Municipalisation du Contrat de ville de Saint-Denis

Un avenir sous le signe de l’incertitude

8 février 2005

L’Association Saint-Denis 2000, qui a en charge la politique de la ville depuis 1994, est en pleine restructuration. Le maire municipalise le Contrat de ville. Qu’en est-il du reclassement des employés ?

(Pages 6 et 7)

Créée en 1994 afin de mettre en place le dispositif "Contrat de ville", l’Association Saint-Denis 2000 avait pour mission de lutter contre toutes les formes d’exclusions. Constituée à l’origine de 30 salariés, l’association menait des actions dans le domaine du développement économique, de la citoyenneté, de la cohésion sociale, de la prévention, etc., dans divers quartiers de Saint-Denis. En 1997, dans le cadre du dispositif "Nouveaux Emplois et Nouveaux Services", ses activités se sont développées et son effectif a atteint les 180 salariés.

Pour une meilleure gestion

En 2001, René-Paul Victoria, désigné président de la structure, s’engage à restructurer l’association. En novembre de l’année dernière, la municipalisation de l’Association Saint-Denis 2000 a officiellement été votée en conseil municipal.
René-Paul Victoria, souhaitant répondre aux inquiétudes des salariés, a amendé en décembre un budget de 2 millions 900.000 euros pour l’année 2005. Il a réfuté toute intention de fermeture, mais avancé la mise en place d’une politique de restructuration, "pour une meilleure gestion et redéfinition des centres de ressources", explique pour sa part Tony Manglou, directeur de l’association, agent de la fonction publique territoriale en disponibilité pour assurer la restructuration de la politique de la ville.

Politique de reclassement

Les quelques employés encore dans les locaux de l’Association Saint-Denis 2000 dénoncent des "conditions épouvantables de travail et de harcèlement moral exercé sur les salariés dans le seul but de les pousser vers la sortie". Armoires vidées de leurs dossiers, bureaux à l’abandon, plus d’accueil de public ni d’ordre de missions... : aucune information ne parvient à ces derniers qui sont privés de leur outils de travail et laissés là, à l’abandon.
Quels effectifs ont été reclassés ? Vers quel type de postes ? Quelles seront les missions à venir ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’appel à candidature ? Les locaux vont-ils fermer ?
À cette dernière question, Tony Manglou se soulève : "Qui dit ça ?...Je ne pense pas. Il n’y a pas de raison ; pour fermer l’association, il faudrait qu’elle soit en liquidation, mais le budget 2005 a été voté."
C’est l’angoisse de certains ou la mauvaise foi chez d’autres qui font, selon lui, courir ce bruit. Si les dossiers sont mis en carton, c’est simplement pour intégrer la délégation de la politique de la ville à la mairie. Il avance le chiffre de 150 jeunes sortis de l’effectif, avec des formations proposées aux emplois jeunes (CAP gestion des déchets par exemple) pour pouvoir postuler dans des sociétés privées, alors que des concours sont ouverts pour intégrer la fonction publique.
Un travail serait actuellement mené sur 50 personnes, avec le "souci d’une prise de conscience et d’une aide au reclassement pour les volontaires". À l’heure actuelle, 5 à 6 personnes ont accepté un reclassement en mairie. Il avance également la restructuration de l’accompagnement, de l’animation en gestion du patrimoine et accorde que la Maison des Associations est déjà municipalisée avec un effectif de 3 à 4 emplois à durée déterminée, les autres en CDI (voir encadré) .
Quant au personnel sur place qui se dit souffrir de cet isolement, Tony Manglou précise que des points réguliers sont faits avec les délégations du personnel et que les PV des comités d’entreprise sont transmis. Aucune des personnes rencontrées n’avaient ces documents.
De plus, il note qu’un travail est mené avec la Direction du travail sur les aspects gestion et social de la restructuration afin qu’il n’y ait pas de rupture brutale de contrat. Il note que certains n’acceptent pas les propositions offertes, refusent de se former..."on ne va pas garder les gens à rien faire."

Estéfany



o Mario Serviable :

"Ne laisser personne sur le bord du chemin"

Mario Serviable, fonctionnaire d’État détaché à la ville - et qui gérera prochainement le pôle municipal regroupant les délégations de la jeunesse, de l’insertion, de la politique de la ville et de la vie associative -, parle de problèmes administratifs. Passer d’une association de droit privé à une collectivité publique, dans des conditions imposées par la loi, en plus de remettre en cause la réactivité associative, représentent des difficultés en termes de statut des personnels.
"Ceci dit, nous ne restons pas inertes et essayons de faire passer les gens dans des quotas de postes budgétises ouverts et de leur faire passer des concours." Sans toutefois formuler d’appel à candidature, la mairie souhaite recruter en premier lieu des chefs de projets, des techniciens d’insertion et du personnel administratif. "Sont prioritaires ceux qui ont déjà servi la ville dans d’autres conditions et les chefs de projets", soutient Mario Serviable.
Pour prétendre à un recrutement, il faut faire acte de candidature. "Certains hésitent à franchir le pas, je le comprends, c’est difficile de quitter le confort d’un CDI, mais nous passons des contrats avec ces gens pour leur dire : osez le défi, prenez le risque, nous allons vous accompagner jusqu’au bout de vos rêves."
Ces personnes doivent toutefois manifester une "volonté réelle de s’insérer au tissu économique de La Réunion", malgré une conjoncture incertaine, pour parvenir à "ne laisser personne sur le bord du chemin", soutient Mario Serviable reprenant la formule bien connue de Brigitte Girardin.


o Eliard Bordier, représentant du personnel CFDT :

"Reconnaître cette décision politique"

Les réticences initiales d’Eliard Bordier, un des plus anciens employés du Contrat de ville, se sont aujourd’hui taries. Pour lui, "vu les difficultés de l’emploi, surtout dans le tissu associatif, l’essentiel est bien d’avoir du travail". Malgré la prise de risque que cela comporte, c’est ce qu’il tente de faire passer au personnel de l’association. "Je leur dis que c’est une question de projet de vie, une décision familiale. La personne qui n’y va pas, c’est un choix personnel." Il faut accepter de changer son style de vie, ses conditions de travail, se plier aux dispositifs de la collectivité et plus aux accords cadres comme dans le passé.
"Saint-Denis 2000 est en voie de disparition. Il faut reconnaître cette décision politique, on peut crier, cela ne vient pas de nous." Pour lui, la mairie a offert les garanties attendues par les délégués syndicaux d’une part, en votant et donnant le budget "pour rassurer", et d’autre part, en proposant la formation professionnelle, le reclassement à la mairie ou dans le privé des emplois jeunes. Il faut, pour Eliard Bordier, admettre qu’elle ne peut pas employer les CDI avec le même statut mais qu’il leur faut passer les concours de la fonction publique.
Il faut également comprendre que la mairie ne peut pas garder tous les services et que les personnes qui n’ont plus de missions, si elles refusent le reclassement ou ne se sentent pas bien, acceptent un licenciement de façon exceptionnelle, ou un départ négocié. Un emploi jeune qui aura travaillé 5 ans, touchera ainsi 5 mois de salaire et ses indemnités de départ.


o Un ancien employé :

"Qui va aller sur le terrain ? La municipalité ?"

Nous préserverons l’anonymat de cet ancien animateur, que nous appellerons Louis, employé au sein du Contrat de ville depuis 1998. Il nous explique que depuis 2003, les missions de l’association devenaient de plus en plus floues, avec de moins en moins de moyens, les rumeurs de fermeture couraient. "Je n’étais plus crédible sur le terrain, mon travail n’était plus considéré et je n’étais plus invité aux réunions. On voulait me faire comprendre que je ne servais plus à rien."
S’il y avait eu des postes ouverts, Louis aurait postulé, mais accepter un CDD d’1 ou 3 ans, avec des missions floues, "un poste temporaire suivi d’un merci", ne l’a pas convaincu. Alors que "shakin i grapy, sak na pou grappiyé... j’ai préféré prendre mes distances".
Pourtant, avec l’Association Saint-Denis 2000 qui "a pu insérer 180 Dionysiens", le Contrat de ville avait les moyens humains pour mener la politique de la ville, pour faire de l’éducation populaire dans les associations de quartiers, pour aller sur le terrain, faire de la proximité, faire remonter des projets. Désormais, "Qui va aller sur le terrain ? La municipalité ? Les permanences de la mairie ? Qui va coordonner les animateurs ?"
Louis estime que c’est le service au public, l’essence même de la politique de la ville, qui sont remis en question. Avec des budgets réduits de moitié cette année, il reste peu aux associations de quartiers pour mener des actions régulières et financer leur fonctionnement.


o Alain Armand, conseiller municipal :

"Il y a un vrai danger"

À plusieurs reprises l’année dernière, Alain Armand a reçu des salariés du Contrat de ville pour entendre et partager leurs inquiétudes quant aux conséquences pour l’emploi et la pérennité des missions de proximité qui accompagnent une telle restructuration.
S’il accorde à la municipalité le crédit d’une remise à plat, d’une reconsidération du Contrat de ville pour une meilleure gestion, il s’oppose en revanche à la "suppression d’un outil de la politique de la ville qui a toute sa place et sa pertinence". "Derrière une démarche légitime de reconsidérer un outil, il y a une volonté délibérée de mettre à mort une structure et de sacrifier bon nombre d’employés."
Selon lui, très peu ont accepté la reconversion proposée. "Il y a un vrai danger", en termes de service rendu à la population, d’actions de proximité, d’accompagnement de terrain.


L’intersyndicale divisée
L’Intersyndicale CGTR-FO-CFDT du Contrat de ville est divisée. Si FO et la CFDT acceptent cette restructuration et les propositions de reclassement faites au personnel, la CGTR demande davantage de garanties, "un avenir pour tous".
La direction de la structure a demandé à la conseillère juridique de faire l’interface, mais cette dernière ne possède aucun des éléments d’éclairage demandés. Aucune transmission des effectifs réels, aucun plan de sauvetage, aucune échéance, aucun plan de reclassement ni projet de missions : la CGTR demande à ce que ses délégués syndicaux soient informés.
Elle demande une politique de restructuration définie dans un cadre précis, à ce que des missions soient attribuées aux personnels en poste comme le veut le code du travail, à ce que les individus soient respectés en tant que tel. La CGTR souhaiterait savoir si la mise à disposition du personnel à la mairie constitue le reclassement annoncé.
Enfin, elle demande à ce que les personnels en poste demeurent des prestataires de services de la politique de la ville, alors qu’une municipalisation administrative peut être maintenue.

Un projet pour le 11 mars
La Maison des Associations, branche de l’action de l’Association Saint-Denis 2000, est déjà municipalisée. Elle siège désormais boulevard Vauban, à Saint-Denis, mais son local ne sera officiellement ouvert qu’en mars, pour proposer une aide technique et des informations sur la vie associative uniquement aux associations qui travaillent en partenariat avec la ville de Saint-Denis.
Des agents de la fonction publique ont été mandatés pour mettre en place et diriger la structure, qui n’emploiera pas plus de 5 à 6 personnes, pour l’heure toutes en CDD. Il leur faut plonger dans des dossiers qui leurs sont inconnus pour présenter un projet d’activité d’ici le conseil municipal du 11 mars.

On bureaucratise la proximité
Alors que le service public est victime d’une course effrénée à la privatisation, le tissu associatif est lui aussi menacé par ce désengagement, au détriment des services rendus aux citoyens mais aussi des acteurs associatifs qui souffrent depuis de nombreuses années d’un manque de reconnaissance.
L’État délègue aux associations, leur laisse la liberté qui leur revient et les fonds pour assurer les missions d’intérêt général qu’il n’assume pas. Puis un jour, la sentence tombe comme un couperet : mauvaise gestion des fonds, débordements divers et variés... il faut remettre de l’ordre.
Le refrain politique résonne comme une litanie pré-électorale : il n’y aura pas de casse sociale, personne sur le bord du chemin, etc. On reprend à son compte les services qui fonctionnent, crée de nouveaux métiers (technicien en animation pour la ville rend mieux qu’animateur de quartier pour une association) et demande là encore, aux employés qui vont perdre leur emploi, d’adopter une attitude responsable, de comprendre que la conjoncture actuelle est difficile, qu’il faut faire des économies. On balaye d’un revers de manche les avancées de terrain, mais que peut-on en savoir lorsque l’on y est jamais, sur le terrain ?
Bureaucratiser les outils de proximité les rendront-ils plus efficaces ? Cela reste à prouver et ce sont les citoyens, souvent les plus isolés socialement et psychologiquement, qui sauront le dire ou le faire sentir.


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