Histoire d’une reconversion réussie : Odile Singa, la féline des pistes d’athlétisme

PORTRAIT

31 juillet 2006

"J’aime la passion selon Saint-Mathieu et Tine Blues"

La Réunionnaise Odile Singa a longtemps brillé sur les pistes d’athlétisme du monde : Réunion, France, Cuba, Guyane, Japon et Afrique du Sud. Cette féline est restée 10 ans en équipe de France et a été 3 fois sacrée Championne de France. Rencontre avec une athlète de haut niveau qui a poussé non loin d’un baobab au quartier des Camélias à Saint-Denis.

Pour réaliser ces chronos, vous avez dû vous sacrifier. Racontez nous le début de cette aventure ?

- Le seul sacrifice, c’était le départ de La Réunion : une vraie déchirure, car très ancrée à la famille, aux amis et à la culture réunionnaise. Mais ça a été aussi une chance incroyable de s’ouvrir au monde et de découvrir qui j’étais vraiment... J’ai eu la chance de rencontrer des gens (entraîneur, athlètes) pour qui la relation humaine primait sur le résultat.

La partie a-t-elle été facile ?

- On tombe, on se relève. On gagne, on perd à l’image de la vie quoi ! L’un ne va pas sans l’autre : pas de victoires sans défaites, il faut renaître des deux.

Vous vous souvenez de vos chronos ?

- Je ne m’en rappelle jamais vraiment : 11’36 sur 100 mètres, 23’23 sur 200 et 7’24 sur 60 je crois... dont un temps sur 100 mètres en junior qui est toujours un record de La Réunion. Peut-être plus pour longtemps car le niveau monte ?

Aujourd’hui, vous exercez la profession de masseur kinésithérapeute, une belle reconversion. Comment avez-vous fait pour concilier meetings d’athlétisme et études ?

- Bon en même temps, c’était pas l’usine hein ! Mais je me souviens de certains “craquages” car les emplois du temps étaient très denses entre les cours : les stages, les entraînements, les “compètes” et les examens !

Les athlètes de haut niveau qui mettent un point final à leur carrière sportive tombent semble-t-il dans l’anonymat. Ce retour sur Terre, vous l’avez surmonté ?

- Ce n’est que le reflet de la société “kleenex” dans laquelle on est : on prend, on presse et on jette. Le sport n’est qu’un reflet de ce mécanisme général.

Vous proposez-vous d’aider ces athlètes ?

- La Commission Insertion du CROS (Comité Régional Olympique et Sportif) dans laquelle je suis, travaille depuis 1 an sur une “cellule” d’accompagnement qui aurait pour mission le recensement, l’écoute et le soutien dans la recherche d’emploi et de formation avec des professionnels. En effet, beaucoup de sportifs de très haut niveau à La Réunion plus qu’ailleurs se retrouvent sans rien, dans une situation de détresse importante.

Vous vous êtes retirée des pistes, mais vous vous tenez informée de l’évolution du sport. Quel est votre regard sur le monde sportif dans sa globalité d’une part ? Et d’autre part sur l’athlétisme, l’entraînement des sportifs de haut niveau ?

- Je suis partagée entre la beauté du geste qui me fait toujours vibrer car j’en connais le prix, la valeur. C’est comme un musicien qui compose, un sculpteur ou un peintre. Tu travailles des heures et des heures, dans la neige, la pluie, le vent. Jusqu’au bout du souffle, jusqu’à l’écœurement, tu n’y crois plus. Et puis, comme par miracle, il y a un moment magique où tu n’existes plus : tu ne fais plus qu’un, avec le geste, avec le souffle, avec le ciel, la Terre, tout ce que tu veux ! Et là, ça vaut le coup. Là oui ! Et à côté, il y a ces machines à “perfs” sans âmes, dressées pour “tuer” au service des nations, des médias, du pouvoir et de l’argent en bref. Et ça, ça ne me dit plus rien.

Odile Singa, sur quelle note souhaitez-vous que l’on conclue cette entrevue ?

- Le sportif de haut niveau n’est pas qu’un amuseur public. Il représente une part active de la société (voir les retombées économiques des évènements sportifs. Le dernier exemple : la Coupe du Monde de foot). Tout le monde y trouve son compte (certains un peu plus que d’autres d’ailleurs). C’est la raison pour laquelle on devrait faire en sorte de préparer avec lui (l’athlète - NDLR) une sortie digne de ce qu’il a fait. Une étude - sociologique - a été proposée sur les freins à la réussite notamment. Et en vrac ! Je ne suis ni de gauche, ni de droite, j’arrive trop tard : il y a eu des combats et des victoires. Aujourd’hui, il y a le plus souvent que le spectacle navrant de l’addiction au pouvoir et à l’argent. Je préfère le “rougail” saucisse au goût amer des emplois précaires des hamburgers. J’aime la passion selon Saint-Mathieu et Tine Blues.

Jean-Fabrice Nativel


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