Lettre d’une enseignante réunionnaise nommée contre sa volonté en France

SOS d’une professeure en détresse

30 juillet 2022

Lors de la conférence de presse d’hier du Parti communiste réunionnais, Isabelle Erudel, professeure des écoles en classe bilingue créole-français et conseillère départementale PCR, a fait part du témoignage d’une enseignante nommée en France contre sa volonté. Elle est mère de deux enfants, elle a déjà construit sa vie dans notre île et elle est sommée de se rendre à Paris le 1er septembre. Le PCR propose un moratoire sur les recrutements extérieurs dans la fonction publique pour éviter pareil drame.

Bonjour, je m’appelle Vanessa. J’ai 38 ans et je suis maman de deux enfants de 8 ans et 4 ans. Je suis professeure d’anglais en lycée professionnel depuis août 2020 et j’ai été titularisée en 2021. J’ai effectué mon année de stagiarisation dans un collège dionysien à temps plein.

En mars 2021, j’ai été mutée dans l’académie de Paris pour l’année scolaire 2021-2022. J’ai effectué un recours auprès de Monsieur le Ministre de l’Education Nationale (M.Blanquer) avec l’aide précieuse des députés que je remercie du fond du cœur (M. Lorion, Mme Lebon, M. Ratenon). J’ai également reçu le soutien de Mme La Présidente du Conseil Régional ainsi que celui de nombreux élus dont Mme Erudel. Je salue, d’ailleurs, leur bienveillance à mon égard.

Malgré tous nos efforts, mon recours a été refusé. J’ai été dans l’obligation de me placer en disponibilité. Cela a entraîné une insécurité financière et des problèmes de santé en conséquence. En effet, le stress cumulé depuis l’annonce de ma mutation en mars 2021 a favorisé une pathologie articulaire qui me fait souffrir jusqu’à ce jour.

« Maman tu ne pars pas parce que tu ne veux pas nous abandonner ? »

En mars 2022, j’apprends que je suis maintenue dans l’académie de Paris pour l’année 2022-2023 et ce, malgré un recours que j’ai effectué avec des courriers médicaux soulignant que le déracinement ne fera qu’empirer mon état de santé. Cela a été l’hécatombe. Par ailleurs, mes deux enfants ont développé une forte angoisse. Il y a quelques semaines, mon fils de 4 ans m’a dit en pleurant « maman tu ne pars pas parce que tu ne veux pas nous abandonner ? ».

« Nous, les enseignants, ne sommes que des numéros, des matricules »

Sachez que je vis très mal cette situation car le métier d’enseignant est une véritable vocation, c’est un rêve que j’ai depuis mes 12 ans. Ce rêve a été brisé par une machine algorithmique qui a décidé de ma destinée. Je ne peux pas m’épanouir loin de ma famille. Je ne peux pas être efficace loin de ma famille. Je veux enseigner mais pas en payant le prix fort. Nous, les enseignants ne sommes que des numéros, des matricules. Je pensais avoir un poste à profil car j’ai enseigné à temps plein en SEGPA. J’ai construit une relation de confiance avec mes élèves. J’avais tous les niveaux et en fin d’année, j’ai travaillé aussi avec des élèves d’ULIS. Je me suis appliquée et impliquée. Cela a été difficile mais j’ai su mettre en place des stratégies afin d’aider ces élèves. Je me suis renseignée sur ce poste et j’ai appris que les élèves changeaient de professeur d’anglais chaque année depuis 10 ans.
Ainsi, j’ai trouvé légitime de demander ce poste mais en vain. Par la suite, j’ai appris que dans un lycée de l’Ouest, il y avait le nom d’un enseignant qui ne s’était jamais présenté à son poste depuis plusieurs années. Une fois de plus, j’ai demandé à avoir ce poste mais on m’a répondu que cette place ne pouvait m’être donné car le système était fait ainsi. Ce poste est pour un contractuel ou un TZR. Les larmes aux yeux, j’ai baissé les bras. Je trouve cela tellement injuste.

« Pourquoi briser des familles pour une histoire de chiffre ? »

Sachez que je suis issue d’un quartier très difficile de la commune du Port et je me suis battue pour avoir le statut que j’ai actuellement. J’ai validé un master en anglais et en créolistique (Langue culture régionale : sciences du langage). Je connais bien les enjeux des quartiers classés en zone prioritaire. J’ai appris la médiation sur le terrain. J’ai choisi de passer le CAPLP par vocation. Certes, le concours est national mais des postes il y en a ici. Pourquoi briser des familles pour une histoire de chiffre ? Je vous avoue que le métier d’enseignant n’est plus ce qu’il était. J’ai perdu confiance en un système qui est censé nous protéger.
Comment expliquer à ma fille de 8 ans que je vais devoir partir seule sans certitude de retour ?
Comment dire à mon fils de 4 ans que « maman ne sera plus là pour te bercer le soir ? »

« Depuis l’annonce de ma mutation, nous ne vivons plus »

Je suis vraiment malheureuse. Mon époux est aussi très angoissé. De plus, nous sommes une famille recomposée avec le dispositif des droits de visite. Depuis l’annonce de ma mutation, nous ne vivons plus. Je (sur)vis sous une pression intense. Je voudrais rester sur mon île, exercer le métier que j’aime auprès de ceux que j’aime à la rentrée 2022. Mais le rectorat de Paris m’a donné une date butoir afin de finaliser ma prise de poste le 1er septembre. J’ai dû envoyer les documents requis avec les larmes aux yeux et la gorge nouée. Je souhaite rester ici définitivement, je vous en prie, ne permettez pas que l’on brise ma famille. Partir à Paris signifie : déracinement, double loyer, double dépense… Permettez-moi de rester enseigner ici « ou sa mwin lé né ».
Il y a quelques jours, j’ai écrit à Monsieur le Ministre de l’Education nationale et je remercie à nouveau les députés qui ont continué le combat avec moi. Merci à tous les syndicats qui ont essayé de me défendre.
Je remercie Mme Erudel pour la main bienveillante qu’elle me tend depuis l’année dernière.
« Que justice soit faite ! »
« Pas kapab lé mor sans esayé, nou lé kapab nou, nou va esayé et nou va ganié ».

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Messages

  • Je me porte témoin pour vous dire que la vie de vanessa est ici à la réunion on ne peux pas briser une famille pour un travail je vous demande de prendre sa demande de rester sur l’île en considération et évidemment que ce soit du définitif
    Merci de votre compréhension
    Diane


Témoignages - 80e année


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