70 % des agents de la fonction publique territoriale à La Réunion n’ont toujours n’ont toujours pas bénéficié d’un plan de titularisation payé par l’État

Quel avenir pour 16.000 agents non-titulaires de la FPT ?

24 mars 2018, par Manuel Marchal

La suppression de 120.000 postes de fonctionnaires et l’extension dans la fonction publique des contrats de droit privé sont vécues comme une remise en cause du statut de la fonction publique. Si ce statut ne s’appliquait plus pour les nouveaux agents du service public, alors ce serait la fin de l’espoir de la titularisation pour plus de 16.000 travailleurs de la fonction publique territoriale à La Réunion. Cela voudrait dire qu’une fois de plus, Paris n’aurait pas respecté la loi du 19 mars 1946 qui prévoyait l’abolition du statut colonial et l’égalité avec la France.

La CGTR-FPT a déploré l’inaction des députés de La Réunion qui ne se sont pas battus pour que l’État rende possible la titularisation de 70 % des agents de la fonction publique territoriale.

Jeudi, des centaines de milliers de personnes ont défilé pour défendre le service public. À La Réunion, de nombreux manifestants ont apporté leur contribution au succès de la journée de mobilisation. Dans notre île, plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Cela montre l’importance du service public, rempart contre les inégalités.

Le service public à La Réunion est une création qui remonte au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Il est contemporain de l’introduction de l’impôt sur le revenu.

Cela a rendu accessible à tout le monde ce qui était auparavant réservé à une minorité fortunée des droits aussi essentiels que se soigner, ou aller à l’école.

Création du service public

Son fonctionnement repose sur le recrutement d’agents titulaires par concours. Ils ont alors un contrat avec l’État et ont un statut spécifique. La création de ce statut remonte là aussi au lendemain de la Seconde guerre mondiale. C’était l’application du programme du Conseil national de la résistance. Une loi datée du 19 octobre 1946 a fixé ce cadre, un ministre communiste, Maurice Thorez, en était à l’initiative. Ce statut apporte la garantie de l’emploi pour préserver l’agent de toute pression partisane. Il inscrit également dans le marbre l’égalité des rémunérations, ce qui signifie qu’à fonction égale, les femmes ont le même salaire que les hommes. Ceci ne concernait à l’époque que la fonction publique d’État.

La Réunion était alors un département français depuis le 19 mars 1946. Cette loi était voulue par les Réunionnais qui avaient élu Raymond Vergès et Léon de Lépervanche pour cela aux législatives d’octobre 1945. Elle prévoyait l’extension à La Réunion au 1er janvier 1947 de toutes les lois existantes en France. Le pouvoir en place a alors décidé d’appliquer pleinement cette loi uniquement pour les 2.000 fonctionnaires de l’époque et il a même été plus loin en leur donnant le supplément colonial qui était jusqu’alors réservé aux chefs de service. Cette décision avait plusieurs objectifs.

Paris divise les Réunionnais

Tout d’abord, il s’agissait de décapiter le mouvement syndical qui avait obtenu l’abolition du statut colonial, car ses dirigeants appartenaient à la fonction publique. Ces derniers basculaient d’un coup dans une classe sociale la plus aisée et pouvaient même se payer du personnel de maison, ce qui avait pour objectif de les détourner de la lutte revendicative qu’ils menaient aux côtés des autres couches de la population. Ensuite, le pouvoir utilisait le supplément colonial pour injecter à La Réunion des transferts publics permettant à cette classe sociale d’avoir le pouvoir d’achat nécessaire pour acquérir des biens de consommation fabriqués en France. Ce fut le point de départ de l’implantation à La Réunion de monopoles qui convertissaient l’argent public en bénéfices privés rapatriés en France. Fort heureusement, des fonctionnaires restèrent fidèles à leur engagement en militant dans le Parti communiste. Ils furent alors la cible de l’Ordonnance du 15 octobre 1960 qui autorisait leur mutation sans appel en France et plusieurs d’entre eux furent exilés.

Ce que la population réussit à obtenir dans un premier temps fut l’application de la Sécurité sociale, création d’un autre ministre communiste, Ambroise Croizat. Elle se déclinait sous la forme de l’aide médicale gratuite, AMG.

Il a fallu que les progressistes continuent la lutte pour que les Réunionnais puissent pleinement bénéficier de la loi d’égalité du 19 mars 1946.

L’État doit payer la sur-rémunération

Plusieurs décennies plus tard en 1983, sous l’impulsion d’un autre ministre communiste, Anicet Le Pors, le statut de la fonction publique d’État était étendu aux fonctions publiques territoriale et hospitalière. Mais à la différence de la fonction publique d’État où le pouvoir central avait tout pris en charge, le gouvernement laissa les collectivités se débrouiller pour assumer le coût de la titularisation. Pendant ce temps, le supplément colonial avait été renommé prime de vie chère, et toute titularisation oblige d’intégrer cette sur-rémunération de 53 % dans le salaire. C’est ce qu’impose la loi. Ceci est considéré par les collectivités comme un obstacle à la titularisation. En conséquence, 70 % des agents des collectivités de La Réunion ne sont pas titulaires, soit plus de 16.000 personnes.

Pour dépasser cette obligation qui ne concerne pas les collectivités en France, les syndicats et les maires étaient arrivés à un compromis en 1994 : l’intégration. Les agents en bénéficiant ont alors obtenu le même salaire qu’en France, le versement du supplément familial et une grille de carrière. À charge pour l’État de débloquer les fonds correspondant à la sur-rémunération afin de transformer l’intégration en titularisation.

Lors de la conférence de presse présentant la mobilisation du 22 mars, la CGTR-FPT a fait part de sa déception concernant l’inaction des députés sur ce point. En effet, depuis plus de 20 ans, cette question n’a pas avancé, et l’État n’a toujours pas mis un centime dans le financement d’un plan de titularisation. La déception est d’autant plus grande qu’entre 2007 et 2012, sur 7 députés de La Réunion tous de la majorité présidentielle, 6 d’entre eux se réclamaient de gauche, tout comme le gouvernement. Mais ils n’ont pas défendu la cause des 16.000 agents non-titulaires qui comptaient sur eux.

Austérité au service des plus riches

Le problème des 16.000 agents non-titulaires dans la fonction publique territoriale n’est donc pas réglé. C’est là qu’intervient la politique du gouvernement actuel. Il compte supprimer 120.000 postes de fonctionnaires. Les syndicats pensent que le but est de ne plus appliquer le statut de la fonction publique aux nouveaux arrivants qui remplaceront les départs en retraite. Ils craignent que ce qui s’est passé à EDF, La Poste et France-Télécom se généralise dans toute la fonction publique.

Une telle éventualité signifie la fin de l’espoir de la titularisation pour 16.000 agents de la fonction publique territoriale à La Réunion. Ce qui veut dire que ce gouvernement est donc prêt à rompre avec le principe de l’unité de la fonction publique, en officialisant le fait que des agents de statuts différents remplissent les mêmes missions. Autrement dit, le gouvernement crée les conditions pour que la loi du 19 mars 1946 soit inapplicable. Et comme à l’époque de son refus d’étendre toutes les lois sociales au 1er janvier 1947, l’argument est le même : la finance. La remise en cause du statut de la fonction publique est en effet une conséquence de la politique d’austérité accélérée depuis la crise des subprimes en 2008.

Les partis de l’alternance en France ont tous pris des mesures pour réduire les dépenses publiques afin de rendre possible des réductions d’impôt pour les plus riches. Cette politique ne vise qu’à accroître les revenus des plus nantis. Il n’y a qu’à constater que les actionnaires des entreprises du CAC40 ont vu leurs bénéfices s’accroître de 25 % l’an dernier pour s’en convaincre. Ces bénéfices seront d’ailleurs totalement exonérés de l’impôt sur les grandes fortunes qui ne s’applique plus que sur les biens immobiliers.

M.M.

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