Le Plan Borloo : « une nouvelle donne » ?

Pacte social : les dés sont pipés

26 juillet 2004

Tout le monde se souvient de la présidentielle de 1995, où le candidat Chirac avait axé sa campagne sur « la fracture sociale ». Et personne n’a oublié la remise en cause des acquis sociaux par le gouvernement Juppé qui a suivi l’élection du patron du RPR à la présidence de la République. Depuis l’élection présidentielle de 2002, c’est la même politique qui a été mise en œuvre. Et le Plan Borloo, dit de cohésion sociale, contient les mêmes travers.

S’exprimant à la suite de la présentation du Plan Borloo dit de cohésion sociale, le chef de l’Etat déclarait qu’"au cours des 15 dernières années, malgré des périodes de forte croissance, les inégalités n’ont pas cessé de croître".
Emploi, formation, logement : le projet du ministre de la Cohésion sociale prétend offrir une vision d’ensemble susceptible de répondre aux besoins des "oubliés de la République"... tout en réduisant les dépenses publiques, "souvent inutiles et inefficaces", dit-il.
Le ministre annonce un budget total de 13 milliards pour financer ses mesures, mais les premières dotations sont déjà remises en cause. Et ce plan vient après la remise en cause de nombreux acquis sociaux par le gouvernement Raffarin à travers la réforme des retraites, celle de l’assurance maladie, celle des 35 heures etc.
Dès 2003, afin de justifier le recul de ses engagements budgétaires, le gouvernement a fait appel à son argument clé : la maîtrise des dépenses publiques, autrement dit le désengagement de l’Etat. Comme à chaque fois, la contrainte économique occulte le débat de fond et les raisons techniques sont toujours avancées pour réduire l’effort public. C’est pourquoi à l’annonce de ce nouveau plan, les scepticisme demeure.
Car l’effet d’annonce occulte les véritables enjeux de la cohésion sociale. La crise du logement est vécue depuis plusieurs années comme une bombe à retardement par tous les acteurs du secteur. Au drame du chômage et au mal-être de la jeunesse, le gouvernement répond par de nouvelles alternatives précaires, qui vont laisser davantage d’exclus sur le carreau si aucune insertion professionnelle durable n’est envisagée.

Rompre avec le passé

La crise du logement représente une problématique complexe qui pour être traitée avec cohérence doit s’appuyer sur une politique volontariste, orientant l’action publique vers le droit au logement pour tous, sans exclusion.
Dès 2001 pourtant, la loi de lutte contre les exclusions avait permis de constater une certaine relance (après le déficit de construction accumulé dès le début des années 80) dans l’offre de logements, accompagnée par une reprise économique et la relative stabilisation des aides au logement en France. A La Réunion, grâce à la bataille pour l’égalité sociale (alignement de la plupart des prestations sociales et du SMIC), la consommation des ménages a continué d’être le principal moteur de l’économie. La mandature précédente marquait alors une volonté d’entreprise en amplifiant la politique conduite en faveur du logement des plus défavorisés et en adaptant l’offre aux capacités financières des ménages. Elle proposait ainsi une politique du logement globale et cohérente (conventionnement "Besson", loi de Solidarité et Renouvellement Urbain - SRU), dont les mesures n’avaient pas encore pris pleinement leurs effets au moment du changement de majorité.
Malgré le déclin de la construction neuve, la flambée des prix du foncier et l’aggravation du fossé entre l’offre et la demande de logements, les nouveaux gouvernants n’ont pas jugé bon, à leur arrivée au pouvoir, de mettre en œuvre une politique en faveur du droit au logement pour tous. Le ministre du Logement de l’époque, Gilles de Robien, a même préféré modifier l’article 55 de la SRU obligeant les maires de certaines communes à compter 20% de logements sociaux sous peine de sanction, le jugeant "inefficace et injuste".

Insécurité sociale omniprésente

Nombre d’acteurs institutionnels pensent qu’en France et encore plus à La Réunion, la politique en faveur du logement des défavorisés manque d’impulsion et n’est pas traitée par les responsables à la mesure des besoins. D’ailleurs, en métropole comme à La Réunion, la crise du logement ne touche plus uniquement les personnes les plus démunies mais s’étend aux salariés modestes qui, même en disposant d’un emploi stable, vivent avec de trop faibles revenus.
Dans le même temps, les emplois précaires, faiblement rémunérés, se développent, de même que les érémistes et les emplois à durée limitée : l’insécurité sociale est omniprésente.
Ce phénomène est lié aux différentes politiques d’abaissement des cotisations sociales patronales sur les bas salaires depuis 1990. Et l’aide de l’Etat aux contrats-jeunes en entreprise accroît ce phénomène, car limitée au-dessous du SMIC.
Et le Plan Borloo n’apporte pas de changement sur le fond. On y parle de "contrat d’activité", contrats aidés, alternance - inadaptés au demeurant pour l’accessibilité au logement -, tout en insistant sur les sanctions et le renforcement de la législation en matière de contrôle des chômeurs.
Là encore, le gouvernement consent un allégement de la fiscalité des employeurs sans pour autant garantir le suivi d’une formation sérieuse pour les apprentis et fait appel au tissu associatif, dont les subventions ont antérieurement été réduites. C’est cela la "nouvelle donne sociale qui rompt avec les logiques du passé", dont parle le président Chirac ? Non merci...!

Estéfany


Manque d’ambition

Le Plan Borloo ne parle pas d’emploi, mais d’activité, pas d’insertion à long terme mais d’apprentissage ou d’alternance, avec un nouveau bonus à la clé pour les employeurs.
Ce plan ne parle pas non plus d’élaborer une ambitieuse politique du logement social. Pas de nouvelle conception de l’habitat pour les plus nécessiteux qui, on le sait, souffrent de ce parcage dans les HLM. Pas d’adaptation de l’offre à la diversité des demandes, car même les salariés souffrent aujourd’hui d’une pénurie de logements adaptés à leurs modestes revenus.
Pas non plus de révolution dans la politique d’aménagement urbain. Et pourtant, pour rompre la fracture sociale, c’est bien à la fracture urbaine qu’il faut s’atteler.
Le plan met en cause un système de droits sociaux jugé trop généreux. Du coup, les "oubliés de la République" se multiplient.


Des moyens insuffisants

Six ans après la promulgation de la loi du 29 juillet 1998 faisant de la lutte contre les exclusions une priorité, il apparaît que son application effective nécessite des améliorations, tant le dispositif est complexe et la multiplication des instances compétentes un véritable dédale.
Le plan national de renforcement de lutte contre la précarité et l’exclusion pour 2003, qui reprend un certain nombre d’objectifs antérieurs, semble là encore en retrait dans son application. Par exemple, le gouvernement prévoit une table-ronde sur la décentralisation du logement avec les associations pour les soutenir sur le terrain, de même que des rencontres régionales et locales. Mais le budget 2003 a réduit les aides financières à destination de ce même tissu associatif.
Idem pour l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH), auquel le plan Borloo fait appel pour la production de 40.000 logements privés à loyers modérés et qui en 2002 a vu diminuer ses crédits de 11%, amputant l’effort d’amélioration du parc locatif privé qui accueille de nombreux ménages modestes.


20% de logements sociaux à l’échelle intercommunale

Revenir sur l’article 55 de la SRU a marqué une volonté de la droite d’assouplir l’obligation faite aux maires de construire des logements sociaux. Initialement, les communes concernées par cette obligation devaient afficher un seuil de 1.500 habitants, réévalué par la modification de l’article à 3.500 habitants. Selon Gilles de Robien, "un maire qui ne veut vraiment pas construire de logements sociaux a intérêt à payer les pénalités prévues (par la loi) plutôt qu’à payer l’autofinancement nécessaire à un logement social".
Auteur d’un véritable processus de ségrégation sociale, le gouvernement permet ouvertement aux communes de se désengager de la construction de logements sociaux en les transférant dans les communes voisines. Passant de 40.000 à 52.000 logements sociaux, en trois ans, cette obligation législative avait permis sur le total de cette augmentation la construction de 18.500 habitations sociales. Ainsi, répondre à la demande de logement des plus démunis n’est plus, depuis 2003, une obligation communale mais bien intercommunale, offrant ainsi sur le plateau du libéralisme les œillères de l’indifférence face aux besoins des plus défavorisés.


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