Université
Les dangers de l’autonomie de l’université
23 décembre 2011
La semaine dernière, nous évoquions le coup d’éclat de l’Université de La Réunion, qui a rejeté son Budget 2012 pour ne pas passer à la Responsabilité Compétence Elargie (RCE), reportant ainsi son passage à l’autonomie en 2013. Nous avons cherché aujourd’hui à mieux comprendre cette décision.
Dans l’absolu, donner aux universités la totale maitrise de leur patrimoine et de leur gestion est une bonne chose, surtout que l’État n’a jamais su prendre les bonnes décisions concernant les universités, et surtout, cela permettrait d’éviter la réalisation des projets inappropriés. Enfin, cela permettrait d’améliorer l’efficacité administrative des universités.
Dans la réalité, les moyens alloués aux universités, écoles et centres de recherches depuis 2007 n’ont pas augmenté. Les universités, et en particulier celle de La Réunion, sont totalement sous-dotées et manquent cruellement de moyens financiers et humains. Cela s’est traduit, dans notre île, par des suppressions de postes, la fermeture de filières dans le Sud, la mise en place de quotas dans le nombre de places des formations et l’ouverture d’une Faculté de médecine et d’écoles d’ingénieurs sans un euro supplémentaire.
Une remise en cause du financement des universités par l’État
Avec l’autonomie des universités, les établissements seront dotés d’un budget global, les moyens ne seront plus fléchés sur des dépenses précises : personnel, investissement, fonctionnement… La fusion des crédits alloués par l’État et les ressources propres auxquelles aboutit la globalisation du budget fait courir un risque évident de désengagement de l’État en le dédouanant de ses responsabilités en matière d’encadrement.
Désormais, l’État permet aux universités de faire appel au mécénat privé pour financer ses projets. La loi permet le développement de fondations de droit privé qui disposent d’une totale autonomie financière. Aussi, les universités peuvent disposer de leurs ressources propres et bénéficient de mesures incitatives de défiscalisations prises à destination des entreprises et des particuliers. Quand on connait la nature du tissu économique de notre île, il faudra une vingtaine d’années pour que le mécénat privé joue pleinement son rôle. C’est donc à l’État d’amorcer la pompe en allouant à l’Université de La Réunion une dotation initiale significative par rapport à la situation spécifique de La Réunion.
La loi permet également le transfert de la propriété des bâtiments vers les universités. Alors que la maintenance des bâtiments absorbe aujourd’hui une grande partie du budget des établissements, on voit mal comment l’investissement (nouvelles constructions, rénovations d’ampleur) pourrait être mieux assuré par les universités elles-mêmes. Cette disposition sous-tend une démission de l’État face à ses responsabilités. En effet, selon le texte, l’État n’est tenu ni de remettre les bâtiments en état préalablement au transfert de leur propriété, ni même de doter l’établissement des moyens d’assurer la maintenance et les grosses réparations, mais simplement de garantir, « le cas échéant », une « mise en sécurité ». Avec la perspective des 20.000 étudiants dans 20 ans à La Réunion, contre 12.000 actuellement, on voit mal comment l’Université de La Réunion, à elle seule, pourra garantir l’accès à l’enseignement supérieur pour tous.
De plus, les dispositions de la loi sur la gestion des ressources humaines par les universités désengagent complètement l’État. En permettant aux établissements de recruter des personnels contractuels pour occuper des postes de personnels administratifs de toutes les catégories et exercer des activités d’enseignement, l’État marque ainsi sa volonté de laisser les établissements compenser leurs déficits d’encadrement par eux-mêmes. L’embauche en CDI de personnels en lieu et place de fonctionnaires titulaires est une menace pour le service public.
Un recul démocratique important
Enfin, alors que l’accroissement de l’autonomie des universités devait être compensé par une participation plus importante de la communauté universitaire à la Direction de l’université, toutes les mesures de la loi vont à l’encontre de ce principe, notamment pour les étudiants. Alors qu’auparavant, les étudiants représentaient 20 à 25% des membres du CA, ils ne représentent plus que 10 à 22% de ses membres.
En conclusion, l’autonomie des universités dans l’absolu est la solution pour développer nos universités et augmenter leur compétitivité. Mais la réalité nous rattrape, et dans le contexte actuel, l’Université de La Réunion manque de moyens financiers et humains, et ne trouvera pas les alternatives dans son bassin économique et régional. La décentralisation doit être accompagnée de moyens financiers suffisants et spécifiques à chaque situation. Il nous faut une « université libre, autonome, prospère », afin de rayonner dans toute la zone océan Indien.
Calendrier d’une réforme à marche forcée
> 6 mai : élection de Nicolas Sarkozy
> 23 mai : le Premier ministre, François Fillon, annonce que la loi sur l’autonomie des universités ne concernera pas les frais d’inscription et la sélection
> 28 mai : annonce du calendrier de discussion du projet de loi sur l’autonomie : l’UNEF dénonce cette réforme à marche forcée
> Juin : concertation sur le projet de loi
> 22 juin : rejet du projet de loi par le CNESER
> 26 juin : Nicolas Sarkozy apporte plusieurs modifications au projet de loi : les CA passent de 20 à 30 membres maximum, l’optionalité de l’autonomie et la sélection en Master disparaissent du texte
> 10 juillet : examen du projet de loi par le Sénat
> 13 juillet : l’UNEF condamne les modifications de la loi par le Sénat
> 22 juillet : avant l’ouverture du débat à l’Assemblée nationale, l’UNEF interpelle les parlementaires et demande de profondes modifications du texte
> 25 juillet : vote de la loi par l’Assemblée nationale : les députés reviennent sur de nombreux amendements des sénateurs
> 11 août : publication de la loi
(Source : UNEF)