Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail

Maladies professionnelles : des salariés exposés

28 avril 2007

Chaque année, dans le monde, 2,2 millions de travailleurs meurent suite à un accident ou une maladie, professionnels. Aujourd’hui, comme tous les 28 avril depuis 1996, salariés, employeurs, gouvernements de 100 pays célèbrent la « Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail » afin de promouvoir une culture de la prévention en la matière.

Les chiffres rapportés par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et le Bureau International du Travail (BIT) sont éloquents. Le risque de maladie professionnelle serait aujourd’hui le plus grand danger auquel seraient exposés les salariés sur leur lieu de travail.

BTP : 1 décès toute les 10 minutes

Cancers, affections musculo-squelettiques, maladies respiratoires, circulatoires, contagieuses, perte de l’audition... 160 millions de nouveaux cas de maladies professionnelles sont enregistrés chaque année au niveau mondial. Des maladies qui tuent 1,7 million de personnes par an et qui, lorsqu’elles ne sont pas mortelles, sont pour certaines invalidantes, excluent les victimes de la sphère professionnelle, faute de postes adaptés. Si des progrès en termes de sécurité ont été réalisés dans la plupart des pays développés, en revanche, du fait de l’industrialisation rapide, on recense une augmentation constante des accidents et maladies professionnels en Asie ou en Amérique latine. En Chine aussi, les accidents mortels ont fortement augmenté, passant de 73.000 en 1998 à 90.500 en 2001. Parmi les secteurs les plus touchés, l’agriculture, principal secteur d’activité économique de la plupart des pays sous-développés, qui emploie la moitié de la main d’œuvre mondiale, enregistre 70.000 décès par an. Des agriculteurs empoisonnés suite à l’usage des pesticides. Vient ensuite le BTP, avec 60.000 accidents mortels chaque année, soit 1 décès toute les 10 minutes. A lui seul, ce secteur d’activité est responsable de près de 17% des accidents, sans compter les risques sur la santé d’une exposition à des produits toxiques et chimiques tels que l’amiante ou encore la silice. Un important travail de prévention et de coordination des actions s’impose sur les chantiers. L’Organisation Mondiale de la Santé et le BIT veulent unir leurs forces pour promouvoir et renforcer leur coopération au niveau national entre les ministères du Travail et de la Santé, avec les entreprises, les syndicats de salariés et d’employeurs, les acteurs de la société civile.

Stéphanie Longeras


Et la souffrance morale au travail ?

« Il faut que ça cesse ! Il y a trop d’abus ! »

Course à la performance, à la rentabilité, exigences de flexibilité, consignes et ordres contradictoires, pressions, harcèlement : la souffrance morale au travail existe, poussant, selon une estimation du CNRS, 300 à 400 salariés français au suicide. Marlène Derfla, Secrétaire générale de la CGTR-Commerce et Juge Prud’hommale, insiste sur la nécessaire solidarité des salariés au sein des entreprises pour que cessent ces abus.

Le 21 février 2007, un ouvrier de l’usine Renaud de Guyancourt mettait fin à ses jours, après 3 autres cas similaires. Le malaise et le mal être des salariés au travail s’imposent alors aux médias, mais combien de suicides faudra-t-il pour que la législation interviennent auprès des entreprises ?

1 milliard d’euros d’arrêt maladie

A l’occasion de la “Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail” de 2006, Gérard Larcher, Ministre délégué à l’Emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, estimait que l’implication des partenaires sociaux était cruciale pour encore faire progresser la santé et la sécurité au travail en France. Il s’est positionné pour l’interdiction mondiale de l’amiante, comme préconisé par le BIT, a souligné le renforcement de la réglementation pour mieux protéger les travailleurs du bruit et des produits chimiques, mais à aucun moment, n’a fait état de la souffrance morale des salariés sur leur lieu de travail. Et pour cause. Si la législation sur le harcèlement moral a évolué, contraignant - si tant est que l’on en fasse usage - les entreprises à rendre des comptes, en revanche, la France est très en retard quant à la prise en compte de toutes les formes de stress au travail. Un vrai sujet d’intéressement majeur qui ne concerne qu’une entreprise française sur 10. A titre comparatif, elles sont 9 sur 10 en Scandinavie à avoir intégré ce phénomène qui génère absentéisme et perte de productivité pour les entreprises. En France, cela équivaut à 1 milliard d’euros du budget de la Sécurité Sociale pour les arrêts maladie qui en découlent.

« Une grave peur du chômage »

Marlène Derfla, en tant que Juge prud’hommale, constate qu’à La Réunion, les entreprises commencent à rendre des comptes suite à des plaintes pour harcèlement moral. « Dernièrement, deux patrons ont été condamnés, mais les salariés n’osent pas encore trop dénoncer. Beaucoup se mettent en arrêt maladie pour fuir les pressions, mais la peur de perdre son emploi en contraint encore trop au silence ». Lors de ses permanences syndicales, elle dit recevoir beaucoup de « travailleurs en souffrance, harcelés ». Malheureusement, l’individualisme qui marque notre société n’épargne pas la sphère professionnelle. « Qu’il y ait 2 ou 10 salariés, il faut une véritable solidarité dans les entreprises, soutient Marlène Derfla. Il suffit que l’un refuse, se syndique et se défende pour que les choses changent. Les patrons ont besoin de voir que les salariés sont solidaires. C’est indispensable car la victime a besoin du témoignage de ses collègues. Mais il y a une grave peur du chômage, et les patrons le savent, comme ils savent que beaucoup de familles sont endettées, qu’elles ont des charges à payer. Ils en profitent ». Là encore, la faiblesse de la représentativité syndicale à La Réunion, compte tenu de la majorité de très petites entreprises, dessert les salariés. « Si, dans les grandes entreprises, les CE font leur boulot, on ne doit pas retrouver de cas de harcèlement. On ne peut pas laisser la hiérarchie exercer un plein pouvoir sur ses subordonnés. La Médecine du Travail le constate certainement au quotidien. On en vient à dire que les salariés, épuisés, sous calmants, sont inaptes au travail pour qu’ils ne subissent plus ces pressions. Il faut que ça cesse ! Il y a trop d’abus ! Il faut que les salariés soient solidaires car aujourd’hui, c’est mon camarade, mais demain, ce sera peut-être moi ».

SL


Témoignage

Nous avons contacté un cabinet médical de la Médecine du Travail à Saint-Denis. Sous couvert d’anonymat, une praticienne a bien voulu répondre à nos questions. Selon elle, les cas de harcèlement sont marginaux par rapport aux salariés en souffrance morale.

Qu’est-ce qui fait souffrir les salariés dans leur travail ?

- On rencontre des gens qui sont plus ou moins bien dans leur situation professionnelle et ce pour des dizaines de raisons : économiques, personnelles... Tout se cumule, et ce n’est pas toujours facile à supporter. On peut avoir des attentes professionnelles importantes et des déceptions subites, brutales qui bouleversent totalement sa vie. Le harcèlement est par contre très marginal par rapport aux souffrances au travail.

Quel est votre rôle en tant que médecin du travail pour aider ces personnes ?

- D’écouter la souffrance au travail, le témoignage de ces salariés et d’essayer de les faire avancer dans cette situation. Nous tentons d’être des médiateurs en plus d’être des soignants lorsqu’il nous faut diriger des personnes vers des soins spécifiques. En cas de prise en charges psychologique, la reprise du travail sera difficile. Mais dans la majorité des cas, ce sont des personnes en situation de dépression à qui nous prescrivons des arrêts maladie prolongés. Souvent, on est amené à se revoir plusieurs fois pour entamer une démarche afin que la personne retrouve sa place dans l’entreprise, mais parfois, on assiste à la séparation entreprise/salarié. En fait, il n’y a pas de règle. Notre rôle est d’arrondir les angles, d’amorcer le dialogue et d’éviter que la situation ne s’empire... C’est dur quelquefois de ne pas pouvoir agir, de ne pas avoir forcément la solution. On aimerait aller plus loin.

Constatez-vous une recrudescence des salariés dépressifs, en souffrance au travail ?

- De par mon vécu et mes 12 années d’exercice à La Réunion, je ne peux pas dire s’il y a plus de cas. Je pense qu’on en parle davantage aujourd’hui et que les formes de souffrance ont également évolué. Les salariés s’expriment davantage, demandent plus facilement de l’aide.

Vous tentez des médiations auprès des entreprises, mais ne pensez-vous pas que ces dernières devraient inclure dans leur fonctionnement cette prise en compte des nouvelles formes de stress au travail ?

- Dans un monde idéal, ce serait effectivement nécessaire. Souvent, il s’agit de problèmes d’organisation, de respect des droits, de management inadapté. Evidemment, l’on pourrait au moins agir au sein des entreprises sur ce facteur-là. Il faut parler, mais c’est un problème complexe aux manifestations multiples qui, peut-être, effraie un peu les employeurs. Je ne sais pas.

Propos recueillis par SL


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Messages

  • Bonjour,
    Pour tenter d’éviter certains drames dans les entreprises, tels que les suicides, que penseriez-vous d’intervenir selon trois directions :
    - Expliquer aux salariés ce qu’est le stress, comment il agit et quelles sont les attitudes à adopter pour éviter de le propager malgré soi.
    - Faire en sorte que le management soit profondément respectueux de l’Homme ; on a trop d’exemples lorsque l’on rencontre des salariés, qui témoignent de lacunes majeures à ce niveau. Il y a chez beaucoup de nos concitoyens un besoin important de considération à prendre en compte. Si le management est optimal, il débouche sur une motivation qui vient annihiler une grande partie des effets toxiques du stress.
    - Créer un système d’alerte, type numéro vert, utilisable par les salariés qui ne se sentent pas bien et qui ont besoin d’en parler. Il serait nécessaire que ce système soit indépendant de l’entreprise pour que le salarié puisse y recourir en toute quiétude.
    Merci.
    Cordialement, dr Philippe Rodet (http://www.stress-info.org)
    Auteur de l’ouvrage : « Le stress : nouvelles voies »


Témoignages - 80e année


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