Lutte contre l’illettrisme et FOL - Formation sur le plaisir de la lecture et de l’écriture

Libérer la parole

26 juin 2007

Dans la continuité de ses actions en faveur de la lutte contre l’illettrisme à La Réunion, la Ligue de l’Enseignement - Fédération des Oeuvres Laïques (LE-FOL) organise du 25 au 29 juin, en partenariat avec la DDJS, une formation intitulée “Comment aider les enfants et les jeunes à écrire et à lire par plaisir ?”. Animée par l’écrivain Salim Hatubou, elle s’adresse aux directeurs de centre d’apprentissage et aux animateurs d’ateliers pour les jeunes.

Salim Hatubou, écrivain originaire des Comores, réside à Marseille où il anime des ateliers d’écriture et de lecture. En 2000, il était déjà intervenu au Centre Culturel du Brûlé et a répondu favorablement à l’invitation de la FOL, car le thème de la formation porte précisément sur le plaisir de la lecture et de l’écriture, une notion qui lui paraît fondamentale.

« Le plaisir ne suffit pas, mais est complémentaire »

Dans une société où l’on appuie plus facilement sur le bouton de son téléviseur que l’on ne prend un livre, Salim Hatubou déplore que le plaisir de la lecture, de l’écriture, du contact avec l’objet livre soit trop souvent occulté et détaché du problème de l’illettrisme. C’est pourtant le plaisir qui suscite l’imagination qui renvoie elle-même, par curiosité, à la lecture. Pour défendre son propos, Salim Hatubou raconte souvent cette anecdote de son enfance à Marseille où il a grandi. Le soir, il tenait compagnie à son père, vigile sur les bateaux restés au quai, et pendant que ce dernier lisait son journal, à ses côtés, le jeune Salim l’imitait, un livre en main. « C’est mon père qui m’a donné le goût de la lecture », commente-t-il. Venait quelquefois un ami de son père qui, ne sachant pas lire, s’était inscrit à un centre d’apprentissage. Il était impatient de pouvoir décrypter à son tour ce fameux journal qu’il faisait mine de parcourir, le tenant à l’envers et prenant la pause avec une certaine autodérision. C’est avec lui que le jeune Salim a exercé pour la première fois, à 12 ans, ces talents d’animateur. « On travaillait la lecture, plus pour rire, à travers de petits exercices. On découpait par exemple le journal, on trouvait un "l" et cherchait le "a" qui pourrait aller avec pour faire le son "la". Ce sont des petites choses toutes simples comme ça qui lui ont plu. Il a pris du plaisir à apprendre. Le plaisir ne suffit pas, mais est complémentaire des méthodes apprises en centre ». Bien sûr, c’est dès l’enfance, le plus tôt possible, qu’il convient de familiariser l’enfant avec le livre, comme le rappelle Salim Hatubou. « Le contact avec l’objet est très important, explique-t-il. Même si l’enfant est trop jeune pour comprendre l’histoire, il découvre déjà les images, tourne, manipule le livre, qui devient un objet familier ». Mais beaucoup de parents, à Marseille ou encore à La Réunion, sont tellement absorbés par leurs difficultés, qu’elles soient d’ordre économique ou autres, qu’ils ne consacrent pas le temps à cette première initiation. Ils ne lisent pas eux-mêmes et leurs enfants perçoivent alors le livre comme une contrainte propre à l’école. Il faut alors repartir du début avec ces jeunes, “dédiaboliser” le livre, redécouvrir déjà le plaisir de l’échange, de la parole, du mot. Un travail de longue haleine qui nécessite de maîtriser certaines astuces pour susciter l’intérêt et la participation du jeune public comme va tenter de le démontrer Salim Hatubou durant cette semaine de formation au local de la Jeunesse en Plein Air, à l’école Gabriel Macé de la Source, à Saint-Denis.

« Il faut aller chercher la parole chez le gamin »

« Le but de ce stage est de leur apporter des astuces, de leur communiquer une partie de mon expérience, explique-t-il. Nous allons aussi faire des choses plus théoriques comme expliquer l’écriture, le rôle de l’animateur, les méthodes pour animer un atelier de conte, etc... Mais la théorie n’est pas ce que je préfère, je peux même dire que j’en ai horreur, car ce n’est pas la théorie qui aide à développer l’imagination ». Hier matin, nous avons pu assister à une petite partie de l’intervention de Salim Hatubou à un moment où il insistait, face à la quinzaine de stagiaires présents, sur le rôle fondamental de l’animateur pour libérer la parole des jeunes qui assistent à leurs ateliers. « Il faut aller chercher la parole chez le gamin, dépasser la barrière de la langue. Il faut savoir rebondir sur leurs interventions comme sur les petits bouts de fil d’une pelote pour tirer dessus jusqu’à former une autre pelote, argumenta-t-il. Dans un atelier d’écriture, c’est à l’animateur de tirer sur le bout de fil, alors que dans un atelier de lecture, c’est l’enfant qui va le faire et l’animateur qui devra rebondir pour le satisfaire. Pour repérer le bout de fil, il faut être très attentif au moindre geste, à la moindre attitude, au stylo que ce jeune tripote entre ses doigts... Le moindre geste compte. Vous devez avoir le sens de l’observation à tout moment ». Une attention de chaque instant donc pour amener les jeunes à s’exprimer. Un stagiaire rappelle alors qu’il y a toujours des jeunes qui, quoiqu’on leur propose, refusent de participer. Comment les intéresser ? « Dans un atelier, sur 15 élèves, il y en a peut-être 5 qui suivent, et parmi les 10 autres, au moins 2 qui restent dans leur coin, et c’est peut-être ceux-là qui vont le plus apporter à la création, répond l’animateur. Il ne faut pas hésiter à se mettre à leur niveau, à parler à leur hauteur, à aller les chercher et les pousser... Ce n’est pas du temps perdu, ce que l’on fait. Si à partir d’un mot, d’un geste, d’un détail, on arrive à faire se raconter l’enfant, on a tout à y gagner ».

La lutte contre l’illettrisme : une question politique

C’est donc en incitant déjà les jeunes à s’exprimer, en libérant la parole que l’on a des chances de pouvoir les conduire à la lecture et à l’écriture. « Certains peuvent penser que c’est une futilité, alors qu’au contraire, c’est très important », nous confie l’écrivain. En Grande Comores où il est né, à Marseille ou encore à La Réunion, la lutte contre l’illettrisme est une question politique. Les professeurs n’ont pas le temps et les moyens pour s’occuper des élèves qui ont le plus de lacunes. Ce sont les associations qui prennent le relais, mais qui dépendent de budgets dont la fragilité n’assure pas la continuité de leurs actions. Pour apporter le relais dont ont besoin les professeurs, pour ne pas laisser ces jeunes en difficultés se refermer sur eux-mêmes, Salim Hatubou plaide en faveur de l’installation d’ateliers dans tous les établissements. « Il faut arriver avec les ateliers à faire une coupure avec l’école, explique-t-il. Nous ne sommes pas là pour faire les gendarmes, comme en classe, même si ça ne doit pas être l’anarchie, mais il faut aux jeunes un espace de liberté. C’est une tout autre façon de travailler. Au début, certains professeurs que j’ai rencontrés à Marseille tiquaient un peu quand je disais les fautes d’orthographe et la syntaxe, on s’en fout, dites les choses comme vous les entendez, car on est là plus pour privilégier l’imaginaire, débloquer la parole. Puis ils ont compris ». Une question politique donc, car assurer des ateliers, une prise en charges adaptée des jeunes en difficultés d’expression, illettrés, demande des moyens financiers. « Si on veut le faire, on le peut, affirme encore Salim Hatubou. Si vraiment l’Etat le veut, il peut donner aux gens les moyens de travailler. On a des méthodes, mais si l’on n’a pas de moyens, d’encouragement, on n’y arrivera pas. Pour ma part, le défi culturel m’intéresse plus que le défi économique ».

Stéphanie Longeras


An plis ke sa

« Une fois la parole libérée, on ose s’exprimer »

Quand on lui confronte le problème de l’inter-langues chez les jeunes réunionnais qui mélangent le français et le créole, se referment de peur de ne pas s’exprimer correctement en français, Salim Habutou apporte son « regard extérieur ». « Il faut laisser les enfants s’exprimer dans leur langue, car ce n’est que lorsqu’ils se sentiront bien dans leur langue maternelle qu’ils pourront aller plus loin, estime l’écrivain qui rejoint sur ce point les analyses des sociolinguistes. J’ai animé à Marseille des ateliers de primo-arrivants où j’ai eu des Russes, des Maghrébins, des Comoriens... J’avais deux Kurdes et l’un cherchait un mot en français. Il bloquait, alors je lui ai conseillé de le dire dans sa langue maternelle et que son camarade me traduirait. Un exemple pour sous-tendre qu’une fois la parole libérée, on ose s’exprimer ».


Témoignage

Jean-Jacques Sinama-Tarmalingom, 37 ans

Agent de cohésion sociale et animateur d’ateliers d’expression pour les jeunes du quartier Bois Rouge, Cambuston, à Saint-André, Jean-Jacques est très heureux de pouvoir suivre ce stage de formation. Parce que les animateurs ont besoin de prendre du recul pour conforter et enrichir leurs connaissances, mais aussi adapter leur pédagogie, chercher de nouvelles pistes à explorer pour aider concrètement les jeunes à dépasser leurs difficultés d’expression à l’oral pour ensuite s’engager sur le chemin de l’écriture et de la lecture.

Jean-Jacques anime des ateliers d’expression par le théâtre, le jeu, les sorties diverses et ce, afin de favoriser la prise de parole des jeunes, les échanges autour d’activités. Développer l’oralité par le ludique est déjà une mission difficile. « Beaucoup de jeunes de 17-18 ans ne s’expriment pas, constate-t-il. Déjà, ils ne communiquent pas, ils crient. Ils ne savent pas, même en situation de dialogue, côte à côte, parler calmement, poser la voix ».

« Il y a la honte de s’exprimer »

Jean-Jacques explique qu’il est confronté à des jeunes qui ont soit rompu avec le système scolaire, soit sont toujours scolarisés, mais occupent le fond de la classe. Plus que la place réservée aux cancres, les fonds de classes sont occupés par des élèves dont les lacunes en français demanderaient un effort particulier des professeurs au détriment de l’ensemble des élèves. Alors, tant qu’ils ne font pas de désordre, on les laisse là ! « Celui du fond de la classe, je le retrouve dans les ateliers. Il viendra pour jouer au foot sans problème, mais dès qu’il s’agit de passer au jeu du Baccalauréat ou une autre activité qui fait appel à l’écriture, c’est autre chose, constate l’animateur. Ils écrivent le mot comme ils l’entendent, par exemple linette au lieu de lunette. Quand arrive le moment de la correction, le marmay se sent de suite dévalorisé, et ce n’est pas le but. Avec le scrabble, c’est pareil, ils se limitent aux mots de 3-4 lettres, oui, non , quoi, après ils n’osent pas de peur de se tromper. Ils se referment. Il y a la honte de s’exprimer, car les jeunes qui maillent les deux langues, français et créole, ne connaissent pas toujours le vocabulaire, le sens des mots. Il y a aussi un manque de culture générale, sachant que souvent, leurs parents ont eux aussi quitté l’école jeunes ». Les familles du quartier au sein duquel Jean-Jacques exerce sont soit monoparentales, soit les parents sont jeunes, 3 ou 4 enfants à charge, rapidement dépassés par la tâche. Des parents qui, eux-mêmes, ont quitté l’école prématurément, s’expriment difficilement en français et ne maîtrisent pas l’écriture. En tant qu’agent de cohésion sociale, il leur apporte son aide pour rédiger des lettres, remplir des documents administratifs. Ces parents n’ont pas les outils pour aider leurs enfants dans leur scolarité, pour les intéresser au livre, à la lecture, et eux-mêmes n’osent pas s’exprimer de peur de mal parler français. Comment alors dénouer le problème ? Trouver le moyen qui permettra à chacun de dépasser ses lacunes pour affirmer ce qu’il veut dire plutôt que de le garder pour lui et de se sentir frustré, de se dévaloriser.

Une formation pour aller plus loin... vers l’écriture

Jean-Jacques, comme les autres stagiaires, y travaille, souvent de façon isolée. La matinée d’hier lui a déjà permis de conforter son vécu, son expérience, l’incitant à ne pas hésiter à rebondir sur les hésitations orales des élèves, à repérer le fil à dérouler pour avancer. Il doit poursuivre sur l’expression et compte sur l’écriture pour l’aider. « Avec cette formation, tout ne sera pas acquis, mais ce sera déjà un tremplin pour continuer à aider les jeunes, explique-t-il. Moi, je sais où je veux aller, mais il faut qu’on y aille ensemble. Avec l’expression, je veux rebondir sur l’écriture, la lecture, puis mettre en place une bibliothèque et un vide grenier pour vraiment travailler sur le livre, partager le sens du texte, échanger à partir du livre. Ce projet se construira par étapes bien sûr. Cette formation va me permettre de conforter mes expériences et surtout d’aller plus loin en passant par l’écriture, pour créer, pourquoi pas, un journal de quartier ». Animateur de quartier depuis 10 ans, cela faisait 5 ans que Jean-Jacques n’avait pas suivi de formation. Il nous confie qu’il est difficile de mener de front les actions de terrain et d’engager des recherches personnelles pour explorer d’autres méthodes, décliner des axes d’application, innover dans l’animation, comme il tenait à le faire auparavant.

« Chacun cherche dans son coin alors que... »

« Sans ça, on stagne, on reste sur ses acquis, mais il faut à un moment donné s’ouvrir, développer ses atouts pédagogiques, il faut des compétences quand on exerce une responsabilité éducative, mais il faut aussi pouvoir se renouveler, ce que je n’ai plus fait depuis 5 ans. Chacun cherche dans son coin alors que le partage est indispensable pour développer les techniques qui marchent et parvenir à une stratégie commune. Il faut, pour cela, les moyens de travailler, alors que le fonctionnement municipal est lent, tout passe par le vote. Il serait plus efficace d’avoir un budget à l’année où les dépenses de fonctionnement pour le matériel seraient suivies, sans obliger les animateurs à attendre à chaque fois l’aval, la facture pro format pour assurer le suivi de ses animations, sans rupture ». Fort de son expérience, mais aussi en proie à des remises en question régulières, Jean-Jacques sait que ce travail de proximité avec les jeunes en difficulté scolaire et/ou familiale doit s’inscrire dans la durée. Relayer ou travailler en complémentarité avec l’école demande une rigueur et un suivi. Il a déjà animé des ateliers dans le primaire, mais avec des créneaux horaires trop courts et mal définis. Cette démarche préventive, tout comme celle curative, menée avec les adolescents, doit s’inscrire dans le long terme si l’on veut en voir les résultats, si l’on veut permettre à tous ces animateurs qui exercent une mission très difficile de récolter le fruit de leurs investissements.

Entretien réalisé par SL


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