Préaccord dans les négociations salariales du BTP

Un goût d’inabouti

13 juin 2006

Sur quoi patrons et salariés du Bâtiment sont-ils réellement tombés d’accord ? À écouter parler les uns et les autres, quelle est la force de l’accord en préparation ?

"Il n’y a pas de bon ou de mauvais accord. C’est du donnant-donnant, dans un rapport équilibré. Nous pensons qu’un accord est nécessaire, mais les grosses et les petites entreprises ne sont pas sur le même marché". Ainsi s’exprimait, la semaine dernière, un responsable de la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du Bâtiment) évoquant le préaccord que cette organisation patronale, justement, doit présenter ces jours-ci à ses mandants avant signature. Qu’il s’agisse de la grille des 39 heures ou de celle des 35 heures - elles coexistent depuis 2002 et devraient tendre à disparaître en 2009, sauf initiative spéciale en ce sens d’ici là - les représentants des petites entreprises ont considéré qu’ils n’avaient pas mandat "pour signer à ce niveau-là".

Ce "niveau-là", qui effraie déjà les chefs des petites entreprises (moins de 20 salariés) en raison notamment de la fin annoncée (pour 2009) de la dérogation sur les heures supplémentaires ("ils ne l’appliquent pas !", dit la CFTD) et du rattrapage indiciaire qui en découlera - ce niveau est pourtant jugé très insuffisant par les membres de l’Intersyndicale, à l’exception de la CFDT, seule signataire potentielle de l’accord en vue.
Les contradictions patronales sont connues, entre petites et grosses sociétés.

Mais la situation syndicale, après 9 séances de négociations, n’est pas moins étrange. La Fédération CGTR du Bâtiment a changé d’instance dirigeante en cours de négociation (après 6 séances qualifiées par tous de “bloquées”), et Jacky Balmine, le nouveau secrétaire général de la Fédération BTP à la CGTR, bien qu’ayant participé aux 3 seules rencontres jugées “de négociation véritable” (sur un tiers du parcours seulement), n’a pas vraiment eu le temps de reprendre les données de la négociation en main.

Ainsi, la CGTR a quitté la table des négociations le 8 juin dernier, suivie par 3 autres syndicats, la CFDT s’apprête à signer seule, mais officiellement, l’unité syndicale n’est pas rompue. Elle tergiverse.
"À un moment donné, il faut signer. Sinon personne n’aurait rien eu. Chaque mois qui passe est un mois perdu", estime pour sa part Pierre Savigny de la CFDT, qui a brandi la menace de la “recommandation patronale” pour expliquer que son syndicat s’arrête sur les augmentations acquises.

Mais là encore, les chiffres ne sont pas exactement les mêmes de part et d’autre : selon la source, elles sont de +3,10% pour 35 heures et 4% pour 39 heures - ce qui fait grincer la CAPEB - ou de +3,20% entre juin et septembre pour 35 heures et +3,30% pour 39 heures (indice 102, le plus bas dans les 2 grilles).
Même sur “recommandation patronale” - une disposition par défaut jugée défectueuse parce qu’elle n’a pas force de loi (elle n’est pas opposable aux Prud’hommes) et elle est calculée sur une présomption d’inflation - les propositions auraient-elles pu être inférieures ? Sans doute pas, selon le secrétaire général de la FRBTP, Bernard Tillon, mais il note que "ce n’est pas dans les habitudes péi". "C’est ce qui fait la force des négociations ici, on aboutit toujours à un accord même dans la douleur", ajoute le représentant de la Fédération patronale.
Cette fois-ci, on dirait qu’il y en a qui ont eu peur d’avoir mal...

Le communiqué commun de la CGTR, CFTC, CFE-CGC et FO relève que les plus bas salaires “restent à la traîne”. "Aujourd’hui, les trois premiers indices de la grille des 39 heures sont inférieurs au SMIC et la prochaine revalorisation (...) risque d’aggraver encore la situation", disent les non signataires, qui ajoutent qu’"au final, l’inflation mange les salaires !".

"C’est pour cela qu’on fait introduire dans l’accord une “clause de revoyure”", complète Pierre Savigny (CFDT). "Si la prochaine augmentation du SMIC rattrape les salaires les plus bas, l’accord sera revu". Peut-être, sans doute même, mais avec quelle chance d’être appliqué ? Sachant les limites posées par la CAPEB, alors que les petites entreprises emploient une grosse minorité (30% selon la CFDT) des salariés les plus mal payés.

Au final, ces négociations salariales annuelles laissent une impression d’inabouti, de filandreux. Les patrons peinent à se mettre d’accord, les syndicats de salariés se tournent le dos sans rompre. La CFDT elle-même - seule signataire en vue - ne dit pas non à une unité d’action retrouvée "si les salaires les plus bas font égalité avec le SMIC".
Et tout ceci ne dit encore rien du "partage des bénéfices de la croissance", un argument avancé par l’ensemble des syndicats pour aller largement au-delà de l’inflation.
Et si tout cela n’était que partie remise ?

P. David


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