Plaidoyer pour une “réunionnisation” des mots d’ordre dans la jeunesse

Les syndicats étudiants réunionnais arrimés aux mots d’ordres parisiens

26 avril 2006

Soixante ans après l’abolition du statut colonial, il en est qui, parmi les chefs de file de la jeunesse réunionnaise, s’acharnent à s’arrimer aux mots d’ordres du microcosme politique manichéen parisien. Et ce n’est malheureusement là pas l’apanage des gens dits de droite. On trouve, parmi les “progressistes”, nombre d’amateurs de cette troublante attitude. Pourtant, il y a 11 ans, dans une interview accordée à un quotidien de l’époque “Le Réunionnais”, Paul Vergès répondait déjà en ces termes à un journaliste qui lui posait la question du clivage droite/gauche :

"Dans les conditions historiques et spécifiques de la France à la fin du dernier siècle, un certain nombre de notions ont caractérisé la gauche. D’abord la séparation de l’Église et de l’État à travers la laïcité, ensuite la remise en cause des conditions de vie, la gauche signifiant le progrès et la justice sociale, la droite l’ordre et le conservatisme. C’est une construction française. On a transféré à La Réunion ces notions". Il est tout à fait évident que ces notions transférées tel quel ne sont pas pertinentes à La Réunion, qui historiquement, géopolitiquement et culturellement est construite différemment que la France. Et il est vrai que s’obstiner à les appliquer dans leur sens traditionnel peut nous confiner dans un certain ridicule.
Dernier mot d’ordre national en date, et fortement suivi par un certain nombre de syndicats réunionnais : tuer dans l’œuf le CPE. Sans soutenir le CPE (Contrat première embauche) - tout au contraire - rappelons que ne visant que les entreprises de plus de 20 salariés, il n’aurait concerné qu’extrêmement peu d’entreprises réunionnaises : environ 2% ! Un combat du même ordre contre le CNE (Contrat nouvelle embauche) - qui avait par ailleurs déjà fait une victime du côté du Ciné Cambaie - eût été plus approprié...
À propos du CPE justement, voyons voir ce qui en substance se disait sur les forums de jeunes au niveau national. Morceaux choisis :

Portrait n°1 : Vision des jeunes grévistes par un jeune hexagonal de droite :

"Les étudiants manifestent sans trop savoir pourquoi. En toile de fond, le syndicalisme d’extrême gauche, autiste, et disons le, désespérément écervelé, qui poursuit on ne sait quel but comme un automate : on a tous en tête l’image du chien d’un voisin que l’on entend aboyer tout le jour et toute la nuit, incapable de s’arrêter. Ces manifestants irresponsables et irréfléchis traînent derrière eux une cohorte d’anarchistes qui s’attaquent à nos CRS comme symbole du pouvoir et de la République, et font mine d’être surpris ou choqués. Quel spectacle désolant de médiocrité pendant que des chômeurs crèvent de ne pas avoir de quoi se nourrir. Quelle démonstration éclatante d’un cruel et flagrant manque de lucidité de la part de ces "étudiants", d’un égoïsme méprisant, d’une inconscience profonde des mutations de la société. Ces moutons qui sont descendus dans la rue au soir du 21 avril sont remis dans le près aujourd’hui par les mêmes bergers, pour bramer à tue-tête sans réfléchir".

Portrait n° 2 : Vision des pro CPE par un jeune hexagonal de gauche :

"Vive le MEDEF, vive le fric, privatisation des services publics, école, police, armée, non à la sécu, assurances privées ou rien, non au RMI, non au SMIC, privatisation des nationales, plages privées, pas d’études après le collège en-dessous d’un revenu de 100.000 euros annuel, que les prolos bossent et la ferment, vote réservé aux riches, soins réservés aux riches, pas de prolos de plus de 60 ans, ils ne servent à rien, oui au CPE avec un essai de 40 ans, pas d’impôts pour les riches, c’est eux qui font bosser les pauvres, ils ne vont pas payer en plus, remplaçons les grévistes par des immigrés précaires interdits dans les villes après 20 heures, faut qu’ils dorment pour bosser 12 heures ! Des juges élus par les riches, rétablissement de la peine de mort pour vol de pain. Sans blague, vous vous prenez pour qui, vile populace ! Vous n’êtes rien ! Retour à 1935, pas de congés payés, pas de sécu, pas d’hôpitaux publics, c’est bien parti grâce à Villepin et ce sera encore mieux avec Sarkozy. Alors rampez vers de terre. Nous sommes les humains. "Aperçu de la prochaine législature" Embaucher de jeunes esclaves, ça permet de virer les vieux, ils coûtent cher les cadres de plus de 50 ans, les jeunes c’est moins cher et ils ferment leur gueule ou alors, virés !"
Sans commentaires.

UNEF Réunion. UNI Réunion. Tous Réunionnais.

Alors, Gilles Leperlier, président de UNEF Réunion, te reconnais-tu dans le portrait n°1 ? Et toi Dimitry Hoarau, président de UNI Réunion, te reconnais-tu dans le portrait n°2 ? Ou pensez-vous plutôt que ce sont des caricatures qui ne vous correspondent en rien ? Dans tous les cas, votre responsabilité à la tête des 2 principaux syndicats étudiants de La Réunion, vous impose un effort immédiat d’émancipation par rapport aux mots d’ordres parisiens.
La crise du logement à La Réunion, la problématique de l’emploi des jeunes diplômés et autres, les ineffables inégalités liées aux NTIC, la question du foncier, celles du développement durable, les défis du co-développement avec les pays de l’océan Indien, et tout ce que le quotidien des jeunes Réunionnais fait écho chez vous devraient sonner à vos oreilles comme le gong d’une interpellation autrement plus vigoureuse que le chant de sirène
des mots d’ordres parisiens !
Hâtez-vous, de grâce, dans le sens d’une réflexion ambitieuse pour cette Réunion qui compte tant sur sa jeunesse. Amorcez le pas pour que cette jeunesse réunionnaise, dynamique et ambitieuse, se focalise enfin, et de plus en plus, sur les perspectives et défis politiques liés à sa propre réalité ! L’Histoire vous le rendra bien !

Younous Jonas


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