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Les espoirs trompés d’un accidenté du travail

Témoignages à l’attention de Martin Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté

9 février 2008

A 40 ans sonnés, Pascal Dérosier a du mal à remonter la pente après un accident du travail qui l’a laissé partiellement handicapé et qui reste une embûche dans ses recherches d’emploi, encore 5 ans après.
Qui n’a pas vu sa “gueule de pirate”, employée comme telle dans “Vendredi”, le film de Yves le Moine, où il a fait avec d’autres Réunionnais non professionnels une figuration remarquée ? Grande gueule, généreux, d’une volonté inébranlable, il va frapper à toutes les portes quand il veut aboutir à quelque chose, interpelle tout le monde, remue ciel et terre... Il n’est pas de ceux que le chômage fait rentrer dans sa coquille. Et pourtant... il juge, d’après son expérience, que « l’assistanat, c’est le système qui le fabrique ».

Pascal Dérosier a du mal à remonter la pente après un accident du travail.
(Photo PD)

Originaire de La Rochelle, Pascal Dérosier est arrivé à La Réunion il y a 12 ans. Armé d’un CAP de cuisine et d’un CAP d’électricité, il a fait une tentative de création d’entreprise de courte durée, avant de tâter de plusieurs métiers.
Il a eu un accident du travail dans le Bâtiment un jour de 2002. Il en garde une hernie discale, non reconnue comme maladie professionnelle. « J’ai fait toutes les demandes. Dans certains cas d’accident, on peut recevoir des indemnités mensuelles. Mais moi, je suis trop handicapé pour être embauché et pas assez pour avoir droit à cette indemnité. Trop jeune et pas assez handicapé pour avoir droit à l’AH ». A 41 ans, une attestation Cotorep le reconnaît handicapé à 30% et il perçoit 511 euros tous les 3 mois. Il n’aurait pas droit au RMI parce que sa compagne travaille 20 heures par mois...
« Je ne trouve pas normal qu’il n’y ait pas une Caisse pour ce type de situation », dit-il en évoquant son opération du dos qui s’est, dit-il, « mal passée ». C’était dans une clinique privée dionysienne.
Récemment, il a entrepris de passer les tests de Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), parce qu’il voudrait continuer plutôt dans les activités culturelles et d’animation, en particulier avec les jeunes enfants.
Son autre passion, c’est le cinéma... Mais comment porter ce rêve quand la famille vit avec environ 725 euros par mois ?
« On ne sort plus. Ou alors, pour pique-niquer dans le petit parc voisin. Et de temps en temps, mais assez rarement, on retrouve des copains comme lors d’une sortie qu’on a faite un week-end de janvier, à Langevin (Saint-Joseph) ».
Heureusement qu’il avait payé sa voiture avant l’accident. La vieille guimbarde roule toujours.

« J’ai pas un caractère à déprimer... »

Pour s’occuper, il a créé une association des supporters de Saint-Etienne et s’est mis à l’écriture d’un scénario, pour un film dont il serait l’auteur-réalisateur-interprète, aidé d’une équipe qui devrait compter 9 rôles principaux, tous Réunionnais. Parmi eux, « un membre d’une jeune troupe de comiques coachés par Jean-Laurent Faubourg, Les Goyaves, qui interviendrait elle aussi ». Pascal Dérosier a des contacts avec l’acteur Alex Gador et d’autres acteurs rencontrés sur les tournages auquel il a lui-même participé, “Vendredi” et “Les Mariés de l’Isle Bourbon”. « C’est du 200% local. Je veux montrer à l’extérieur la mixité de La Réunion - les couleurs, les races, les religions mélangées - le patrimoine et les paysages. Ce serait un film à faire sortir à l’extérieur, pour faire revenir les touristes ». Ce dernier projet a été déposé à l’ADCAM, dont il a obtenu une aide à l’écriture, et Pascal Dérosier cherche un producteur. Mais là aussi, il n’est pas au bout de ses peines. « Je n’ai pas droit à d’autres aides parce que c’est un premier scénario... C’est comme tout... Si on n’a pas le permis, on ne peut pas bosser ; si on ne peut pas bosser, on n’a pas d’expérience, et sans expérience, on ne trouve pas de travail... et c’est un cercle vicieux. Je ne veux pas laisser tomber, quitte à ouvrir une souscription sous le regard des médias. J’ai besoin de trouver 50 entreprises qui me donnent 1.000 euros... J’y arriverai ».

Il a trouvé, par Figurun, un Stage de formation, avec une entreprise de production télé et cinéma. Mais il doit trouver 960 euros qu’il n’a pas pu obtenir sous forme de subvention régionale. On lui a répondu qu’il « ne crée pas d’entreprise, et n’a pas de promesse d’emploi d’un employeur ». Les collectivités ont leurs règles, quelquefois difficiles à comprendre, surtout par les plus démunis. « Moi seul, je ne peux pas mettre là-dedans ne serait-ce que 10 euros. S’il y a un choix à faire entre les achats pour la famille et le stage, je choisis la famille ». Et ce n’est pas que le stage ne soit pas important.
« On n’arrête pas de nous couper l’herbe sous le pied ; si ça ne suffit pas, on coupe les pattes avec et après on dit : “le Créole ne veut rien faire” ».
« Il y a des moments où je comprends ceux qui vont à Vinh-San ou au pont de la Rivière de l’Est. Par chance, j’ai une femme qui est un ange... ».

« Certains ne veulent pas embaucher un handicapé... »

Il a donc déposé des recherches d’emploi en divers endroits : au PRMA, à l’ADCAM, à Kabardock... Certains employeurs ne répondent pas, « parce qu’ils ne savent pas comment dire qu’ils ne veulent pas embaucher un handicapé ». A Cap Emploi, sorte d’ANPE des handicapés, un dossier qu’il avait envoyé en novembre était toujours en souffrance la première semaine de janvier. Nouvelle gueulante. « Il n’y a pas un handicapé qui travaille à Cap Emploi », affirme-t-il. Il sait aussi, puisque c’est son cas, que tous les handicaps ne sont pas visibles...
« Il y a des moments où je n’ai même plus envie d’être inscrit à l’ASSEDIC... et c’est là qu’on offre des emplois “aux inscrits à l’Assedic depuis 12 mois et plus” ; tu n’as que 11 mois et c’est raté pour le contrat. Il y a toujours des embûches pour nous empêcher de bosser ».
Très investi dans la vie des différents quartiers où il a habité - à Bois de Nèfles où il a fait du bénévolat pendant 3 ans, puis 3 ans au Chaudron -, il voudrait faire rouvrir le CASE de son quartier, proche du centre de Sainte-Clotilde.
Depuis quelques années, il donne un coup de main à un groupe de maloyèr de Saint-André. « Je les filme pour qu’ils puissent s’auto-critiquer », dit-il, et il essaie depuis 4 ans de les faire envoyer à La Rochelle. Originaire de cette ville, il a envoyé des dossiers aux Francofolies et a vu avec intérêt la création, depuis, des “Dom-Tom Folies”. Mais les cheminements des concours sont loin d’être transparents et il constate que les efforts de certains jeunes groupes pour percer doivent toujours être remis sur le métier, quand d’autres font irruption dans des concours « après même pas 1 an de scène ». Certains parlent de talent, d’autres de magouille.

Polyvalent, facilement intégré à toutes sortes de milieux, débrouillard et habitué à se former “sur le tas”, il est de ces personnes pleines d’énergie qui, souvent, se heurtent à la priorité donnée aux diplômes par l’Establishment. De ses différents contacts et recherches, il a tiré le sentiment que « les mecs comme moi, qui veulent bosser », sont plutôt « une gêne pour le système ». « On vient nous surveiller : pourquoi avez-vous ci, comment avez-vous eu ça... On va chercher le moindre petit truc pour nous enlever encore un bout du petit peu qui nous revient. Mais dans certains quartiers, ils ne vont pas enquêter parce que les enquêteurs savent qu’ils seront reçus à coup de sabre ! ».

P. David


La campagne électorale vue de la marge

- « Ceux qui cherchent à avoir 5, 6 mandats ou plus veulent le beurre, l’argent du beurre et la crémière... Les trois quarts n’ont pas fait d’études politiques, mais ils ne veulent pas se contenter d’être présidents d’association. Etre maire, c’est agir en plus grand qu’un président d’association ; on gère des budgets qui se chiffrent en millions, et ça s’apprend. A force de mettre trop de zéros derrière, ça peut faire tourner la tête ! On en a eu la preuve ».
« Faire de la politique, c’est se servir de l’argent des autres, pour le redistribuer à des fins utiles, et pas en se servant “moi d’abord”. Parmi les élus, il y a ceux qui gardent leur métier, et qui n’ont pas besoin d’indemnité. Mais ceux qui travaillent, ils sont souvent injoignables, surtout quand ils sont fonctionnaires ».

Comment voyez-vous la campagne sur Saint-Denis ?

- « Si on écoute les radios et télés, on a l’impression qu’il n’y a que 2 candidats sur Saint-Denis. Sur Internet, on s’aperçoit qu’il y en a d’autres, heureusement... Il y a une candidate, ex-conseillère générale de Sainte-Suzanne, qui se présente à Saint-Denis - et pour moi, c’en est une qui peut “faire mal” - et il y a des anciens qui reviennent...
Je n’aime pas la politique. On vote une fois, pour 5 ans, et après on a juste le droit de se la fermer. On n’a plus droit au referendum, plus droit à rien... On ne demande pas l’avis de la population, on fait ! Le système “Je me sers d’abord, je vois ce qui reste pour les autres après”, cela risque de faire du bruit cette année, cela risque de changer !
A Saint-Denis, il n’y a plus de centres pour les jeunes, plus de centres d’animation socio-éducatifs... il n’y a plus de repères de proximité. Ou plutôt, le repère, c’est la rue.
En tout cas, quand on les écoute, ils veulent tous faire quelque chose pour les handicapés, les personnes âgées... Et vous voyez le résultat ! ».

Note : Pour joindre Pascal Dérosier, n° tél : 0692-150-034 ou [email protected]


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