Entretien avec Maryse Dache, de la Maison des Chômeurs du Port :

« ... Nous nous demandons parfois dans quelle société nous sommes »

24 mai 2008

A la Maison des Chômeurs et des Mal logés du Port, que dirige Maryse Dache, beaucoup de sans domicile et sans travail retrouvent une convivialité et un toit. De plus en plus, les bénéficiaires sont associés à la marche de la Maison qui, ainsi, devient leur Maison. Et mercredi, ils feront ensemble leur première cueillette des goyaviers, à la Plaine des Palmistes. Mais devant l’aggravation de la situation pour de nombreuses familles, Maryse Dache s’inquiète : les associations comme la sienne auront-elles encore demain les moyens d’aider les familles en grande difficulté ?

Votre association va vivre un temps fort de son activité la semaine prochaine. De quoi s’agit-il ?

- Nous préparons une sortie “cueillette des goyaviers” le mercredi 28, avec les membres du Comité et les bénéficiaires du service repas. C’est un public mélangé, que nous voyons tous les jours : il y a les sans domicile et des gens en très grande difficulté financière. Cela représente une trentaine de personnes.
Selon notre budget, nous faisons une ou deux sorties semblables dans l’année. L’année dernière, nous en avons fait deux : la Maison du Volcan couplée avec Miel Vert en début d’année, puis Cilaos. A la Maison du Volcan, le directeur lui-même nous a reçus, a guidé la visite et nous a projeté le film sur la neige d’octobre 2006 sur le volcan. C’était magnifique. Nous avions pique-niqué à la Plaine des Cafres et nous étions descendu après à Miel vert.

Marie France, la secrétaire, est l’adulte-relais qui s’occupe de la partie administrative et de l’Orientation.
(photo P.D)

En juin, nous sommes partis pique-niquer à Cilaos. Nous avons rendu visite à un producteur de vin, tout le monde a dégusté, puis nous avons déjeuné dans la nature. Comme nous ne sommes pas sortis depuis, nous avons préparé cette sortie à la Plaine des Palmistes, pour une première cueillette des goyaviers.

L’association a aujourd’hui plus de 10 ans : comment se porte-t-elle ?

- Depuis la création, en 1997, nous avons construit beaucoup d’actions, mais là, avec la disparition des Contrats aidés (CES, CIA et CEC), nous sommes un peu inquiets pour l’avenir. Nous avons fait en février dernier deux demandes de contrats CUI (Contrat Unique d’Insertion). Nous avions fait un projet, pour deux emplois, au moment des Contrats d’avenir (CAV), qui a été validé à ce moment-là. En février, le CAV a disparu pour laisser place au CUI et nous avons donc refait une convention CUI. Nous attendons la signature pour que les deux personnes puissent prendre leur poste. Cela concerne un animateur informatique et un agent d’accueil.
L’animateur informatique est remarquable. Depuis le mois d’avril, il vient, en bénévole, animer l’atelier de la Maison des Chômeurs, en attendant de pouvoir signer son contrat. Il assure bien pour les personnes qui ont un CV ou une lettre de motivation à faire. Nous préparons notre journée Portes ouvertes et nous avons commencé à travailler les affiches et les invitations, pour le 13 juin ; c’est lui qui a tout fait. C’est quelqu’un de l’océan Indien, qui a vraiment besoin de travailler et qui s’est très bien intégré ici. J’ai eu dans la semaine un appel téléphonique disant que « c’est en bonne voie et que ce sera fait avant le 1er juin ».
Mais mes craintes tiennent aussi au fait que les CUI, apparemment, seront plus tournés vers le secteur marchand. Nous n’avons pas d’activité marchande. Nous avons eu la chance que les contrats aient été validés avant l’instauration du CUI. Avec un CAV, j’aurais été tranquille pour deux ans. Un CUI est valable 6 mois, et peut être renouvelé. Comme beaucoup d’associations, nous ne savons pas ce que nous allons faire. Nous n’avons pas les moyens financiers pour faire une embauche, payer des charges - qui sont des choses assez conséquentes. Nous serions amenés à ne plus faire d’action, parce que nous ne pouvons pas demander à des bénévoles de tout faire. Nous pouvons essayer, à plusieurs, de mutualiser nos moyens. Mais si nous n’avons plus de salariés, nous ne pourrons plus assurer l’activité de nettoyage, qui est conséquente. Nous ne pourrons plus assurer non plus l’activité repas.

Qu’est-ce que les personnes sans ressources trouvent à leur MDC du Port ?

- Le matin, quand ils arrivent, ils prennent leur douche, puis le petit-déjeuner (café, gâteaux). Ils donnent leur linge pour mettre à la machine, ils ont un placard pour mettre leurs affaires. Et à midi, ils ont un repas. Il faut bien entretenir la salle à manger, mettre le linge à la machine, l’étendre... Les sans domicile contribuent pour une part à cet entretien de la Maison : ils nettoient la table, ils remplissent les bouteilles, ils lavent leur vaisselle, les grosses marmites aussi. Il reste la machine - une machine de 10 kg, que nous avons achetée et qui tourne tous les jours - et le nettoyage des locaux.
Pour l’instant, nous avons un adulte relais, qui s’occupe de toute la partie administrative du Comité et des dossiers des bénéficiaires (mises à jour CMU, demandes de logement, rendez-vous avec le centre d’alcoologie...). Cet emploi est pris en charge par l’Etat, pour trois ans, renouvelable. Marie-France s’occupe de tout ce qui est administration et Orientation. C’est l’un des 7 postes pris en charge par la DRASS, au Port. La DRASS et la Préfecture. La Préfecture s’informe de nos activités : il leur arrive de passer, à l’improviste, pour une visite ; ils voient que ce ne sont pas des emplois fictifs, c’est du concret. Ma crainte s’est un peu dissipée, mais tant que je ne verrai pas le contrat signé...

Quels projets faites-vous ?

- Nous aimerions travailler davantage avec les distributeurs des grandes surfaces : qu’ils mettent à disposition des associations qui en ont besoin quelques-uns des produits qu’ils ne peuvent pas commercialiser. Nous avons fait plusieurs demandes (SAPRIM, CADRE, SODEXPO, Leader Price...). Avant, nous avions des denrées alimentaires assez régulièrement, mais plus maintenant. Peut-être parce que d’autres associations font plus de bruits que nous. J’en connais qui font une grosse pub chaque fois qu’ils obtiennent des soutiens. Nous, nous travaillons avec des familles et nous ne pouvons pas faire une grosse publicité. Il faut respecter les familles. N’importe qui peut se retrouver un jour ou l’autre en difficulté financière. Surtout actuellement, avec la flambée des prix. Les familles n’arrivent pas à la fin du mois. Les salaires ne sont pas revalorisés et les familles ont de plus en plus de difficultés. Surtout depuis l’euro. Auparavant, on avait un paquet de brèdes pour 3 à 4 francs au marché forain. Maintenant, si on n’a pas 1 euro ou 1 euro 50, on ne suit plus. Or, c’est plus du double ! Nos salaires n’ont pas doublé.

Combien de familles aidez-vous ?

- C’est variable. En ce moment, un père de famille vient tous les jours prendre des repas à emporter. Je crois qu’il avait une entreprise, il a fait faillite et tout son RMI passe dans le paiement des dettes. Il y a aussi un jeune d’une vingtaine d’années, trop jeune pour avoir le RMI. Après un séjour en prison, il s’est retrouvé à la rue. Nous travaillons avec les gens que le GUT et le CCAS nous envoient : ils sont en difficulté, ou en retard pour le versement des allocations, après n’avoir pas rempli convenablement leur déclaration de ressources auprès de la CAF. Ce sont des familles comme cela que nous aidons. Il y a aussi des familles qui n’ont pas payé leurs impôts locaux et dont le compte est saisi à la demande du Trésor Public ; cela se fait aussi... Nous nous demandons parfois dans quelle société nous sommes. Tout ce qui avait été acquis il y a plus de 50 ans est remis en cause. Il y a une nette régression... On marche à reculons !

Y a-t-il un moyen ou un appui qui vous semble indispensable pour être plus efficace auprès de vos publics ?

- Il nous manque, je pense, de pouvoir opérer avec des travailleurs sociaux, auprès des SDF surtout. La DRASS ou le CG pourraient peut-être mettre un travailleur social à disposition, pour des entretiens individuels avec ces personnes. Nous faisons déjà beaucoup, mais si nous avions un suivi individuel personnalisé, cela complèterait...
Nos publics ont de 23 à 62 ans... Les plus âgés sont des personnes qui n’ont jamais travaillé, qui n’ont pas de retraite. Ils sont au RMI et en grande difficulté financière. Quant au plus jeune, il est vraiment sans ressource, mais s’il pouvait bénéficier d’un suivi individualisé, il en ferait le plus grand profit. C’est quelqu’un qu’on peut réintégrer socialement, avant qu’il soit trop tard. Pour les autres aussi, un suivi serait important ; ne serait-ce que pour les remettre dans des activités occupationnelles, dans les heures de la journée où ils sont livrés à eux-mêmes... après le déjeuner.

Propos recueillis par P. David

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