Écoutants(es)

« Nous ne sommes pas différents des gens qui nous appellent, nous sommes simplement dans des situations différentes »

28 janvier 2009, par Jean Fabrice Nativel

Heureusement que les écoutants(es) sont au bout du combiné. Ils tentent avec leurs interlocuteurs(trices) de trouver les bonnes ’combinaisons’ pour leur permettre d’aborder et d’être responsables de leur vie et d’avoir confiance en eux.

Dîtes-nous tout sur votre métier d’écoutant(e) ?

- Bénévole 1 : Ce n’est pas mon métier. Si je suis écoutante, c’est simplement parce qu’en tant qu’être humain, avec mon vécu et mes expériences, je me sens assez forte en ce moment de ma vie pour écouter des personnes me parler de leurs problèmes. Le jour où je ne m’en sentirai plus capable, j’arrêterai.

- Bénévole 2 : Écoutante n’est pas un métier, c’est plutôt un service que l’on rend du mieux qu’on peut parce qu’on n’est pas insensible à la détresse des autres et qu’on a un peu de temps à donner.

- Bénévole 3 : Pour moi, être écoutant relève de l’engagement et du bénévolat et pas du métier. Nous sommes souvent pressés et accaparés par nos soucis quotidiens. Et pour peu que notre travail et nos familles nous prennent trop de temps, il nous reste si peu à donner aux autres... Pourtant, nous avons tous besoin de nous sentir utiles aux autres à un moment de notre vie. Être écoutant, c’est me permettre d’être ouvert aux autres : les inconnus qui souffrent de solitude et de mal de vivre. Je leur apporte une oreille et un peu d’humanité. Eux m’apportent de l’humilité et me rappellent à quel point nous sommes fragiles.

Chaque personne est unique

Ces personnes vous contactent. Elles sont peinées, désespérées. Certaines sont sur le point de se suicider ou de tenter de le faire. Quels sont les mots que vous leur dîtes pour les réconforter ?

- Bénévole 1 : Les mots pour réconforter... Pas facile comme ça de répondre. Chaque personne qui appelle est unique et je n’ai pas vraiment de phrases toutes faites pour réconforter. Je pense que si la personne qui appelle peut ressentir mon empathie au travers du son de ma voix, au travers des mots que je peux dire, au travers de mes silences, c’est surtout comme ça que je peux la réconforter.

- Bénévole 2 : Avant de leur dire des choses, on les écoute. Puis on essaie de les amener à une attitude plus positive avec des mots simples et sans les brusquer.

- Bénévole 3 : Les motifs d’appels sont très divers. Mais, effectivement, les appelants ont tous en commun le sentiment de solitude et de souffrance. Invariablement, leur demande est d’abord la rupture de leur isolement et l’allégement de leurs angoisses. Quand on écoute, on garde à l’esprit cet objectif et on encourage l’appelant à s’exprimer à sa guise. Mes interventions sont limitées et dirigées vers le dénouement positif de la situation de la personne. Les mots ont moins d’importance que le rapport qui s’établit entre nous deux. Cependant, je choisis des mots et des expressions positifs. J’essaie de lui faire revivre des moments où elle avait confiance en elle ; de lui faire voir sa situation sous d’autres angles plus engageants.

Parlent-elles facilement de ce qu’elles vivent ou subissent ?

- Bénévole 1 : Certaines personnes parlent facilement tout de suite sans besoin d’être encouragées. D’autres sont un peu gênées, mais arrivent à se confier un peu plus à chaque appel. D’autres préfèrent avoir affaire à certains écoutants particuliers qui leur ont donné leur pseudo. Et pour certaines, je ne sais pas encore quel est leur problème même si je les ai eues plusieurs fois au bout du fil.

- Bénévole 2 : Cela dépend. Certains parlent facilement de leurs problèmes. D’autres beaucoup moins. Chaque cas est unique et doit être traité comme tel, même si les causes des appels peuvent se résumer à quelques-unes. L’appelant est souvent un peu sur la réserve lors du premier appel, mais un lien de confiance s’établit peu à peu, avec le même écoutant ou avec d’autres, au fil des semaines.

- Bénévole 3 : C’est variable. Certaines personnes ne sont pas en extrême détresse. Elles appellent juste pour rompre leurs solitudes, elles exposent une situation de leur choix, et quand elles ont fini, elles se sentent mieux et nous quittent apaisées. D’autres personnes sont en crise ou extrêmement éprouvées. Et là, il arrive qu’une personne appelle et raccroche sans qu’elle ne prononce un mot. C’est dans ces situations qu’il est important et difficile de maintenir la communication.

Le besoin de parler des problèmes rencontrés

Mais qu’ont-elles à vous dire de si douloureux ?

- Bénévole 1 : Pour beaucoup, c’est la solitude qui pousse à appeler, le besoin de parler à quelqu’un, le besoin de se lâcher un peu. En général, c’est le besoin de parler des problèmes qu’elles rencontrent, de problèmes que tous nous pouvons rencontrer à des degrés divers (ennui, divorce, maladie, problèmes relationnels au travail ou dans la famille, chômage, précarité, etc...). Pour quelques personnes, et heureusement pas la majorité, ce sont les violences, le viol ou l’inceste subis dans l’enfance, la dépression... Ceci dit, tous les appels ne sont pas forcément dramatiques, il m’arrive de rire avec des appelants, de discuter de choses et d’autres. Et entendre une personne chanter pour soi, comme ça m’est arrivé, est assez génial je dois dire...

- Bénévole 2 : Les choses douloureuses dont on nous fait part sont de natures très diverses : les difficultés au sein du couple, au sein de la famille, les problèmes sentimentaux, les ruptures, les difficultés financières ; les problèmes avec l’alcool ou la drogue, la détresse sociale ; mais la constante est la solitude (ou l’impression de solitude) qui rend ces problèmes insurmontables à celui ou celle qui ne se sent pas capable de les affronter seul(e).

- Bénévole 3 : Les situations sont aussi variées que les personnes qui appellent. Des femmes maltraitées dans leur foyer. De nombreuses mères seules ou élevant seules leurs enfants. Elles font face à un quotidien aliénant, à des enfants difficiles et un avenir incertain. Parfois, des pères désemparés devant une perte de travail ou de revenus, et l’éclatement de leur foyer.

Etes-vous affecté(e), blessé(e) par ce que vous entendez ?

- Bénévole 1 : Oui, il m’arrive d’être affecté par certaines confidences, il y a des situations qui m’émeuvent plus que d’autres. Je ne me suis cependant encore jamais senti débordé par mes émotions, même s’il m’est arrivé de les exprimer à la personne, ce que j’essaie d’éviter. Je ne me suis par contre jamais senti blessé par ce que j’ai pu entendre.

- Bénévole 2 : Comment ne pas être touché, surtout par les cas les plus douloureux ? D’autant que nous ne sommes pas des professionnels “blindés” par des années de pratique.

- Bénévole 3 : Dans tous les cas, ce qui est vécu douloureusement, c’est souvent l’impression d’un manque de reconnaissance de leur environnement, la dépersonnalisation et le sentiment d’inutilité.

On s’encourage mutuellement

Comment faîtes-vous pour tenir le coup ?

- Bénévole 1 : Je ne fais pas que ça... J’ai d’autres activités, je travaille ailleurs, je m’occupe de ma famille, je vois des gens, je fais du sport, de la méditation. En fait, je ne fais rien de spécial, j’évite simplement de trop penser aux situations qui m’ont le plus touché.

- Bénévole 2 : On tient le coup en en buvant un !!! Plus sérieusement, on essaie de faire la part des choses en se disant que le monde est ce qu’il est et qu’on n’est pas soi-même à l’abri des coups durs. Autrement dit, nous ne sommes pas différents des gens qui nous appellent, nous sommes simplement dans des situations différentes.

- Bénévole 3 : Nous savons que nous pouvons compter sur les autres écoutants. Nous profitons des rencontres entre membres pour échanger sur nos expériences et nous encourager mutuellement. Nous avons également régulièrement avec un psychologue des séances de travail sur les difficultés que nous rencontrons et notre équilibre affectif.

Quelles sont les qualités d’une écoutante ?

- Bénévole 1 : La disponibilité, la patience, la maîtrise des émotions, le non-jugement, l’empathie. En fait, je crois qu’il faut pas mal de qualités, mais je n’ai pas la prétention de les posséder toutes et parfaitement. Je pense quand même qu’on peut progresser avec l’expérience, tout le temps qu’on s’en sent capable.

- Bénévole 2 : Je dirais qu’il doit d’abord savoir écouter, ce qui paraît assez logique. Il doit être modeste, ne pas se prendre pour le Bon Dieu. Mais en même temps, il doit être disponible, ouvert, tolérant, chaleureux, ce sont ces qualités qui lui permettront d’établir un dialogue fructueux, ou tout au moins d’échanger avec l’appelant. Le fait d’avoir une voix “radiogénique” qui passe bien au téléphone peut constituer un petit plus. Par contre, il n’est pas vraiment nécessaire d’avoir un physique de jeune premier (la preuve !) ou de starlette !

- Bénévole 3 : Ecouter, c’est être capable d’être en empathie avec la personne qui nous appelle. Cela suppose une capacité à se mettre à la place de l’autre pour mieux appréhender ses émotions. C’est épuisant parce que notre sensibilité est soumise à des affects très négatifs. Donc nous sommes forcément confrontés à cette souffrance, et considérablement affectés.

Jean-Fabrice Nativel 


7 idées fausses sur le suicide

• Parler de suicide à un suicidaire est dangereux : FAUX
Accepter d’en parler, c’est :

- permettre à l’autre de se sentir reconnu dans sa souffrance

- rompre son isolement

• Ceux qui se suicident sont des malades : FAUX
Tout le monde peut, un jour ou l’autre, penser au suicide devant des difficultés apparemment insurmontables.

• Ceux qui en parlent ne passent pas à l’acte : FAUX
Il faut toujours prendre au sérieux quelqu’un qui parle de suicide.

• Le suicide est imprévisible, on n’y peut rien : FAUX
La plupart des tentatives sont annoncées de façon plus ou moins explicite.

• Le suicide est un choix individuel, on n’a pas à intervenir : FAUX
Celui qui pense au suicide se sent au contraire dans une impasse et considère qu’il n’a plus le choix.

• Le suicide est héréditaire : FAUX
Il n’y a pas de gène du suicide.

• Ceux qui avalent des comprimés ne veulent pas mourir. Ceux qui veulent se suicider vraiment emploient les grands moyens : FAUX
Il n’y a pas d’adéquation entre la gravité de l’acte et son motif. Toute tentative, même la plus bénigne, doit être prise au sérieux.


"Précarité et suicide" le jeudi 5 février

À l’occasion des 15èmes Journées nationales de prévention du suicide, SOS Solitude organise une soirée débat - de 18h00 à 21h30 - à la salle d’honneur de la Mairie de Saint-Pierre le jeudi 5 février. Le thème est "Précarité et suicide".


"Petits mensonges sans conséquences" et "Santé psychique, précarité, exclusion et tentation suicidaire"

Cette soirée-débat est animée par des intervenants et appuyée par un document DVD en deux parties (25 minutes) et réalisé par l’UNPS.
"Petits mensonges sans conséquences" ou comment on peut voir sa vie familiale, professionnelle et sociale basculer dans la précarité avec son cortège d’angoisses, d’incertitudes et d’isolement pouvant conduire à la tentation suicidaire.
"Santé psychique, précarité, exclusion et tentation suicidaire", une rencontre avec Jean Furtos, psychiatre, directeur scientifique de l’Observatoire National des pratiques en Santé Mentale et Précarité (ONSMP-ORSEPERE). Apportent aussi leur “grin d’sèl” :

- Dr Laurent Denizot, médecin responsable du pôle psychiatrique du Groupe Hospitalier Sud Réunion - Thème : Etat des lieux - Quels réseaux de préventions à La Réunion ? ;

- Roger André de l’Association Réunionnaise des Familles et Amis des Malades et Handicapés Psychiques (ARFAMHP) - Thème : souffrance psychique, précarisation et risques suicidaires ;

- Dany Boulanger de Sidaventure (association de lutte contre le SIDA) - Thème : Précarité et risques suicidaires dans les milieux homosexuels ;

- Julie Sartre de l’Association des Maisons Familiales de La Réunion (AMAFAR) Thème : Violence familiale, victimes, précarité et risques suicidaires.


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