Chômage, productivité et politiques d’emploi à La Réunion

Une double transition presque réussie

8 octobre 2004

La première étude du projet CEROM porte sur l’emploi. Un bilan macro-économique qui permet de suivre les évolutions de l’économie réunionnaise sur les trente dernières années. L’exposé ci-dessous a été présenté par Jean-David Naudet de l’Agence française de développement. Les intertitres sont de “Témoignages”.

Le chômage réunionnais apparaît à première vue paradoxal dans la mesure où son évolution semble déconnectée de la croissance économique. En effet, alors que l’économie de l’île a connu une croissance moyenne de 5% par an pendant 30 ans (1970-2000), rythme digne d’une économie émergente, le chômage a enregistré dans le même temps une dégradation constante pour atteindre environs le tiers de la population active, soit le niveau le plus élevé du territoire français. Cette aggravation "inexorable" de la situation de l’emploi a pourtant été stoppée en 1998, avec un retournement du marché du travail, à nouveau sans lien évident avec la conjoncture économique.

La croissance s’appuie plus sur la productivité que sur l’emploi

Le facteur démographique explique naturellement une partie de ces évolutions. La croissance de la population active a été rapide, au rythme annuel de 3,3% par an sur le dernier quart de siècle (1974-1999). Mais le facteur économique ne doit pas être sous estimé. Si la croissance n’a pu absorber la totalité de la demande d’emploi, c’est parce qu’elle a reposé largement sur des progrès de productivité (en moyenne 2,8% par an sur la période 1974-99 contre 1,8% sur l’ensemble national), et dans une moindre mesure sur une expansion de l’emploi. En définitive, le déséquilibre du marché de l’emploi à La Réunion sur la longue période relève de la conjonction de trois phénomènes : la croissance rapide de la population en âge de travailler, la progression du taux d’activité en liaison avec l’émancipation féminine et la faiblesse relative du contenu en emploi de la croissance.

Des mutations rapides et profondes

Les progrès de productivité constituent un élément majeur de la transformation économique réunionnaise. Ils caractérisent la transition économique, qualifiée parfois de rattrapage, que la Réunion traverse en même temps que sa transition démographique. Cette double transition réunionnaise se manifeste par une profonde et rapide mutation qui, en l’espace de quelques décennies, a transformé une petite économie traditionnelle tirée par l’agriculture et l’industrie sucrière en une économie urbaine fondée sur les services. La modernisation de l’île s’est diffusée à l’ensemble de l’économie, de l’appareil productif aux infrastructures, dans un contexte institutionnel en rapide mutation.

Les années 90 : un tournant

Au cours de cette période de transition, un processus de création/destruction d’emplois, source première de la productivité, s’est déroulée de manière accélérée. L’économie d’abord connu jusqu’au tournant des années 1990, une phase de respécialisation, marquée par la destruction d’emplois dans l’agriculture et la filière canne-sucre-rhum et par la création de nouveaux emplois dans les services marchands et l’industrie. Dans le même temps, un processus de modernisation des activités s’est amplifié jusqu’à devenir le phénomène dominant dans les années 1990. Cette décennie a été caractérisée par des gains élevés de productivité intra-branches et une faible création d’emplois marchands, dans un contexte d’alignement des minima sociaux sur la métropole.

2000 : Là où le chômage décroît

La même période a aussi été marquée par une politique publique d’emploi active qui a eu un impact déterminant sur le marché du travail. Le fort développement des emplois-aidés, majoritairement dans le secteur non marchand, et plus généralement l’assouplissement (et la précarisation) des nouvelles formes d’emplois (CDD et temps partiels) ont conduit à amorcer la décrue du chômage à la fin de la décennie. Une conjoncture très favorable du marché du travail dans les années 1999-2001 a par ailleurs permis de confirmer et d’amplifier cette rupture historique de l’évolution de chômage réunionnais.

Maintenant c’est possible

Alors que la montée du chômage était inexorable dans les décennies précédentes (il aurait fallu une croissance régulière de 7% par an dans les années 80 pour stabiliser le chômage), il faut s’attendre désormais à une évolution de l’emploi plus sensible à la conjoncture économique et à son accompagnement par des politiques publiques. La contrainte démographique s’assouplit progressivement, et le processus de destruction d’emplois devrait décélérer, même s’il est probable que la productivité continue de progresser plus rapidement que sur le territoire métropolitain. Autour de l’année 2010, une croissance légèrement supérieure à 4% sera encore nécessaire pour améliorer la situation de l’emploi. C’est un objectif ambitieux mais désormais accessible.


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Témoignages - 80e année


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