La grève : un appel au secours des salariés

Négocier plutôt que de diaboliser les travailleurs

5 septembre 2005

C’est désormais une habitude depuis un certain temps : à peine une grève a-t-elle commencé, aussitôt c’est le branle-bas de combat partout. Il y a ceux qui sonnent le tocsin, d’autres qui battent le tambour, d’autres encore qui font ronfler les sirènes : la guerre lé déclaré ! La Réunion va être à feu et à sang !

La récente grève des travailleurs de la SERMAT, au Port, soutenue par les dockers, l’a encore démontré.
La grève a démarré le lundi matin. Dès mardi après-midi, les communiqués commençaient à tomber. Chez les usiniers, c’était déjà l’alerte orange et on faisait annoncer par RFO que les silos à sucre de la Chambre de commerce étaient pleins, qu’ils n’allaient plus pouvoir dès le lendemain, le surlendemain au plus tard, prendre des cannes.
Les commissions mixtes d’usine étaient réunies de toute urgence pour savoir quoi faire. Des dirigeants planteurs "montaient au créneau" : à les entendre, c’était un mauvais coup contre la campagne sucrière, ils étaient pris en otage. D’autres s’alarmaient : encore 2 jours et leurs animaux allaient manquer de nourriture et bien-sûr étaient sur le point de trépasser. Pour d’autres, le "poumon économique" étant bloqué, l’économie réunionnaise était au bord de l’asphyxie !...
Dès mercredi, l’usine de Bois Rouge annonçait qu’elle allait arrêter la réception des cannes le lendemain ; le directeur, envoyé au charbon - pendant que les grands dirigeants, eux, se calfeutraient - le casque de combat de travers, annonçait à la télévision que là, il n’y avait vraiment plus grand-chose à faire... sinon à attendre la mort !
RFO, de son côté, claironnait et multipliait les initiatives pour montrer à l’opinion que c’était le blocus ou presque. Tout juste s’ils n’ont pas fait monter sur le plateau quelques coqs affalés et quelques poules assoiffées ! Pathétique ! À l’île Maurice qui reçoit et suit régulièrement les émissions de RFO Télé, les gens devaient se demander ce qui se passait à La Réunion et s’ils ne risquaient pas de voir débarquer chez eux des boat people !

Cherchez l’erreur !

L’ennui c’est que, jusqu’au mercredi, jour du déclenchement de la grève de solidarité des travailleurs de la CCIR, au port, les silos étaient ouverts... et vides à moitié ! Forcément, car les 2 silos du port ont une capacité d’un peu plus de 150.000 tonnes de sucres - le grand silo d’une capacité d’un peu de 100.000 tonnes était à moitié vide, et l’autre qui fait 2 fois 20.000 tonnes était vide - or, nous sommes à peine à la moitié de la campagne et la totalité de la production sucrière fait à peine 230.000 tonnes !
À cette capacité de stockage des 2 silos du port, il faut ajouter celle des 2 usines (une dizaine de milliers de tonnes pour chacune), sans oublier le hangar des Sucreries de Bourbon qui se trouvent à l’entrée du port et dont la capacité est supérieure à celle du petit silo du port, étant précisé que les 2 usines, ensemble, produisent chaque jour autour de 1.500 et 2.000 tonnes de sucres !
À part cela, les usiniers ne savaient plus où mettre le sucre !
Ajoutez à cela le fait que plus de la moitié de la production sucrière de La Réunion ne passe pas par les silos : ce sont les "sucres spéciaux" qui sont expédiés par... containers.
Cherchez l’erreur !

Une attitude patronale qui trouble l’ordre public

Pour ce qui concerne les aliments pour bétail, à l’URCOOPA comme chez SANDERS (propriété de l’usinier du Gol, soit dit en passant) qui se partagent le marché, les magasins étaient pleins ; à la coopérative des Avirons, il ne manquait ni de grains, ni de provende... et jusque même dans les magasins de détail. À part cela, à en croire certains, volailles, canards, lapins, vaches et autres étaient à l’agonie dès le mercredi aux aurores !
Ça, c’était pour la grève du port de l’autre semaine dernière. Un mois plus tôt, on avait assisté au même phénomène, lors de la grève éclair à la SRPP : les travailleurs n’avaient pas encore quitté leurs bleus de travail que RFO, toujours en avance sur l’information dans ces cas, claironnait aux aurores : la grève du carburant, l’asphyxie de l’économie et tout. Conséquence : dès le milieux de la matinée, les automobilistes se précipitaient dans les stations, et le soir, les cuves des stations qui durent en général 3 ou 4 jours étaient à sec !
On peut se demander, là, qui prend en otage qui ? Cette attitude patronale, cette orchestration relèvent manifestement du trouble à l’ordre public.
C’est d’abord, bien-sûr, une remise en cause du droit de grève des salariés. Mais la grève, c’est d’abord et avant tout la conséquence d’une absence de dialogue à l’intérieur de l’entreprise. Soit, comme cela se passe le plus souvent, il n’y a pas de dialogue à l’entreprise et du coup, les salariés sont mis dans l’obligation de se mettre en grève ; soit le dialogue lui-même a échoué. Il faut donc prendre la grève comme un appel au secours des salariés pour forcer l’entreprise à discuter et à négocier.

Manque de dialogue dans les entreprises

Alors, ceux qui provoquent délibérément ces campagnes d’intoxication - et même, dans certains cas, l’organisent - devraient y réfléchir à 2 fois : s’il n’y a plus de dialogue à l’intérieur des entreprises (c’est ce qui est entrain de se passer aujourd’hui) et si, dès que les travailleurs se mettent en grève pour forcer le dialogue, il y a tout ce tapage, qu’est-ce qui va lui rester pour s’exprimer, pour exprimer son mécontentement, pour défendre ses revendications et ses droits ?
C’est la voie ouverte à ce que l’on appelle des grèves "sauvages", résultant pour beaucoup d’une accumulation de colères rentrées, de frustrations... Et là,... Nous avons connu, dans le passé, de telles situations, les "jeunes" patrons d’aujourd’hui devraient s’informer.
Quant à certains dirigeants planteurs qui ne ratent jamais une occasion de hurler avec les loups, ils devraient eux aussi y réfléchir à 2 fois. Car, lorsque leurs productions sont menacées, ils n’hésitent pas à appeler à la mobilisation générale pour soutenir leur action - soutenir la canne, soutenir les productions locales contre les importations, contre les situations de monopole, etc... : croient-ils vraiment qu’ils créent là les conditions d’une telle solidarité ?
Tout cela mérite réflexion.
Il n’y a pas à dire : il est préférable de discuter, de négocier plutôt que de diaboliser les travailleurs qui sont eux aussi des consommateurs.

Georges-Marie Lépinay


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