de Lille
Signaler un contenu
Un message, un commentaire ?
Témoignages - 80e année


Hommage à Sudel Fuma et aux veilleurs de mémoire
9 juillet, parDimanche 13 juillet 2014, Sudel Fuma, historien réunionnais nous quittait des suites d’un accident en mer. La nouvelle fut un choc pour tous. Sa (…)

Le Sénat veut évaluer le coût de toutes les énergies
9 juilletLes débats sur la place à accorder aux énergies renouvelables sont vifs au parlement et au sein du gouvernement, notamment avec l’examen par la (…)

Proposition de LFI de désarmer les policiers est une mesure « hors-sol » pour Fabien Roussel
9 juilletInvité sur France 2, le secrétaire national du Parti Communiste Français est opposé au projet de loi visant à élargir les compétences des (…)

« Demoune parèss i sof solèye a longuèr d’zourné. »
9 juillet, parMézami zordi lo tan lé mossade.La fré i trape aou dsi lé z’antournir.Tazantan in pti srin d’plui i glass aou ziska lo zo…Sé l’èr pou rèv bann (…)

Réforme de l’administration territoriale de l’État : François Bayrou veut renforcer le rôle des préfets
9 juilletLe premier ministre, François Bayrou, s’est exprimé devant les préfets de régions et de départements, ainsi que les secrétaires généraux des (…)
+ Lus

Ecobank Group et Google Cloud annoncent un partenariat pour accélérer l’inclusion financière et l’innovation à travers l’Afrique
3 juillet, parLes technologies de Google Cloud renforceront la plateforme d’Ecobank pour améliorer la banque digitale, le soutien aux petites et moyennes (…)

Une nouvelle prison au Port : une hérésie !
3 juillet, parUne information récente communiquée par le ministre de la Justice Gérald Darmanin concerne la création de nouvelles prisons sur l’ensemble du (…)

Développement durable menacé : le sommet de Séville ravive l’espoir et l’unité
7 juillet, parLa conférence historique sur le financement du développement à Séville s’est conclue avec un sentiment renouvelé de détermination et un accent mis (…)

Contre une réforme déconnectée des réalités réunionnaises
3 juillet, parLa FSU Emploi Réunion tient à rappeler que la mise en œuvre des programmes de transformation de France Travail, issus de la loi Plein Emploi, ne (…)

Surpopulation carcérale : des propositions faites qui ne convainc pas
4 juilletAu 1er juin, les chiffres du ministère de la Justice ont établi à 84 447 personnes détenues pour 62 566 places. La surpopulation carcérale (…)

Mayotte : une loi de refondation sans ambition ni justice sociale
3 juillet, parAlors que Mayotte subit un enchevêtrement de crises - pauvreté structurelle, dégradation des services publics, conséquences dramatiques du cyclone (…)