La priorité du gouvernement

Quels moyens pour quels emplois ?

7 juin 2005

Hier, le Premier ministre recevait les représentants des syndicats à Matignon. Parmi les pistes évoquées pour faire baisser le chômage figure l’accélération du “plan Borloo”. Ce dernier facilite notamment les radiations des chômeurs. Ce gouvernement annonce qu’il veut faire de l’emploi la priorité de sa politique. Cela alors qu’en métropole le taux de chômage est déjà de 10%, ce qui est très grave, comme on l’a vu lors du dernier référendum. Que va-t-il faire alors à La Réunion, où le taux de chômage est largement supérieur à celui de France ?

"Notre priorité absolue, a déclaré le Premier ministre, c’est la bataille de l’emploi. Nous ne sommes pas le premier gouvernement à se mobiliser pour l’emploi mais je veux, a-t-il dit, que nous soyons le premier gouvernement qui y consacre toute son énergie, sans tabou, en mobilisant l’ensemble de la Nation". Tels étaient les propos tenus samedi par le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé.
Mis en place à la suite du référendum, le gouvernement fait donc de sa première priorité la lutte contre le chômage, avec, en métropole, un taux d’un peu plus de 10%. Que les dirigeants parisiens se mobilisent en estimant qu’un taux de chômage supérieur à 10% est intolérable est une bonne chose. Mais comment qualifier ce que subit quotidiennement plus d’un Réunionnais sur trois en âge de travailler et obligé d’être au chômage ?
Cela fait déjà de nombreuses années que plus de 10% des Réunionnais en âge de travailler sont privés du droit à un travail. Nous dépassons aujourd’hui un taux de 30% de chômage. Cela voudrait donc dire que depuis toutes ces années, seuls des dirigeants politiques réunionnais ont mis la lutte contre le chômage au cœur de leurs préoccupations. Des responsables réunionnais qui n’ont pas été semble-t-il, écoutés par Paris, car c’est seulement aujourd’hui, au lendemain d’un lourd désaveu, que le gouvernement affirme clairement que l’emploi est sa priorité.
Comment compte-t-il s’y prendre pour inverser la tendance en 100 jours ? Les déclarations de Dominique de Villepin, des présidents du Sénat et du MEDEF donnent une première indication : déverrouiller, assouplir le code du travail. Quant à la ministre déléguée au Commerce extérieur, elle a été très claire : les droits sociaux sont un frein à l’emploi. On peut alors se demander de quels emplois cette ministre parle. Des emplois a minima, précaires autant au niveau du salaire qu’au niveau des droits, à prendre ou à laisser sous peine de perdre tous ses droits ?

Davantage de sanctions

On pourrait le penser car parmi les pistes évoquées pour que le gouvernement tienne ses promesses figure une accélération de la mise en œuvre du “plan Borloo”. Une lecture attentive du texte nous montre qu’elle permet de culpabiliser encore davantage ceux qui sont privés d’un travail. Le supplément du n°53 de “Info-Carif” nous dit qu’avec la loi de cohésion sociale, "le contrôle des chômeurs est renforcé avec la mise en place de sanctions graduées avec la possibilité de réduire les allocations de chômage". Avec le “plan Borloo”, il est donc plus simple de priver un chômeur de ses droits, car "l’obligation de recherche active d’emploi et son contrôle sont redéfinis", écrit le CARIF.
Pour qu’un chômeur puisse continuer à percevoir ses indemnités, il doit justifier de "l’accomplissement d’actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise".
En dehors de cette obligation, un chômeur est tenu d’accepter "un emploi rétribué à un taux de salaire normalement pratiqué dans la profession ou la région, et compatible avec leur spécialité ou leur formation et leurs possibilités de mobilité géographique, compte tenu de leur situation personnelle et familiale et des aides à la mobilité proposées".
Le dossier du CARIF liste d’autres motifs de radiation, comme par exemple refuser sans motif légitime de "suivre une action de formation ou d’aide à la recherche d’emploi proposée par l’État ou l’ASSEDIC, ou de répondre à une convocation de ces derniers ou d’un organisme mandaté". Par ailleurs, selon le CARIF, "le contrôle de la recherche d’emploi est opéré par des agents publics relevant du ministère chargé de l’emploi, par l’ANPE ainsi que par les agents relevant des ASSEDIC".

Vigilance avec le “modèle” danois

On le voit, la liste des sanctions contre les chômeurs s’allongent. Et chacun sait que priver une partie de ces derniers de leurs droits, c’est faire diminuer des statistiques mais surtout pas garantir à chacun le droit à un travail.
Une possibilité évoquée par le gouvernement pour tenter de diminuer le chômage : s’inspirer de ce qui se fait au Danemark.
Ce dernier pays a un taux de chômage quasiment aussi bas que la Grande-Bretagne avec des droits sociaux mieux respectés paraît-il. Or, il convient d’être d’ores et déjà très vigilant car dans ce pays, tout salarié peut être licencié du jour au lendemain, sans indemnité (voir encadré) . Est-ce pour en arriver là que l’on veut casser le code du travail ?

Manuel Marchal


“Modèle” danois

“L’activation” des chômeurs

De toutes les réformes successives qui ont transformé le marché du travail danois, l’élément le plus souvent retenu est celui du droit et du devoir du demandeur d’emploi. C’est aussi cette politique qui intéresse les hommes politiques français. Avec les premières réformes du marché du travail au Danemark en janvier 1994, le chômeur est devenu une personne active et responsable, ayant droit à un certain nombre de formations et d’aides, tout en étant soumise à des règles strictes : celui qui ne les respecte pas sera très lourdement pénalisé par une suppression ou un difficile renouvellement de ses allocations.
Le demandeur d’emploi passe ainsi par des périodes "d’activation", qui se traduisent par une formation dans le secteur privé, des stages dans un organisme public etc. Le nombre de personnes en "activation" est resté relativement stable depuis 1995, autour de 300.000. Avec une durée moyenne d’activation de 6 mois, cela se traduit par un demi million de Danois en période d’activation chaque année. Pendant la période de chômage, les demandeurs qui respectent les règles - ils sont d’ailleurs très contrôlés dans ce petit pays fortement décentralisé - perçoivent une indemnisation représentant 90% du salaire.
Cette "activation" et le contrôle sévère qui l’accompagne, serait, selon les hommes politiques français et européens en quête d’un nouveau modèle, la raison première du "miracle" danois. On parle d’une "flex-sécurité" originale, réunissant une sécurité pour le citoyen et un marché du travail qui reste pourtant flexible. Mais les analyses vont rarement plus loin : c’est passer à côté de la réalité du terrain, celle des résultats discutables d’une "activation" seule citée en exemple, et des éléments beaucoup plus importants tels que le marché de travail le plus déréglementé en Europe après celui de la Grande-Bretagne, et surtout, la transformation fiscale profonde méconnue au-delà des frontières danoises.

(Source : Anna Stellinger, “Société civile” n°40, octobre 2004)


“Modèle” danois

L’envers du décor

o Des licenciements facilités
"Il faut laisser l’employeur libre d’embaucher et de licencier", le slogan du ministre danois des Affaires Sociales de la fin des années 1990 est sans ambiguïté. Le marché du travail danois n’a rien à envier aux États-Unis : lorsqu’un employeur danois souhaite licencier, celui-ci n’a aucune indemnité à verser pour un employé de moins de 12 ans d’ancienneté, et le préavis peut être de quelques semaines.

o Des chômeurs radiés massivement
Autre réalité du terrain : la fameuse "activation", souvent citée en exemple en France, ne fait pas l’unanimité au Danemark. Plus précisément, on est loin d’être sûr qu’elle est la cause de la réduction du chômage. Lors des premières réformes, une partie importante des chômeurs a été radiée des statistiques du chômage avec la possibilité, pour de nombreux employés âgés, de partir en préretraite. Ensuite, des “leave schemes” ont permis de remplacer temporairement les employés en congé ou en formation par des demandeurs d’emploi. En d’autres termes, il s’agit d’une réduction du chômage immédiate qui ne peut pas être expliquée par l’activation. Quant à l’activation proprement dite, celle-ci ne conduit pas automatiquement à une réduction du chômage.

o Des impôts diminués
Si la fluidité du marché et le pragmatisme des syndicats sont deux raisons du succès danois, avec celle, plus contestable, de l’activation du chômeur, une quatrième condition du "miracle" danois a été nécessaire pour réduire le chômage. Les avis convergent : cette quatrième réforme, celle de la fiscalité, a été une condition cruciale pour la réussite d’une politique de l’emploi active.
Depuis 1993, des réformes fiscales successives et conséquentes pour l’emploi ont accompagné la politique de l’emploi en 1993-1994, le Danemark a réalisé une baisse de l’impôt sur les sociétés ainsi que de l’impôt sur le revenu. Quelques années après, l’impôt sur la fortune, l’ISF, a été supprimé. Finalement, en 1998, la base imposable a été élargie et l’impôt sur les revenus les plus faibles a baissé.

(Source : Anna Stellinger, “Société civile” n°40, octobre 2004)


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