Tous concernés : sauvons les planteurs — 2 —

Les usiniers réunionnais ont déjà plié bagage

27 octobre 2011, par Manuel Marchal

Dans notre édition d’hier, il a été question du tournant historique qui pourrait concerner la filière canne si jamais les gouvernements de l’Union européenne suivaient la Commission et décidaient de supprimer le quota et le prix garantis pour le sucre produit à la partir de la canne des planteurs réunionnais. Pour aussi brutale qu’elle soit, cette éventualité découle d’un processus commencé en 1969 à La Réunion, et qui fait qu’il n’existe plus d’usinier réunionnais dans notre pays. L’industrie est dans la main des planteurs de betteraves, les concurrents historiques.

En 1964, 13 usines sucrières sont installées à La Réunion. Elles sont alimentées par 24.000 livreurs qui font vivre 100.000 personnes, soit un Réunionnais sur quatre. Il y avait aussi plus de 5.000 planteurs de géranium, des milliers de cultivateurs de vanille et de tabac, sans compter les épices.
À cette époque, les récoltes de plus de 2 millions de tonnes de cannes étaient la règle, et la production sucrière dépassait 200.000 tonnes. Entre les planteurs et les usiniers, le partage des richesses de la canne se faisait selon un mode très simple : les deux tiers pour le planteur, le tiers pour l’usinier. Si le principe était simple, les négociations étaient difficiles pour que le planteur obtienne son dû dans le paiement du sucre et des alcools. Et il s’avérait également que la part de l’usinier était trop élevée. La bataille était alors d’obtenir un partage trois quarts/un quart, tout en assurant le développement de la filière.

La trahison de Virapoullé

En 1964, les syndicats de la Charte ont proposé des mesures pour augmenter la production sucrière, avec comme objectifs 300.000 tonnes de sucre en 1965, et 400.000 tonnes en 1970, avec d’autres produits qui devaient constituer une industrie de la canne.
Les planteurs n’ont pas été suivis. Le pouvoir a préféré miser sur Jean-Paul Virapoullé, le "Didier Robert" de l’époque. Virapoullé a signé avec les usiniers un accord scélérat qui a totalement restructuré la filière. Le résultat, nous le voyons aujourd’hui : à peine 4.000 planteurs, et deux usines aux mains des planteurs de betteraves.
Le nouveau système fait du planteur un fournisseur de matière première de l’usinier. Ce dernier peut désormais garder pour lui seul les profits de tous les produits de la canne. Le planteur ne reçoit en compensation de son travail qu’une petite partie, calculée en fonction de la richesse en sucre.
Avant 1969, les usiniers avaient intérêt à être aussi des planteurs de cannes, après 1969, ils ne sont plus obligés de prendre ce risque, car la restructuration permet la séparation du capital foncier et du capital industriel.

Le désengagement de l’aristocratie sucrière réunionnaise

Désormais, les usiniers vont investir dans d’autres domaines. L’ancienne Direction de Sucrerie de Bourbon a été la première à comprendre que d’autres secteurs sont bien plus porteurs que l’industrie sucrière. Elle a donc vendu toutes les parts qu’elle détenait dans cette dernière pour se diversifier dans la grande distribution, la pêche, les services maritimes et la finance. C’est ainsi que Téréos, coopérative de planteurs de betteraves, a commencé à avoir un pied à La Réunion, en devenant propriétaire des actifs sucriers de Bourbon à La Réunion, dont la majorité des parts de l’usine de Bois-Rouge.
C’est cette séparation du capital industriel du capital foncier qui a permis à un actionnaire de la Société sucrière de Quartier Français de provoquer l’OPA de Téréos sur la dernière usine détenue par des Réunionnais.
Désormais, il n’y a plus aucun usinier réunionnais dans notre île. Et au moment où la filière canne joue sa survie, l’interlocuteur des planteurs est le représentant de la filiale brésilienne d’une coopérative de planteurs de betteraves. Le concurrent historique du planteur réunionnais est devenu celui qui détient le monopole de la transformation des cannes à La Réunion.

(à suivre)

 M.M. 


Les effets de 40 ans de restructuration

Nombre d’usines Nombre de livreurs de cannes
Avant 1969 13 24.000
Aujourd’hui 2 <4.000

La crise structurelle provoquée par les accords de 1969 a amené la filière canne à un niveau de fragilité qui n’avait jamais été atteint. Plus de 20.000 planteurs ont été ruinés, et les travailleurs de 11 usines licenciés.


De la casse de la filière canne à la démolition des grands projets

De Virapoullé à Didier Robert : 40 ans d’opposition au développement du pays

Quand sont signés les accords de 1969 qui remettent en cause la structure de la filière canne, ce n’est pas le choix du développement qui a été fait, mais celui de la casse du premier employeur du pays sous la houlette de Jean-Paul Virapoullé.
40 ans plus tard, Didier Robert s’est aussi attaqué à ce qui a remplacé la canne comme moteur de l’économie, le BTP. Et pour arriver à ses fins, il n’a pas hésité à démolir près de 3 milliards d’euros d’investissements. De Virapoullé et Didier Robert, 40 ans d’opposition au développement du pays. Le président de la Région reprend ainsi le flambeau des prédécesseurs de Virapoullé, ceux qui étaient prêts à tout pour refuser l’abolition du statut colonial à La Réunion.

Filière canne-sucre-alcools-énergie

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus