Le BTP en 2006

Une « activité soutenue »... qui ne produit pas tous ses effets

5 janvier 2007

Le vieil adage « Quand le Bâtiment va tout va » est fortement contredit par la conjoncture réunionnaise. Des distorsions structurelles graves font que, même si l’industrie du Bâtiment a maintenu en 2006 une activité soutenue qui a participé pour une part importante à la création d’emplois, le logement est dans l’impasse et les emplois créés dans ce secteur sont majoritairement des emplois précaires.

Selon les données disponibles à la fédération française du Bâtiment (FFB), l’année 2006 a été pour la construction, au niveau national, « un cru exceptionnel », marqué par une croissance de l’activité en volume voisine de 5%, augurant d’une « bonne année 2007 en perspective ».
A La Réunion, la Fédération du BTP tempère cet enthousiasme (voir encadré) tout en notant la forte progression des effectifs salariés déclarés à la Caisse des Congés payés : 20.222 salariés sur les dix premiers mois 2006, soit une croissance de 12% comparativement à l’effectif moyen de 2005, qui lui même avait connu une progression identique par rapport à 2004, selon un dossier de l’INSEE portant sur la part du BTP et des aides publiques dans la dynamisation des créations d’emploi. En 2005, le Bâtiment a contribué à la création de 1.400 à 1.500 emplois « soit près de la moitié des emplois supplémentaires de l’année » notait l’INSEE. Les créations d’emploi dans le Bâtiment ont été sensiblement équivalentes en 2006 (+ 1.500 environ), contribuant à l’augmentation de 60% des effectifs déclarés du BTP sur la période 2000-2006. Selon les données transmises par la FRBTP en décembre 2006, « le secteur comptait 12.650 salariés déclarés en 2000 [et a vu] une augmentation de 7.500 salariés déclarés » sur les six dernières années. « Selon l’analyse faite par notre Fédération, 50% de cette progression est de fruit de l’action engagée dans la lutte contre le travail clandestin (badges BTP obligatoires et campagne de communication), et 50% résulte de l’évolution de l’activité » souligne le secrétaire général de la Fédération patronale du Bâtiment. Ce fait souligne la forte progression des créations d’emplois sur les deux dernières années (2005 et 2006) par rapport aux “années creuses” précédentes (2001 à 2004), correspondant à la montée en puissance des grands travaux.
La dernière enquête de conjoncture mensuelle de l’INSEE (novembre 2006) souligne « une activité récente très dynamique » et des prévisions pour les prochains mois faisant état d’« une croissance toujours aussi soutenue ». Mais d’autre part les carnets de commande des entreprises souffrent d’une légère détérioration, « essentiellement dans le second œuvre ». « Leur niveau permet d’assurer 6,3 mois d’emploi à temps plein des effectifs : 7,8 mois dans le gros œuvre et 5,3 mois dans le second œuvre » relève la note de l’INSEE, en faisant état également de « tensions sur l’appareil productif ». Ces tensions sont en rapport avec ce que les entreprises appellent les contraintes de production, liées aux difficultés d’embauche : les entrepreneurs ne trouveraient pas le personnel formé qu’ils recherchent - ce qui laisse toujours pantois dans un pays comptant autant de demandeurs d’emplois... et autant d’organismes de formation. « Dans le gros œuvre ces contraintes touchent même 6 entreprises sur 10. Elles évoquent essentiellement le manque de personnel comme limite à l’accroissement de leur production ». Cette note tend à montrer qu’en dépit des efforts faits pour la formation dans les métiers du BTP - en prévision des grands chantiers principalement - il faut faire plus pour la formation initiale ou continue des demandeurs d’emplois qu’un niveau trop faible arrête ou freine dans leur progression.

P. David


Fédération du BTP

Les prévisions pour 2007

Pour 2007, la FRBTP prévoit une activité BTP « soutenue - mais néanmoins fragile - pour peu que la croissance économique réunionnaise ne faiblisse pas, que les taux d’intérêts restent à un niveau incitatif et que l’inflation sur les matières premières soit enfin enrayée. » Ainsi, les avertissements sont lancés tous azymuts, et principalement en direction de l’Etat et du gouvernement, sur le chapitre de « l’environnement réglementaire » et plus précisément de la loi Programme pour l’Outre-Mer.
La FRBTP demande notamment « la suppression du seuil d’exonération des charges sociales à 50 salariés » et « l’application du dispositif d’exonération à 100% dans la limite de 1,3 SMIC pour toutes les entreprises ».
La FRBTP estime à plus 40 millions d’euros par an les recettes sociales et fiscales générées par l’action engagée depuis 1999 contre le travail illégal dans le BTP. Elle fait aussi observer que c’est quatre fois plus qu’il n’en faudrait pour financer la suppression du seuil d’exonération.
Un autre point de friction avec le gouvernement porte sur la date butoir du 31 décembre maintenue pour les opérations réalisées en défiscalisation. Du fait des congés du BTP dès la mi-décembre, cette date butoir génère en fin d’année, selon la FRBTP, « une suractivité insupportable pour les entreprises et leurs salariés, avec un accroissement des risques de toute nature sur les chantiers ». L’accident mortel survenu à la mi-octobre sur un chantier de Bellepierre, vient conforter cette analyse, sans exonérer le chef d’entreprise de sa responsabilité (voir le point de vue des syndicats).
Sur l’ensemble des questions évoquées - voir aussi la position de la FRBTP sur le logement - la fédération patronale « regrette vivement l’absence de mobilisation des parlementaires (...) et l’attentisme du Ministère de l’Outre-Mer qui n’ont d’autre effet que d’entretenir une concurrence déloyale et d’accélérer la déstructuration du secteur BTP, de freiner la mise en place d’une planification des travaux du BTP et d’aggraver les risques sur les chantiers, et d’entraver la relance de la production de logements sociaux et intermédiaires plus sociaux ».

P. D.


Le logement social dans l’impasse

Le logement social est, à La Réunion plus qu’en France, dans une impasse très préoccupante, étant donné les besoins immédiats et à venir de la société réunionnaise.
Selon le recensement de février 2005, le parc de La Réunion était estimé à 274.000 logements (au 1er juillet 2004), dont 251.900 résidences principales, toutes catégories. 55% des ménages sont propriétaires de leur logement pour 41% qui sont locataires et 4% logés à titre gratuit.
La Réunion compte plus de 25.000 demandeurs de logement social et plus de 20.000 logements insalubres. Ce dernier chiffre, rendu public au tournant 2000, est aujourd’hui largement dépassé si l’on tient compte du fait qu’il se construit chaque année entre 2000 et 4000 “logements informels”, plus proches du taudis que du logement social.

Cette progression des logements informels est directement liée aux freins mis à la construction de logements sociaux et très sociaux ou logements évolutifs sociaux (en accession à la propriété). Dans toutes les catégories de logements, le reflux est prononcé par comparaison avec le rythme des constructions dans la décennie précédente. De plus de quatre mille logements neufs construits en moyenne chaque année il y a dix quinze ans, nous sommes passés à un rythme de construction qui n’atteint plus, en logement social, que la moitié des objectifs annuels (2.575 logements sociaux neufs mis en chantier en 2005).
Même la construction de logements intermédiaires se heurte à des conditions défavorables. Les catégories sociales qui bénéficiaient du prêt à taux zéro (PTZ) sur 40% de leurs investissements l’ont vu supprimer il y a deux ans. De plus, la défiscalisation a eu pour effet de faire s’envoler les prix de location des logements intermédiaires.
L’évolution démographique de l’île nécessite de construire de 10.000 à 11.000 logements neufs chaque année - dont cinq à six mille logements sociaux - pendant quinze ans. Les besoins en foncier correspondant dépendront de leur densité : pour 30 logements à l’hectare (SAR), il faut 5.200 hectares mais si l’on n’en fait que 15, il faut deux fois plus de terrain, selon l’AGORAH.

Les effets de la défiscalisation sur le logement restent eux aussi très mal mesurés. Selon un document (non officiel mais véridique) de la Direction des Impôts, 90% des sociétés qui défiscalisent n’ont pas leur siège à La Réunion. Ce qui reste dans l’île, des effets de la défiscalisation, est le doublement en dix ans du prix du mètre carré à bâtir (+ 9,7% d’augmentation annuelle moyenne) et le renchérissement des loyers.
Mais les appréciations sur la défiscalisation et ses effets restent très divergentes. Certains en relèvent les effets pervers. Tandis qu’une étude de l’AGORAH et de la DDE (2005) a estimé « tout à fait positives » les retombées économiques du dispositif. « Il permet de dynamiser les métiers du Bâtiment en soutenant la production de logements qui restent un enjeu majeur à La Réunion. Il participe pleinement, par la production de logements collectifs en zone agglomérée, aux objectifs de densification et de développement durable visés par l’ensemble des pouvoirs publics ».
FRBTP a récemment rappelé qu’elle avait demandé l’ouverture d’un droit à défiscalisation sur les logements en VEFA (1% logement) « afin de favoriser et de développer la production de logements sociaux ».

Au final, la situation qui prévaut dans l’île grève le pouvoir d’achat des ménages des catégories intermédiaires et empêche totalement les plus modestes - qui sont de loin les plus nombreux - d’accéder à un logement décent.
La LBU - qui devrait répondre dans l’île aux besoins de 80% de la population - est sous employée depuis si longtemps que la dette de l’Etat sur cette ligne de crédit dépasserait les 800 millions d’euros (pour l’ensemble des DOM).

P. D.


Du côté des syndicats de salariés

CGTR : « Créons un organisme paritaire régional pour la prévention »

Pour Jacky Balmine, secrétaire général de la Fédération du Bâtiment (CGTR) et son collègue trésorier Raymond Payet, les conditions de travail dans le Bâtiment découlent des fortes pressions - délais, profits...- qui s’exercent dans les entreprises. « Avec le nombre d’accidents du travail qu’il y a eu cette année, nous restons sur notre demande formulée lors de la conférence de presse de novembre 2006 : créons un Organisme professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics - OPPBTP » répètent-ils en revenant sur les accidents de l’année : Cambaie, Rivière des Pluies, Bellepierre, Stella... 4 accidents mortels... un par trimestre. « Mais on ne parle jamais des accidents graves... », ajoutent les deux syndicalistes.
« En France, il se produit 1 accident bénin par minute, 1 accident grave toutes les dix minutes et 1 accident mortel toutes les dix heures... C’est une roue qui tourne... », commente Jacky Balmine, en relevant que tous les accidents mortels de l’année 2006 se sont produits « sur les deux plus gros chantiers » de l’île.
La demande de création d’un OPPBTP semble rencontrer un certain écho auprès des pouvoirs publics (voir encadré sur l’accident mortel), mais elle se heurte aussi à des oppositions larvées.

• CFDT : « La précarité devient pérenne par tricherie organisée »

Secrétaire de la Fédération CFDT du Bâtiment, Pierre Savigny est aussi conseiller juridique bénévole pour les contentieux de la branche. Il est interpellé par l’extension de la précarité pour les ouvriers du Bâtiment.
Selon lui, un minimum de 5.000 contrats de chantiers symbolisent la précarité de leur statut. « Il y a une tricherie organisée - explique-t-il. Normalement, entre chaque contrat, l’interruption est de 15 jours. Souvent, pour les besoins des chantiers, les patrons réambauchent sans respecter les délais, sur des contrats d’interim. Les employeurs n’aiment pas qu’on parle de tricherie. Mais pourquoi y a-t-il autant de “contrats de chantiers” et si peu de CDI, alors que la situation globale du Bâtiment est bonne ? »
Légalement toujours, après 18 mois de contrats de chantier en continu, un salarié passe en contrat permanent. « On peut se demander si un CDD ne serait pas préférable au “contrat de chantier”, dont le cumul n’apporte aucune ancienneté aux salariés. Avec le CDD existe l’indemnité de précarité, passée de 6% à 10% et au bout d’un certain nombre de CDD, le salarié passe en CDI. Les employeurs ont trouvé le filon avec le contrat de chantier et les contrats d’interim répétés » poursuit le syndicaliste.
« Le salarié n’a plus d’ancienneté avec ce système. Là où il est possible d’épingler les employeurs, c’est quand ils oublient pendant plus de 48h de rédiger le contrat de leur salarié ; celui-ci passe alors en CDI permanent et on peut le faire valoir devant un tribunal ».
Dans une conjoncture favorable aux ouvriers du Bâtiment, le dirigeant de la CFDT pense qu’une union CGTR-CFDT plus conséquente pourrait obtenir plus de résultat. « Il y a beaucoup de chantiers, on pourrait obtenir des choses importantes » conclut-il.


Octobre 2006 : accident mortel à Bellepierre

L’absence de prévention est toujours un mauvais calcul

La DDE et l’Inspection du Travail ont mené en 2006 des opérations de contrôle des règles d’hygiène et de sécurité sur plusieurs chantiers de l’île. La plus récente est celle du 1er décembre 2006 : 42 chantiers et 100 entreprises contrôlés, 95 lettres d’observations, 2 procédures pénales engagées et 6 arrêts de chantiers.
Ce bilan montre que les infractions aux règles d’Hygiène et de sécurité sont encore trop nombreuses et qu’il faudrait pouvoir renforcer les équipes de contrôles pour faire reculer les accidents en 2007.
Celui de Bellepierre, en octobre dernier, est exemplaire parce que les enquêtes réalisées ont mis en exergue toute une série de “bricolages” réalisés sur l’échafaudage qui s’est effondré. Plus grave : l’entrepreneur, bien qu’adhérent à l’un des deux groupements patronaux, avait tout mis en œuvre dans le courant de l’année, pour décourager l’implantation d’un syndicat (pas de quorum, PV de carence envoyé à l’inspection du Travail...).
Aujourd’hui confronté à un accident mortel qui va lui coûter très cher, l’entrepreneur n’a plus qu’à méditer sur l’importance de la prévention, l’une des tâches assumées par les délégués du personnel.

P. D.


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