Livre vert : vers le Revenu de Solidarité Active - 2 -

Un dispositif unique pour des publics spécifiques

4 avril 2008, par Edith Poulbassia

Le Revenu de Solidarité Active a pour ambition la lutte contre la pauvreté en France. Mais les pauvres ne constituent pas une masse uniforme et les dispositifs d’accompagnement doivent être adaptés aux situations. Une prestation unique comme le RSA pourra-t-elle répondre aux situations particulières ? Le Livre vert amorce une réflexion sur des publics spécifiques. Ceux qui sont concernés par la pauvreté, mais dont l’intégration au dispositif demande une attention particulière.

Le projet de réforme porté par Martin Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités Actives contre la pauvreté, consiste à remettre à plat le système de prestations sociales et les aides à l’insertion pour garantir l’accompagnement vers un emploi de qualité pour tous. Que l’on soit travailleurs pauvres ou bénéficiaires de minima sociaux.
Pour ces publics les plus exclus du marché du travail, les différences de statuts sont devenues selon les cas un frein aux services d’insertion. Le bénéficiaire de l’API (Allocation Parent Isolé) n’a pas les mêmes aides à l’insertion que l’allocataire du RMI (Revenu Minimum d’Insertion), ce dernier n’a pas les mêmes obligations que le bénéficiaire de l’ASS (Allocation de Solidarité Spécifique), etc. « Le RSA, affirme le Livre vert, a pour ambition de revenir sur ces cloisonnements afin d’offrir à chacun, en fonction des besoins propres à sa situation, appréciée selon des critères objectifs, les services dont il a besoin, sans référence à son statut administratif de bénéficiaire de tel ou tel minimum social ou de chômeur indemnisé ou non. Le RSA est donc une occasion sans précédent de rebattre les cartes en ouvrant de façon plus globale un accès à l’accompagnement vers l’emploi. »
La tâche ne s’annonce pas simple, car les minima sociaux sont gérés par des organismes différents (Caf, Assédic, etc), la gouvernance est répartie entre l’Etat et les Conseils Généraux depuis la loi de décentralisation, et les règles de calculs des minima ne sont pas semblables.
Le Livre vert insiste sur trois publics concernés par la pauvreté : les familles monoparentales, les chômeurs en fin de droits et les jeunes de 18-25 ans.

Le cas des familles monoparentales

Les familles monoparentales au chômage ont droit à une allocation spécifique, l’Allocation Parent Isolé, à trois conditions : attente d’un enfant, enfant en bas âge à élever, ou en cas de séparation l’allocation est versée pendant un an. Depuis sa création en 1970, les familles monoparentales ont augmenté. Le livre vert estime à 1,5 million ce type de familles en France, soit une famille sur cinq, contre une sur dix il y a 40 ans. Le résultat d’une progression des divorces et séparation mais aussi des mères célibataires (15%). Ces familles monoparentales sont largement concernées par la pauvreté. 25% d’entre elles ont un niveau de vie inférieur de 25% à celle des autres familles.
Le Livre vert pose la question de l’intégration des API au RSA pour la simple raison que ce public est encore plus exclus des dispositifs d’accompagnement. « Toutes les actions d’insertion prévues par les conseils généraux (pour les allocataires du RMI) ne sont pas ouvertes aux allocataires de l’API. Cette exclusion est paradoxale, car les allocataires de l’API sont souvent ceux qui ont le plus besoin d’intervention pour faciliter leur reprise d’emploi, notamment de solutions de garde d’enfant. »
Le RSA aurait l’avantage de proposer une “offre d’insertion renouvelée” pour ces familles monoparentales. Reste à déterminer s’il faudra garder un complément “parent isolé” au RSA ou prendre en compte d’autres problématiques.

Les chômeurs en fin de droits

Les chômeurs en fin de droits peuvent prétendre à l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Le revenu est sensiblement identique au RMI, mais les bénéficiaires dépendent toujours de l’Assédic et sont tenus de s’inscrire à l’ANPE. Le Livre vert juge injustifiée cette séparation entre ASS et RMI. « Parmi les minima sociaux ouverts aux personnes en âge de travailler, l’allocation de solidarité spécifique est celui qui dans ses principes se rapproche le plus du RMI. L’ASS a été conçue en 1984 pour mieux séparer au sein du régime d’indemnisation du chômage les fonctions d’assurance et de solidarité. Le RMI est venu compléter cette réforme pour des publics auxquels jusqu’alors aucune solution n’était proposée.
Mais, comme on l’a vu, l’évolution du nombre et des caractéristiques des allocataires du RMI a rendu cette séparation de moins en moins pertinente. »
Le Livre vert estime qu’il est tout a fait justifié d’intégrer le public allocataire de l’ASS au RSA. Mais il reste à définir les modalités. Le Livre vert est partagé entre une intégration immédiate, qui ajouterait une démarche administrative de plus pour ces personnes, et une intégration progressive qui ferait disparaître à terme cette prestation. « Le RSA intégrerait ainsi les chômeurs en fin de droits, mais sans remettre en cause les droits déjà ouverts à l’ASS. Par contre, aucun droit nouveau à l’ASS ne serait ouvert. Cette solution revient à programmer l’extinction de l’ASS sur plusieurs années (cinq ans environ compte tenu des conditions d’ouverture et de renouvellement des droits à l’ASS, même si la prestation est attribuée sans limitation de durée a priori). »

Les jeunes sans enfant et les étudiants

« Près de 17% des jeunes sont pauvres, soit cinq points de plus que la moyenne de la population. » Si le RSA veut véritablement lutter contre la pauvreté et permettre l’accès à l’emploi, il ne peut pas faire l’impasse sur les jeunes de 18-25 ans. C’est le public le plus touché par la pauvreté, le chômage, et exclu des minima sociaux : taux de chômage deux fois supérieur au reste de la population active, problème pour se loger, emplois précaires et donc travailleurs pauvres. « Seul 29% des jeunes de moins de 25 ans ont un emploi en France ». Par comparaison, ce taux atteint plus de 50% en Allemagne. Malgré un accès à l’enseignement, ces jeunes manquent de qualification. Sur 5,5 millions de jeunes de 18-24 ans, seulement 2,2 millions sont étudiants.
Le Livre vert insiste : « la population des jeunes adultes ne doit pas être laissée dans un entre-deux des politiques sociales : les jeunes adultes sont probablement les moins concernés par les politiques familiales, mais ils sont aussi très peu pris en compte par les politiques de redistribution. » En effet, les conditions de passage à la vie active ont considérablement évolué, mais les politiques publiques ne se sont pas adaptées. Alors que les jeunes sont exclus du droit au RMI (mais pas au droit à la prime pour l’emploi), le RSA pourrait bien assurer un revenu à ce public sans perdre de vue les objectifs d’incitation au travail et à la qualification.

Fin

Edith Poulbassia


3 milliards d’euros pour les pauvres, est-ce trop “coûteux” ?

Les expérimentations dans les départements n’ont pas encore livré leurs conclusions, ni les groupes de travail du Grenelle de l’insertion, que déjà le Premier ministre François Fillon annonce la couleur : le RSA est « trop coûteux », 2 à 3 milliards d’euros (à comparer aux 15 milliards de cadeaux fiscaux). Quid de la lutte contre la pauvreté, de l’accompagnement vers un emploi de qualité pour tous. La réforme du RSA va-t-il suivre le même chemin que le bouclier sanitaire, finir au fond d’un tiroir, car jugé lui aussi trop coûteux. « On doit pouvoir trouver une meilleure organisation des choses à l’intérieur des budgets sociaux déjà existants », a déclaré hier le Premier ministre.

EP


Qui va financer et gérer le RSA ? L’Etat ou le Conseil Général ?

La question est soumise à consultation. Le Livre vert passe en revue trois solutions. La première consiste à décentraliser totalement le RSA. Dans ce cas, le RSA, comme le RMI actuellement, seraient transféré aux conseils généraux avec les financements correspondants. Or, on sait que les financements transférés sont parfois insuffisants. La Réunion en est un exemple, puisque l’Etat doit 200 millions d’euros au Conseil Général. Le RSA pour l’ensemble du territoire national est une prestation d’au moins 11 milliards d’euros (RMI, API, Prime pour l’emploi), sans compter le surcoût de la réforme. Le Livre vert n’est pas favorable à cette solution qui ferait prendre un risque financier à la collectivité en cas de variation du RSA.
Cependant, le Livre vert n’envisage pas non plus un RSA national. Ce serait faire marche arrière sur le processus de décentralisation. Depuis 2004, le RMI est transféré aux conseils généraux et assure le Livre vert, les collectivités départementales sont très attachées à leur rôle de chef de fil des politiques d’insertion et elles produisent d’autant plus d’effort qu’elles sont responsable du budget. « Une politique d’insertion dynamique aboutit à une réduction de la charge financière de la prestation. Si la collectivité responsable de la politique d’insertion n’est pas intéressée à ces gains, on peut s’attendre qu’elle ne produise que des efforts limités. C’est ce constat qui déjà avait présidé au transfert de l’allocation de RMI en 2004, et l’infléchissement des politiques d’insertion des conseils généraux vers l’insertion professionnelle, depuis cette date, atteste de sa pertinence. »
Le Livre vert plaide pour une solution mixte, qui réduirait le risque financier des collectivités tout en incitant à une politique d’insertion dynamique. Mais la décision sera éclairée par les enseignements de la décentralisation du RMI, en concertation avec les conseils généraux.

EP

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