Le gouvernement inscrit dans la loi la rupture de la solidarité entre les générations

Sauver le droit à une retraite digne pour tous : une revendication de la Fête des travailleurs

27 avril 2004

Jean-Pierre Raffarin a signé jeudi dernier les décrets d’application du Plan d’épargne retraite populaire. Cette mesure, validée par le Premier ministre, se situe dans la droite ligne de la baisse du niveau des pensions et de l’allongement de la durée de cotisation. C’est un système de capitalisation qui, comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, fait dépendre le système de retraite des marchés financiers.
Avec le PERP, c’est une masse d’argent considérable, détournée des caisses de retraite, qui pourra être mise dans les mains des spéculateurs boursiers, sur le modèle des fonds de pension britanniques ou américains avec les conséquences dramatiques que l’on connaît : dans ces pays, beaucoup de retraités ont dû continuer à travailler car leur épargne a été dilapidée. Le PERP est un pas vers le démantèlement de la solidarité entre les générations : celui qui pourra épargner aura peut-être droit à une retraite, quant aux autres...
Dans son édition d’hier, “l’Humanité” revient sur les enjeux de cette nouvelle mesure du gouvernement.

« Raffarin III restera dans les annales de la Ve République comme le gouvernement qui a introduit les fonds de pension dans le système de retraite. En signant, jeudi dernier, les décrets d’application de ce dispositif prévu par la loi Fillon d’août 2003, le Premier ministre a donné le feu vert au plan d’épargne retraite populaire.
Avec le PERP, la retraite devient, aussi, un vulgaire produit financier, et la France fait, d’un coup, comme le souligne le syndicaliste Jean-Christophe Le Duigou, un bond en arrière d’un siècle, à une époque où le système solidaire de la répartition n’existait pas et où la rente viagère était le seul moyen d’assurer ses vieux jours.
Voilà pour l’"innovation" dont se gargarise le chef du gouvernement dans le communiqué annonçant le lancement du PERP. Ce produit d’épargne est censé, selon lui, "offrir davantage de liberté aux personnes actives pour mieux préparer leur retraite, tout en préservant le régime par répartition qui demeure, grâce à la réforme, le socle de notre système".

Une épargne pour les catégories aisées

Proposé par les banques et les assurances, le PERP est un contrat individuel et facultatif. Le souscripteur verse des cotisations et reçoit, à la liquidation de sa retraite, une rente, d’autant plus importante qu’il aura cotisé longtemps et à un niveau élevé. Pas de sortie possible en capital. Impossible de disposer, avant terme, de son épargne accumulée, sauf en cas de "fin de droits" au chômage ou d’invalidité. La rente sera soumise à l’impôt.
En revanche, afin de rendre le produit attractif, les cotisations versées seront déductibles du revenu imposable, dans la limite de 10% des revenus et jusqu’à un plafond de 23.769 euros. Cette épargne retraite n’intéresse véritablement que les catégories de salariés les plus aisées, celles qui ont les capacités d’épargne les plus grandes.
Le PERP offre ainsi à une minorité une possibilité de compenser la baisse du niveau des pensions (d’environ 20% d’ici à 2020) du régime général de la Sécurité sociale que provoqueront, pour tous les assurés, les réformes Balladur (1993) et Fillon (2003).

Le lien brisé entre actifs et retraités

Foncièrement inégalitaire, ce dispositif est aussi, quoi qu’en disent ses concepteurs, dangereux. Certes, il est prévu qu’à l’approche de la retraite, les cotisations soient investies de plus en plus en obligations, jugées plus sûres, et de moins en moins en actions. Le souscripteur n’en sera pas, pour autant, à l’abri d’un crash boursier. Seuls à véritablement jubiler dans cette affaire, les établissements financiers avaient commencé depuis plusieurs mois, sans même attendre les décrets, à commercialiser le PERP. Ils espèrent drainer vers ce produit un milliard d’euros d’épargne dès cette année.
Ce système de capitalisation qui ne dit pas son nom, inspiré des régimes en vigueur aux États-Unis, dits à cotisations définies (les fameux 401 K), va donc, pour la première fois, brancher les retraites sur les marchés financiers, avec tous les risques que cela comporte. Les retraités américains ont chèrement payé l’effondrement de la Bourse ces dernières années.
Faut-il le rappeler ? Seul le système par répartition offre de solides garanties, parce qu’il est fondé sur le travail, et sur la solidarité entre actifs ainsi qu’entre actifs et retraités (les cotisations versées par les premiers sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des seconds). La répartition assure ainsi un niveau futur de retraite, fixé par le taux de remplacement du salaire, donnant aux salariés une visibilité sur leurs droits, alors que la capitalisation engendre à la fois incertitude et insécurité de revenu.

Le problème reste entier

La droite avait déjà tenté d’introduire les fonds de pension en adoptant, en 1997, sous le gouvernement Juppé, la loi Thomas, du nom du député UDF auteur du projet. Trois ans plus tard, la majorité de gauche l’avait abrogée. Mais le gouvernement Jospin avait refusé d’engager une réforme susceptible d’assurer l’avenir des régimes par répartition en dégageant les financements nécessaires pour faire face aux évolutions démographiques.
La mise en place du PERP aujourd’hui laisse le problème entier : contrairement aux assertions de son auteur, et comme l’ont montré plusieurs études économiques, réalisées notamment par la CGT, la réforme Fillon, en dépit des "économies" qu’elle permettra par la baisse du niveau des pensions, n’assure pas les besoins financiers du système qui vont monter en charge. De surcroît, le PERP va contribuer à l’aggravation des inégalités face à la retraite, induite par l’ensemble de la réforme Fillon, et dont les femmes vont tout particulièrement souffrir. Pour ces raisons, tôt ou tard, le dossier devra être rouvert ».


Les fonds de pension : le droit à une retraite... peut-être

Dans son édition de mai 2003, “le Monde diplomatique” dressait un bilan sans appel des conséquences des fonds de pension qui n’apportent aucune garantie de niveau de pension, au contraire de la retraite par répartition. C’est pourtant la voie de l’insécurité sociale que choisit le gouvernement Raffarin, à la veille de ce 1er mai.
« Pour beaucoup, non seulement les rêves de faire fortune en Bourse se sont évanouis, mais les espoirs d’une retraite paisible également. M. Maurice Jones, citoyen britannique et salarié modèle, peut en témoigner. Ayant commencé à travailler à 16 ans, il a gravi à la force du poignet tous les échelons de la hiérarchie, au point de devenir directeur de la division filature du groupe textile Lister & Co. Il a cotisé toute sa vie au fonds de pension maison. Pourtant, à 64 ans, il ne songe même plus à la retraite : il doit, comme il le dit, continuer à "travailler pour joindre les deux bouts". Son entreprise a fait faillite, emportant au passage le fonds de pension qui y était rattaché ; l’argent qu’il y a versé pendant plus de trente ans s’est évaporé. Il n’a plus rien.
De son côté, Mme Digna Showers est assistante administrative depuis plus de dix-huit ans chez Enron, aux Etats-Unis. Un beau jour de décembre 2001, elle apprend qu’il lui reste exactement "une demi-heure pour faire [ses] bagages et partir". Elle perd d’un seul coup son emploi, son assurance médicale, son assurance-vie, et même ses droits à la retraite, bien qu’elle ait déjà versé quelque 400.000 dollars (à peu près autant d’euros) au fonds de pension maison. Elle devra se contenter de la prime forfaitaire de 13.500 dollars, versée par le fonds public de garantie des retraites (Pension Benefit Guaranty Corp. - PBGC). Ce type d’organisme n’existe même pas en Grande-Bretagne.
Des histoires comme celles de M. Maurice Jones ou de Mme Digna Showers, on en raconte à foison dans les pays où la retraite par capitalisation tient le haut du pavé (États-Unis, Grande-Bretagne et Pays-Bas, notamment). Voici peu, pourtant, elle était présentée comme la solution miracle devant apporter sécurité et prospérité aux retraités, face à un régime public de répartition à bout de souffle, écrasé par le choc démographique. Le bilan est sans appel.
Certes, les situations ne sont pas toujours aussi dramatiques. Le plus souvent, en effet, il existe une retraite publique pour limiter (un peu) les dégâts. Si la pension de base ne représente que 20% environ du salaire d’activité en Grande-Bretagne, elle atteint 35% aux États-Unis, et elle varie de 40%, pour un couple disposant du salaire moyen, à 70%, pour une personne ayant le salaire minimum, aux Pays-Bas. Il reste que, pour la plupart des salariés de ces pays, leurs futures retraites s’effondrent en même temps que les marchés financiers.
La glissade atteint déjà des proportions gigantesques : selon le cabinet d’audit américain Watson Wyatt, la valeur des fonds de pension a régressé de quelque 2.800 milliards de dollars, au niveau mondial, entre 1999 et 2002. Plus de dix fois le budget de la France. L’économiste Christian E. Weller fixe la perte moyenne pour un ménage américain disposant de fonds de pension à 43%. Et ce n’est pas fini (...).
Dans les faits, aucun décret n’est nécessaire pour modifier l’âge de sortie de la vie active : n’ayant pas les moyens de s’arrêter de travailler, les salariés restent dans leur entreprise tant qu’ils le peuvent ou trouvent des petits boulots. Près du quart (23%) du revenu des Américains de plus de 65 ans provient du travail. Un Britannique de plus de 65 ans sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté ».


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus