Banque de La Réunion : 2éme jour de grève

« Si on est là, c’est pour aller jusqu’au bout »

9 avril 2008

Une seule revendication : une augmentation salariale annuelle de 2.000 euros bruts. L’intersyndicale CFDT-CFTC-FO-SU/UNSA a concentré les négociations annuelles avec le patronat sur cette unique exigence. Dans la rue, les salariés sont fermement décidés à obtenir gain de cause.

Ils étaient une soixantaine hier midi rassemblés devant le siège de la BR à Saint-Denis à attendre que le patronat, à l’étage de l’établissement, se décide à rouvrir les négociations.
(Photo SL)

Ils étaient une soixantaine hier midi rassemblés devant le siège de la BR à Saint-Denis à attendre que le patronat, à l’étage de l’établissement, se décide à rouvrir les négociations. « On sait que l’on va perdre quelques jours de salaires, mais si on est là, c’est pour aller jusqu’au bout. On ne rentrera pas avant d’avoir obtenu ce que l’on demande ».

Le personnel en CDD réquisitionné

C’est Marie-Line qui l’affirme. Assistante depuis 25 ans, elle perçoit un salaire de 1.800 euros. A côté d’elle, Nicole comptabilise 32 ans de banque et seulement 100 euros de plus que sa collègue à la fin du mois, pour une mission différente certes, mais des responsabilités équivalentes. Plus loin, on retrouve Isabelle : 35 ans de boîte pour 2.300 euros mensuels. « A une collègue qui disait qu’elle n’arrivait pas à s’en sortir, on lui a répondu que si elle avait un problème avec son pouvoir d’achat, elle n’avait qu’à aller faire ses courses à Leader Price ou aller acheter ses chemises à Maurice », tempête une des grévistes. « On nous a même dit que puisque nous, les femmes, on aimait acheter des vêtements, on n’avait qu’à se les échanger entre nous pour faire des économies ». Ce “on” serait la Direction qui, au moment des négociations salariales, a fait le tour des services pour essayer de démobiliser les salariés, de les dissuader de partir à la grève.
On peut aisément comprendre que de tels arguments aient provoqué l’effet inverse. Et comme lundi, la mobilisation d’hier est importante. Quatre agences au lieu de 3 la veille assurent l’accueil des clients au guichet. « La Direction a pris du personnel en CDD pour les envoyer à la Providence, explique Serge Hoarau, délégué CFTC. Ils sont 70 employés en CDD à la BR et ils n’ont pas le choix s’ils veulent garder leur contrat. C’est normal, on ne peut pas leur demander de nous accompagner ». Mais même avec ce personnel précaire, la banque ne pourra pas supporter un mouvement dans la durée. Le bras de fer s’annonce serré.

« Redistribuer 5 à 6% des bénéfices aux salariés, ce n’est pas incroyable »

En 2005, on avait mis trop de choses sur la table des négociations, du coup, on s’est fait avoir. Les accords signés n’ont d’ailleurs même pas été respectés, poursuit le délégué CFTC. Cette année, l’intersyndicale est donc unie autour d’une seule revendication : obtenir une augmentation annuelle de 2.000 euros pour l’ensemble des salariés, soit sur 13 mois, un peu plus de 150 euros bruts par mois. « L’intersyndicale est soudée. On a commencé ensemble, on finira ensemble, soutient Patrice Lebon, délégué CFDT à la BR. Ce que je n’ai pas réussi à faire depuis des années (l’unité syndicale - Ndlr), c’est la Direction qui l’a fait ». Et de noter encore que la banque a les moyens de répondre favorablement à la revendication des salariés. « Autour de 109 euros nets par mois, c’est largement faisable vu les résultats de la banque qui a enregistré entre 17 et 20 millions d’euros de bénéfices depuis 2000, explique Patrice Lebon. Redistribuer 5 à 6% des bénéfices aux salariés, ce n’est pas incroyable par rapport à ce que l’investisseur récupère ». La Direction elle-même le reconnaît. Lors des négociations salariales, bloquées ici après 7 réunions, elle aurait même concédé que « c’est techniquement et financièrement possible, mais qu’elle veut tenir sa barque, ses prévisions budgétaires », nous confie l’un des négociateurs de la CFTC.
Nous avons tenté de joindre la Direction hier pour obtenir sa réaction, mais grève oblige : personne au bout du fil. L’intersyndicale est d’autant plus déterminée que depuis 2000, le coefficient local de 1,5 ajouté à la grille de la convention collective nationale a disparu, suite à la refonte de cette dernière. « Depuis, on est contraint à essayer d’obtenir de petits avantages, alors que le salaire ne correspond même pas à la réalité locale », affirme Patrice Lebon.

« Le patron s’augmente de 100%... »

Outre le sujet central de la revalorisation salariale, ce qui interpelle au contact des grévistes, ce sont les écarts de salaires entre les uns et les autres pour des fonctions et une ancienneté dans l’entreprise quasi identiques. Patrice Lebon nous explique alors que c’est l’opacité totale sur le fonctionnement des ressources humaines, des avancements au déroulement de carrière en passant par les salaires. Et ceci à tous les niveaux de la hiérarchie. « On arrive donc à une situation où les salariés n’obtiennent pas l’avancement auquel ils pourraient prétendre au vu de leur expérience. Du coup, les salaires sont de plus en plus bas ». Par contre, comme le notera Serge Hoarau de la CFTC, la Direction bénéficie, elle, de revalorisations salariales conséquentes. « On ne peut plus continuer à accepter que le patron s’augmente de 100%. En plus de son salaire fixe, le directeur bénéfice de ce que l’on appelle les éléments variables, qui étaient jusque-là de +20% en plus de son salaire de base. Le Conseil d’administration a voté en janvier leur doublement, soit +40% », ce qui va le ramener à un salaire conséquent et « sans condition de résultat ». L’injustice du non partage des richesses reste toujours au cœur des conflits.

Stéphanie Longeras


Secteur bancaire : un turn-over déroutant

Concurrence déloyale sur les salaires

« Ceux qui viennent de l’extérieur... sont mieux payés que nous »

Parmi les grévistes, on retrouve Véronique, 23 ans, employée à la BR comme Conseillère aux Particuliers. Un Bac +3 en poche, Major de sa promotion avec mention très bien, elle perçoit 1.380 euros par mois après 2 ans et demi d’exercice. Au vu de sa qualification, elle aurait du au moins commencer à 1.700 euros mensuels. A-t-elle solliciter une augmentation ? « Pour obtenir un réajustement de salaire, on nous dit qu’il faut d’abord faire ses preuves », répond la jeune femme. La condition prévaut dans les autres banques, mais prouver pendant combien d’années ? Véronique qui a fait ses armes à la BR note en outre que « ceux qui viennent de l’extérieur (autres banques - Ndlr), à formation égale, diplôme égal, expérience égale, poste égal, sont mieux payés que nous qui sommes formés en interne ». Une politique salariale bien étrange !

« Plate-forme de formation pour la concurrence »

« Ça fait 4 ans que l’on tire la sonnette d’alarme, explique Serge Hoarau, délégué CFTC. On a encore perdu beaucoup de collègues formés ici l’année dernière car ils négocient chez nos concurrents. Des portes s’ouvrent et ils s’en vont. On a déjà envoyé un courrier au Président, l’alertant sur le fait que la BR était une plate-forme de formation pour la concurrence. Par manque de considération et surcharge de travail, ils vont ailleurs et sont mieux payés. On nous dit qu’il y aura des jours meilleurs, qu’on n’est pas mal lotis ». Un turn-over qui génère forcément des tensions entre salariés, un sentiment d’injustice, mais qui doit avoir un sens pour le patronat. Avoir une petite fenêtre ouverte sur les pratiques de concurrence ? Maintenir de bas salaires pour ceux qui espèrent toujours que la banque au sein de laquelle ils ont fait leurs armes reconnaîtra un jour leur travail.

SL


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