SEMAINE NATIONALE POUR LA PRÉVENTION DU SUICIDE

Qu’est-ce qu’on fait ?

Dix tentatives de suicide par jour à La Réunion

9 février 2007

La Semaine nationale pour la prévention du suicide, entamée ce lundi et qui prendra fin demain samedi, ne suscitent pas grand intérêt à La Réunion. Pourtant, dans notre département, plus de 100 personnes mettent fin à leur jour chaque année. Cela ne mérite-t-il pas de se pencher sur la question ? Et 10 tentatives de suicide par jour, cela ne mérite-t-il pas d’agir pour aider ces personnes en souffrance à reprendre goût à la vie ?

En France, elles sont plus de 10.500 chaque année à passer à l’acte. Un acte extrême de désespoir, révélateur d’un mal-être, d’une solitude, d’une souffrance, d’un isolement. Dans les régions de France, des colloques ouverts aux familles, professionnels et associations sont organisés sur le thème “Envie de la vie”.

Encore un sujet tabou

Selon les statistiques nationales, un suicide survient toutes les 40 minutes. Faut-il ici aussi évaluer le temps qui sépare le passage à l’acte de ces personnes qui cessent volontairement de respirer pour espérer susciter une réaction ? À La Réunion, l’Association Prévention Suicide et SOS Solitude tentent d’alerter les pouvoirs publics sur le phénomène. Lundi, à Saint-Pierre, et ce soir à 18 heures, au Département à Saint-Denis, une conférence-débat est organisée pour réfléchir, mais plus encore agir.
Mais le suicide est encore un de ces sujets tabous dont aime à s’encombrer notre société. Un sujet qui dérange. On préfère ne pas savoir, ne pas admettre que la vie, pour certains, est si pénible que la mort leur apparaît comme le seul recours. A-t-on peur d’être tenté à son tour ? Le Docteur Jean-Claude Combes, responsable du service pédiatrie du CHD de Bellepierre, a bien essayé de mettre en place, l’année dernière, des groupes de paroles à destination des parents dont les enfants traversent avec difficulté la période de l’adolescence. Mais le projet n’a pu être mené à terme, faute de participants. Pourtant, il s’agissait là d’une opération de prévention de la crise suicidaire, indispensable pour permettre aux parents de repérer les signaux d’alertes que peuvent envoyer leurs enfants en détresse. Pour le Docteur Combes, un peu déçu, « c’est souvent au moment où le problème se pose que l’on a besoin du message préventif ».

Repérer les signaux et en parler

On nous dit en Métropole que le suicide des adolescents a diminué de 36% en une décennie (621 ados en 2004 contre 966 en 1993) mais pourtant, à La Réunion, Danone Lutchmee Odayen, Présidente de l’Association Prévention Suicide, soutient que le mal-être des jeunes va croissant, surconsommation médicamenteuse à l’appui, et que certains chiffres sur le phénomène sont masqués (voir entretien) . Dix tentatives de suicide par jour à La Réunion, c’est tout de même énorme. Pour combien de structures d’écoute, de professionnels travaillant sur le sujet ?
Pour le Docteur Combes, c’est à l’école que l’on peut observer les premiers signaux d’alerte pour les jeunes, lorsque les mauvais résultats s’accumulent. « Lorsqu’il s’isole du cercle familial, qu’il commet des transgressions de plus en plus répétées. Mais cela n’est pas toujours facile de faire la différence entre la morosité fréquente chez l’adolescent et la dépression ». C’est là qu’il faut parler, être disposé à écouter aussi bien le jeune que l’adulte en difficulté. « Aborder le problème n’incite pas à passer à l’acte », soutient encore le Docteur Combes. Mais à l’évidence, notre société n’est pas disposée à l’écoute. Pourtant, la dureté de la vie, les problèmes liés à l’emploi, aux finances, aux carences affectives sont suffisamment répandus pour que l’on puisse ne pas rester indifférents. Quand on comprendra que le suicide de l’autre est un constat d’échec pour notre société, peut-être réagira-t-on enfin !

Stéphanie Longeras

Association Prévention Suicide : O-800-62-01-62


Entretien avec Danone Lutchmee Odayen, Présidente de l’Association Prévention Suicide

« La lutte pour la survie concerne tout le monde »

La Présidente de cette jeune association implantée à Saint-Pierre soutient que le suicide est avant tout un problème social. Notre société est génératrice de souffrances qui peuvent conduire à l’extrême, mais elle ne fait rien pour aider les personnes en détresse. C’est, selon elle, dès la petite enfance qu’il faut agir, mais une association seule ne peut rien.

« Les jeunes appellent de toute l’île »

Quel a été le déclencheur qui vous a conduit à créer l’Association Prévention Suicide ?

- Je travaille dans le social, un domaine qui m’intéresse énormément. Lorsque j’ai créé la Case Zouzou, une structure pour la petite enfance, j’ai souhaité travailler avec les parents. Un jour, une maman, confrontée au problème du suicide avec son fils de 15 ans, m’a suggéré d’organiser un débat sur la question. J’ai dit OK. En nous penchant sur ce thème de travail, nous nous sommes rendu compte de la pénurie d’informations, de renseignements à ce sujet. Après 1 an de formation, j’ai ouvert en 2002 l’association dans le Sud, pour des raisons pratiques, car j’y habite. Mais les gens appellent de toute l’île, de la cote comme des écarts.

« Mal-être croissant chez les jeunes »

Quel chiffre retiendrez-vous ? Le nombre d’appels, le nombre de suicidés, le nombre de tentatives ?

- S’il y a un chiffre important à retenir, c’est celui de 10 tentatives de suicide par jour à La Réunion. Dix tentatives par jour, c’est énorme. Et qui dit tentative dit possibilité de récidive. Beaucoup d’appels au secours ne sont pas entendus. Beaucoup de jeunes sont concernés. Il faut les entendre. Lors du débat très riche organisé lundi à Saint-Pierre, une infirmière scolaire a témoigné. Tous les jours, elle est confrontée à des jeunes, filles ou garçons, qui prennent beaucoup de médicaments. Ces cas ne sont pas répertoriés à l’hôpital. Les chiffres relatifs au suicide sont repérés, mais d’autres sont masqués. La prise de médicaments démontre un sentiment de mal-être croissant chez les jeunes et traduit aussi qu’en amont, l’écoute n’est pas là.

« Un problème social avant d’être médical »

Ce défaut d’écoute est-il le révélateur d’un délitement du lien familial et social ?

- Tout à fait. Si les gens en arrivent là, c’est qu’il n’y a pas d’écoute à leurs problèmes dans la famille, l’entourage. C’est pourquoi, je dis souvent que le suicide est un problème social avant d’être médical. Il est révélateur de la fragilité de notre société, de la fracture sociale, du décalage entre ce que je veux/ce que je peux avoir et de cette frustration que cela génère. En période de crise économique, on constate que les suicides augmentent, alors que les personnes confrontées à la guerre ne mettent pas fin à leurs jours, mais luttent pour la vie.

« Qu’est-ce que c’est que cette société qui me lâche ? »

Les appelants vous font part de quel type de problèmes ?

- Très souvent, l’inceste ou les abus sexuels sont en cause. Comment en parler dans la famille ? Comment dénoncer le petit père ou le tonton ? Beaucoup ne parlent pas de ces intimités violées, et c’est au moment où la personne se retrouve en couple que tout revient à la surface, et là, c’est insupportable. Insupportables les mains du compagnon. La personne en détresse se demande alors : « Qu’est-ce que c’est que cette société qui me lâche ? ». Elle est en situation d’abandon. Il y a aussi le problème de la filiation, de ces personnes qui ne connaissent pas leur père. Qui y a-t-il de plus dur que de ne pas connaître son identité ? Mentalement, c’est une souffrance terrible. On peut se faire aider, mais ne sachant pas où, comment, on continue à souffrir dans son coin. Il suffit d’être confronté au problème de l’emploi pour que tous les autres non dits enfouis ressurgissent. Il faut travailler sur la construction familiale, le nœud, la base, mais la société n’est pas assez vigilante sur ce point. Enfin, il y a les gens malades mentalement, mais c’est autre chose. On les repère facilement, car leur propos est décousu, ils partent dans tous les sens. Mais je le répète, le suicide n’est pas qu’un problème psychologique, mais bien un problème de société. C’est notre société qui crée ces situations de difficulté.

« Parler du suicide, c’est parler de la vie »

Tabou ? Désintérêt ? Pourquoi ne se mobilise-t-on pas davantage pour aider ces personnes en détresse ?

- Vous savez, j’ai envoyé des tas d’invitations pour la soirée de débat, mais la majorité est restée sans suite. On ne va pas courir après les gens, chacun se sent responsable, chacun est libre d’apporter sa pierre à l’édifice. L’association ne peut pas tout faire. C’est vrai, le sujet dérange, il est encore tabou, on a peur d’en parler. Pourtant, il ne s’agit pas tant de la mort qui peut effrayer que de l’envie de vivre, intitulé même de cette semaine de prévention. Parler du suicide, c’est parler de la vie. Pourquoi n’a-t-on plus envie de vivre ? C’est le sens de notre action : redonner goût à la vie. Qui peut y contribuer ? La famille, le groupe social, les décideurs. On ne peut pas mettre au monde un enfant pour, après, le laisser dépérir. On ne peut pas laisser ces personnes désocialisées, disqualifiées, ces personnes âgées et handicapées en souffrance. L’individualisme, voilà le problème. On ne veut plus aborder les questions de fond, mais préfère se limiter au paraître, sans aller voir derrière.

Trop d’insuffisances

Que peut-on alors espérer de cette Semaine de la prévention ?

- Elle permet d’ouvrir le débat, de faire que certains pourront se sentir concernés. Elle permet de dresser plusieurs constats : disparition des points et structures d’écoute ; insuffisance de psy de quartiers (3 pour tout Saint-Pierre), de spécialistes pour travailler en réseau ; faible suivi de l’hôpital après une tentative de suicide ; une assistante sociale pour 3 collèges ; une infirmière scolaire pour 20.000 élèves... L’infirmière scolaire l’a clairement dit lundi : « Je ne sais pas quoi faire pour aider tous ces jeunes en détresse ». Et ils sont nombreux. En tant qu’association, nous proposons une écoute téléphonique, mais elle est limitée. On aimerait le faire 24 heures/24 si on était plus nombreux. On fait des interventions ponctuelles dans les associations de quartiers, les collèges, mais il en faudrait davantage. On s’invite un peu partout, mais on attend les réponses. Il faut le vouloir, on ne peut pas forcer les gens.

« Arrêter de se voiler la face »

Le suicide n’est pas une fatalité ?

- On ne peut pas conduire l’action que nous avons engagée si l’on n’en est pas convaincu. Je pense que l’on peut agir pour faire diminuer le phénomène, que l’on peut apporter autre chose aux jeunes, mais cela commence dans les familles, auprès de la petite enfance. C’est là que le travail doit commencer. Avec des personnes ressources, on peut aider les plus petits. On doit miser sur eux, l’avenir de demain, mais ce n’est pas tout de le dire. Il faut arrêter de se voiler la face, tout le monde est concerné. La lutte pour la survie concerne tout le monde. Il faut se poser en situation d’écoute et veiller à la famille. C’est la base, quelle que soit la faille.

Entretien Stéphanie Longeras


Une autre conférence-débat “Envie de Vivre” sur le thème du suicide est organisée ce soir à 18 heures, au Conseil général.


Témoignage

Denise, écoutante à l’Association Prévention Suicide

« Il faut avoir les mots justes »

Certains jours, aucun appel, c’est tant mieux. D’autres, 4, 5, parfois plus. En moyenne, le numéro vert mis à disposition par l’association saint-pierroise, avec l’aide financière de la DRASS, enregistre de 20 à 60 appels par mois. C’est variable. Huit écoutants accueillent à tour de rôle les personnes en détresse.

La détresse n’a pas d’âge

Denise est présente toute la semaine au siège de l’association. Elle nous confie que la structure manque de bénévoles, des bénévoles qui doivent être indispensablement formés à l’écoute. Car tendre l’oreille ne suffit pas à aider la personne en difficulté. Après une formation d’agent de médiation, Denise a suivi un module spécifique. « La formation est essentielle, car elle permet de recevoir les difficultés de l’autre sans faire peser sur nous tout le poids de cette souffrance, explique Denise. Si l’on ne parvient pas à faire ce travail, l’on ne peut pas aider et conseiller la personne. Il faut avoir les mots justes ». Et parfois, ils sont difficiles à trouver. « En cas de crise suicidaire forte que l’on ne parvient pas à calmer, on fait appel à l’hôpital qui pourra alors envoyer quelqu’un au domicile pour intervenir. Certaines personnes nous appellent pour parler, se soulager, car elles ne parviennent pas à se confier à leur famille ou qu’elles préfèrent une personne extérieure qu’elles ne voient pas au téléphone. D’autres se sentent bien puis brutalement, un passé difficile ressurgit. Elles ne veulent pas forcément passer à l’acte, mais ont besoin d’être aidées. Je suis là pour ça ». Et puis, il y a ceux qui passent à l’acte. Comme « ce monsieur de 76 ans atteint d’un cancer et qui a mis fin à ses jours, car il ne voulait plus donner de la peine à sa famille. Il ne supportait plus de se cacher pour pleurer, de se cacher pour souffrir ». Adolescents, adultes, personnes âgées, hommes et femmes, l’idée du suicide traverse nombre d’esprits. Le travail de Denise, comme des autres écoutants, est difficile, mais essentiel pour tenter de redonner goût à la vie.

SL


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