Le Pitbull de la délinquance

Sarko veut ’finir le travail’

12 juin 2006

Il ne lâchera pas prise. Malgré son appel à la mobilisation des forces de police pour résoudre "le point noir" des crimes et délits contre les personnes, les mesures coups de poings de Nicolas Sarkozy ne produisent pas leur effet. Plutôt que de remettre en cause ses méthodes répressives, le numéro deux du gouvernement veut réformer la législation des mineurs délictueux vers plus de sévérité. Il compte bien "finir le travail" avant de se consacrer à plein temps à la préparation de sa campagne présidentielle, déjà bien amorcée.
De mai 2002 à avril 2006, les violences aux personnes ont augmenté de 12,45% et l’Observatoire national de la délinquance (OND) constate "une accélération de la hausse" de 8%, entre mai 2005 et avril 2006, ce qui correspond au retour de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, après un passage aux Finances. Autant dire que cette coïncidence ne joue pas en sa faveur.

La délinquance en hausse

Mais c’est sans compter sur la détermination du leader de l’UMP qui, lors de la présentation jeudi dernier du bilan de la délinquance sous l’actuelle mandature présidentielle, a accusé d’incompétence ses prédécesseurs. Mais ce torpillage électoraliste à grands renforts de pourcentages occulte le fait majeur que derrière les chiffres, il y a des humains, une réalité, une société, des sanctions éducatives qui ne sont pas appliquées, faute de moyens dévolus. Avec Nicolas Sarkozy, la délinquance a diminué de 8,80%, le taux d’élucidation a progressé de neuf points et les gardes à vue de 46,2%. Son auto-satisfecit accompli, il a cependant été contraint d’admettre que, avec "1 acte de délinquance sur 8", et une "progression de 12,45% de mai 2002 à avril 2006", les violences aux personnes restent "un domaine que les forces de l’ordre peinent à réduire."
Nicolas Sarkozy s’en prend à la Justice : "Si la législation actuelle était bonne, comment expliquer qu’on ait 80% * d’augmentation de la délinquance chez les mineurs ?". Mais bien sûr, le ministre ne remet à aucun moment en cause la diminution de 10% du budget de la protection judiciaire de la jeunesse pour cette année, ou le manque de moyens des tribunaux, débordés et pressés de sanctionner (voir notre édition du mercredi 7 juin).

Les mineurs de 16 ans en joue

Pour "débarrasser" la France de "ces racailles", l’ordonnance de 1945 et son principe de considération de la personnalité du mineur sont clairement visés, au mépris des acteurs de la protection judiciaire de la jeunesse, des juges pour enfants et des travailleurs sociaux. Nicolas Sarkozy réclame plus de sévérité. "Détecter précocement les troubles du comportement d’enfants qui souffrent", "les parents défaillants seront mis face à leurs responsabilités, en passant devant un conseil des droits et devoirs des familles" avec la possibilité d’une "mise sous tutelle des allocations familiales", "placement éloigné du lieu de résidence habituel", "exécution de travaux scolaires", "internat dès l’âge de 10 ans", "mesures d’activité en milieu de travail dès 13 ans"... la liste est encore longue. Et les mineurs de 16 ans sont visés. "Il faudra cesser de considérer qu’un mineur récidiviste de plus de 16 ans, auteur de faits graves, doit bénéficier de façon quasi systématique de l’excuse de minorité. Il doit être traité comme un majeur, la loi doit être réformée en ce sens." Malgré l’opposition du chef du gouvernement exprimée le 23 mai, lors de la présentation de l’avant projet de loi sur la délinquance, qui sera étudié fin juin en Conseil des ministres, le numéro deux du gouvernement maintient sa proposition d’une comparution immédiate, pour sanctionner vite et bien.

La méthode dure

Encadré par des réservistes de la police ou de la gendarmerie, Nicolas Sarkozy estime que les mineurs ont besoin "d’établissements adaptés à leur profil". Le temps n’est pas au débat social sur la place de la jeunesse dans notre société ou sur les causes de ses comportements délictueux. Non, mieux vaut déployer des mesures chocs qui jouent sur les pulsions et les peurs des Français. Élargir les conditions du témoignage anonyme : voilà une autre idée pernicieuse du ministre de l’Intérieur qui veut instaurer un climat de délation et de suspicion au sein de la population. Quant à généraliser la présence de psychologues dans les services de police, n’est-ce pas déshabiller l’action sociale pour habiller les forces de l’ordre ? Et Nicolas Sarkozy, qui veut ce rapport de force, tient à employer "la méthode dure" version US.
Mais monsieur Sarkozy, puisque selon vous, à 16 ans, l’on est pleinement conscient de ses actes et de leur portée, pourquoi ne pas avancer l’âge de la majorité et le droit de vote ? Cela n’est pas au programme des urnes.

Stéphanie Longeras

* Ce pourcentage correspond à l’aggravation des atteintes aux personnes de 1996 à 2005 qui n’est pas exclusivement dû aux mineurs comme le souligne Christophe Soullez de l’OND qui déclare dans les colonnes du "Figaro" : "On est face à un phénomène de société qui concerne toutes les couches de la population, les mineurs comme les majeurs. La solution ne peut venir seulement de la police."


Témoignage

Des lois progressistes qui ne sont pas appliquées

"La prévention de la délinquance, on l’a tuée"

L’ordonnance de 1945 tout comme la loi de rénovation sociale de 2002 regroupe des lois progressistes qui reconnaissent le droit à l’égalité face à l’éducation, à la solidarité. Mais le gouvernement se désengage de sa mission éducative et laisse à chaque département la responsabilité de sa politique sociale. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas plus mauvais que ceux d’hier. Ils sont tout simplement paumés dans cette société où l’individualisme s’impose.
Quand le juge pour enfants propose une alternative éducative à un jeune qui a commis un délit, il faut souvent attendre plusieurs mois avant qu’elle ne soit appliquée. Et pendant ce temps ? Le sens de la mesure perd de son crédit, alors que le jeune se sent encore plus abandonné.

Délinquance : cause nationale

La loi de rénovation sociale du 2 janvier 2002 prévoit la planification des besoins sociaux et médico-sociaux et leur tarification. "Mais cette loi n’existe pas à La Réunion, explique Éric Massouic, éducateur, chef de service au Foyer de l’enfance à Terre-Sainte. Il n’y a pas de programme sur 5 ans, comme prévu, pas de budgétisation des besoins. C’est le maillon faible qui fait qu’ici, on n’a pas de politique de prévention centralisée qui se décline selon des concepts, des principes, des valeurs."
L’éducateur accuse la décentralisation de rendre l’action sociale inégalitaire, morcelée. "La délinquance devrait être une cause nationale, mais la réponse politique dépend des départements, de leur idéologie et de leurs moyens. Avant de mettre les projecteurs sur les actes de délinquance eux-mêmes, il faut en traiter les causes." Un plan d’urgence sur la prévention peut apporter des réponses concrètes à la délinquance, adaptées aux besoins de l’île et être créateur d’emplois. "Si on manque de personnel pour encadrer les jeunes, il ne faut pas demander pourquoi cela ne marche pas", soutient Éric Massouic confronté à cette problématique dans son exercice. "On ne peut pas dire que la réponse éducative n’ait pas marché quand elle n’existe plus. La prévention de la délinquance, on l’a tuée." Associations habilitées, milieux ouverts de la protection judiciaire, éducateurs de rue, police de proximité, assistantes scolaires... la liste du torpillage est longue.

"Avec des moyens, on peut y arriver"

Alors que, toutes les politiques publiques devraient être centrées sur l’éducation, Éric Massouic souligne que "toute une logique de vie en communauté est abandonnée." Dans un contexte socio-économique difficile, "les jeunes sont désœuvrés, la culture communautaire se désagrège (...). On ne peut pas accuser un jeune de commettre des délits sans poser le problème de l’abandon de la société. Sa révolte peut être canalisée. Avec des moyens, on peut y arriver." Généraliser les maisons de justice et de droit, développer les lieux de proximité, accentuer la médiation et la réparation, créer des Maisons des parents, privilégier la police de proximité - cette police républicaine de dialogue et d’échange avec la population -, développer les classes relais au sein même des établissements... "Il faut déjà faire tout ça." Depuis plus de 30 ans qu’il travaille au contact des jeunes en difficulté, Éric Massouic constate que "ils n’ont pas forcément changé en mal, c’est ce qu’on leur propose qui ne les aide pas. Il y a toute une déliquescence des métiers traditionnels. Les diplômes n’ont plus de valeur. Il est très difficile pour eux d’accéder à des dispositifs d’insertion, de trouver, comme avant, des stages, des formations professionnelles, qui sont pour eux structurants. Ils doivent se débrouiller seuls." Pourtant, "si on suit les jeunes, qu’on essaie de préparer un projet personnel avec eux, qu’on les soutient sans compter uniquement sur leur volonté individuelle, ils peuvent s’en sortir."

Sur le modèle américain

L’incarcération ne doit être envisagée que lorsque toutes les alternatives éducatives ont été engagées et que le jeune persiste dans des comportements délinquants ou qu’il a commis des délits graves. "La prison n’est pas un lieu d’évolution, rappelle Éric Massouic. Il va fabriquer d’autres délinquants, mais mieux formés." L’idée n’est pas de fuir la sanction. Mais la solution revient à importer un modèle américain qui n’a d’ailleurs pas réduit la délinquance et l’insécurité. "C’est une mauvaise importation. Il faut redonner toutes ses lettres de noblesse à la prévention, proposer des initiatives culturelles, socioculturelles dans les quartiers qui ne soient pas seulement portées par la volonté individuelle mais par l’État." Quant à faire du maire le pivot de la prévention de la délinquance au sein de sa commune, Éric Massouic considère que ce n’est qu’un aspect concret du désengagement de l’État. "Ce n’est pas un maire qui sera en mesure de régler tous les problèmes sociaux. Et que deviendront les travailleurs sociaux ? Des auxiliaires de police ? Une personne vulnérable qui viendra nous demander de l’aide ne le fera plus car si l’éducateur doit en informer le maire, elle va se sentir stigmatisée comme une personne à problème." Éric Massouic sait que des réponses concrètes, préventives et éducatives peuvent être apportées. Chaque acteur a une mission qu’il doit respecter, à commencer par l’État qui doit choisir entre protection de l’enfance et restriction budgétaire. Les deux ne sont pas compatibles.

Stéphanie Longeras


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