Conditions indignes subies par 14 travailleurs chagossiens

Une dérive dangereuse pour le droit du travail

23 juin 2007

« Derrière cette histoire, il y a celle des hommes qui, à travers les siècles, n’hésitent pas à exploiter leur prochain dans des conditions indignes pour faire du profit » : Jean-Marc Gamarus de la CGTR fait part de l’indignation de son syndicat. La situation subie par les 14 travailleurs chagossiens est là pour rappeler à tous que l’exploitation de l’Homme sur le sol de La Réunion pourrait être légalisée si le principe dit ’du pays d’origine’ était un jour appliqué. Force est de constater que cette mise en concurrence des travailleurs souhaitée par les partisans de l’ultralibéralisme ne peut qu’avoir un impact désastreux sur les droits des travailleurs.

Jeudi, les deux employeurs de 14 travailleurs chagossiens sont ressortis libres du Palais de Justice en échange d’une caution de 50.000 euros, dont 11.000 ont été payés le jour même. Au terme de leur garde-à-vue, les deux patrons étaient déferrés devant un juge d’instruction. Ils sont mis en examen pour conditions de travail contraires à la dignité et pour travail illégal par dissimulation d’horaires. Ce sont des faits extrêmement graves, ils nécessitent l’ouverture d’une information judiciaire.
Venus de l’Ile Maurice, ces travailleurs chagossiens sont loin de percevoir le salaire minimum qui leur était promis. Ils affirment ne pas avoir signé de contrat de travail, ne jamais avoir eu la moindre fiche de paie et expliquent percevoir en tout et pour tout entre 100 et 500 euros de salaire mensuel. Une somme qui est loin d’être une juste rétribution. En effet, les ouvriers alignaient des journées allant au-delà de la limite hebdomadaire légale. Ils devaient recycler des métaux qui, ensuite, étaient expédiés par container vers l’Inde, un bien dur labeur, effectué dans des conditions indignes, pour un salaire de misère. Dans cette affaire, l’exploitation est le seul mot qui peut qualifier les rapports entre les patrons et les salariés. C’est une injustice que l’on ne peut que condamner, d’autant plus qu’elle touche des travailleurs vulnérables, confrontés à Maurice à une difficile réalité quotidienne et qui pensaient toucher à La Réunion un salaire suffisant pour faire vivre leur famille expatriée dans l’île sœur.

Indignation à la CGTR

Par ailleurs, les Chagossiens étaient la cible de brimades. Dans les colonnes du "JIR" d’hier, Canda Sawmy Pillay, Président de la Ligue des Droits de l’Homme, précise que « tous les éléments constitutifs d’un esclavage sont réunis. Il y a eu séquestration de passeport. On les empêchait de voir des gens. Il y avait maltraitance sur le lieu de travail et en dehors ».
Cette affaire rappelle des temps que l’on croyait révolus. Pour Jean-Marc Gamarus, Secrétaire général de l’URSO-CGTR, « derrière cette histoire, il y a celle des hommes qui, à travers les siècles, n’hésitent pas à exploiter leur prochain dans des conditions indignes pour faire du profit ». Le syndicaliste déclare que « la CGTR s’élève d’une façon très vive contre cette situation vécue par des travailleurs des Chagos, sur notre sol ». « C’est une situation qui porte atteinte aux droits de l’Homme, elle nous ramène à des temps révolus, où des travailleurs sont exploités par des patrons sans scrupule ».
Titulaires d’un passeport britannique, les Chagossiens sont de fait des ressortissants de l’Union Européenne. Un statut qui leur permet un séjour prolongé à La Réunion sans visa. Nul doute que cette situation ait été considérée comme un avantage par leurs employeurs qui les ont fait venir de Maurice. Mais si les patrons ont aujourd’hui affaire à la justice, c’est parce qu’ils étaient très loin d’appliquer le Code du Travail. L’écart avec le droit qui protège les travailleurs était tel qu’il a été traduit par la Justice comme des conditions de travail indignes.
Jean-Marc Gamarus rappelle que la règle qui s’applique pour un travailleur salarié à La Réunion est le respect du droit français. Cela implique respect des horaires, du salaire minimum et de la protection sociale.
Le syndicaliste souligne que la CGTR lutte toujours pour que cela soit ce droit qui s’applique, pour tous les salariés à La Réunion. « Nous refusons le droit du pays d’origine », souligne Jean-Marc Gamarus.

Fermer toute possibilité de surexploitation

À travers cette affaire, c’est aussi cette question qui est posée. Il n’est pas tolérable qu’un employeur prenne des libertés avec le Code du Travail sous prétexte que ses salariés sont ressortissants d’un pays où la législation est moins favorable au travailleur que celle qui s’applique à La Réunion. Autrement dit, même si à Maurice, le salaire minimal est inférieur à celui qui est légal ici, il n’est pas question que des employeurs abusent de la situation par quelque moyen que ce soit en payant leurs employés sous le SMIC parce qu’ils viennent de Maurice.
Cautionner pareil comportement, cela signifie prendre parti pour le principe du pays d’origine, contenu dans la directive Bolkestein et dont l’esprit était repris par la "Constitution Giscard". Jean-Marc Gamarus rappelle que la CGTR avait pris part à la campagne contre la directive Bolkestein. Grâce à cette large mobilisation, ce projet de mise en concurrence des travailleurs a été repoussé. Cette victoire s’est traduite dans les urnes en 2005 lors du referendum sur le Traité constitutionnel européen à travers un vote massif pour une Europe qui ne soit pas soumise aux contraintes édictées par l’ultralibéralisme.
Au-delà de son aspect sordide, l’affaire des 14 Chagossiens exploités par des patrons sans scrupule est là pour appeler à la vigilance. Car les projets de mise en concurrence des travailleurs ne sont pas enterrés. Il est important de ne pas baisser la garde pour que le verdict des urnes ne soit pas remis en cause. En effet, l’application du principe du pays d’origine aurait pour première conséquence la légalisation de situations qui, à la lumière de la lecture du Code du Travail, sont aujourd’hui considérées comme de l’exploitation.

Manuel Marchal


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