Face à la presse

Femme et navigatrice : force et fragilité

16 mars 2007

Après l’accueil populaire qui lui a été réservé le matin, un passage sur la Jeanne d’Arc, à quai dans la darse voisine, Maud Fontenoy a peu à peu repris pied sur la terre ferme. Sensation étrange, après 150 jours passés sur l’eau : « sentir le sol plat » sous ses pieds. Autre sensation dont elle avait “oublié” l’expérience : l’univers rassurant d’une chambre (en l’occurrence celle du Saint-Alexis), cette bulle où « tout va bien ».
Devant la presse réunie à l’hôtel du Boucan-Canot, la jeune navigatrice raconte avec un entrain inaltérable les bons et les mauvais moments de l’épreuve qu’elle vient de passer. Elle est “sur un nuage”, heureuse d’être revenue, en pleine forme, à quelques carences de vitamines près. Elle en tire un message qu’elle adresse aussitôt « aux enfants en oncologie pédiatrique de l’hôpital de Garches : quand la tête va, le corps peut suivre » leur dit-elle depuis La Réunion.
À la voir si radieuse, qui pourrait imaginer qu’elle a franchi près de 25.000 nautiques à contre-courants, louvoyant contre les vents et les courants marins par toutes les mers du sud, depuis cinq mois ? Ce qui lui vient d’abord, c’est la douceur des dernières heures sur l’eau, quand elle se savait proche. Et soudain, la côte, surgie « comme un mirage, dans l’immensité liquide... Un trait de crayon sur l’horizon, puis une silhouette. C’est la délivrance ! » Pourtant, la houle était forte depuis hier, des vagues de trois à quatre mètres ont provoqué un accident sur la route littorale. Mais Maud Fontenoy était encore loin de ces contingences terriennes et savourait son approche des côtes réunionnaises.
Loin des 50e Hurlants qui lui ont procuré un des plus terrifiants, mais aussi un des plus inespérés moments de sa dure navigation.

Perdue en mer

Le plus terrifiant, quand elle s’est vue perdue en mer, perdue pour les siens, au large du cap Horn. Elle revoit le mât cassé battant contre la coque, menaçant de la percer à tout moment. Les haubans arqueboutés. « Je n’osais pas aller sur le pont » raconte-t-elle, soudain debout, revivant ces moments terribles dont elle a bien cru ne jamais sortir vivante. « Heureusement que j’avais fait des stages de survie avec la Marine Nationale. Cela a été difficile ; j’ai dû sortir le canot de sauvetage... » Elle fait son paquetage de survie et y glisse un seul livre, parce qu’elle l’avait promis à un ami, le vice-président de l’Oréal : “Pourquoi j’ai mangé mon père”, de Roy Lewis ! Passant du rire aux larmes, la jeune femme transmet à l’auditoire sa douleur à l’idée d’abandonner son bateau, son projet, son rêve... Jusqu’à ce qu’elle trouve la force de gérer sa peur, de ne pas céder à la panique et de passer son bateau en revue. Et puis elle « attend », toute la nuit, et dès le matin elle prend la boite à outil et se met au travail. Non sans avoir « longtemps réfléchi avant à la façon d’opérer ». Elle doit se mouvoir sur un pont encombré de filins, de cordages, de la voile qui finalement retenait le mât et mettait son embarcation en danger. Maud Fontenoy raconte alors le coup de couteau dans la voile qui a tout dégagé, et puis encore le mât qui reste coincé par la rigole du winch sur le bord du bateau. Impossible à soulever. Ne pouvant pas finir de se dégager, elle a filmé la scène ! Un creux de vague plus profond que les autres va libérer le mât.

« Un instant d’éternité »

Et dans ces 50e Hurlants, « un instant d’éternité », le bassin du cap Horn (56° sud), un lieu magique où elle n’aurait jamais pensé être un jour. Dans cette zone réputée pour ses vents d’une puissance inouïe donnant naissance à des vagues immenses, « devant un mur en béton, j’ai vu s’ouvrir une petite porte », une accalmie comme un de ces « moments fabuleux, intenses » qui font le quotidien de la navigation et du contact avec la nature. La jeune femme a goûté chacun des moments d’harmonie et de répit laissés par la nature, avec une sensibilité exacerbée par les éléments, par le contact avec les animaux, baleines, tortues ou albatros qu’elle a croisés sur sa route. En s’efforçant de les déranger le moins possible.

Ces 150 jours ont été une suite ininterrompue de “galères”, à affronter seule - On ne l’y reprendra plus, « J’en ai fait le tour » dit-elle de la solitude - et de moments de joie, tels ceux qu’elle a partagés avec les enfants qui suivaient son périple. Maud Fontenoy a réussi cet exploit « pour eux », associant le plus grand nombre possible de classes « de l’Outre-Mer et de France ». Associée à deux musées, celui de Stella Matutina à La Réunion et celui de la Marine nationale, elle était en ligne chaque semaine avec ses petits correspondants. « J’ai voulu les impliquer et j’essaie de leur parler avec leurs mots à eux. Une traversée en mer, c’est quelque chose de concret, quelque chose qu’on fait petit bout par petit bout » dit-elle, consciente que son exemple peut insuffler chez l’un ou l’autre un rêve d’enfant qui grandira. « En retour, ils m’ont donné leur fraîcheur, leur innocence, leur besoin de comprendre... Ils ont décoré l’intérieur de mon bateau » dit-elle en s’amusant particulièrement des dessins qui représentaient son voilier « avec un petit mât ». « Comme si les enfants avaient pressenti le démâtage ! ». Avec les dessins, des poèmes d’enfants, des mots d’encouragement : “Lâche pas !” lui disaient-ils.

« L’épuisement des forces n’épuise jamais la volonté »

Forcément elle y a pensé après le démâtage, puisant dans tous les messages la force de réparer son bateau - elle qui se veut “très femme” et pas bricoleuse pour deux sous - et de continuer la route. En dépit des mauvais moments, qu’elle oubliera vite. « Cinq mois sans un regard, sans sourire, sans un contact physique, c’est dur. On se sent vidé de quelque chose. On n’a plus que soi et son enveloppe ». Pas un câlin, pas de père pour l’embrasser sur le front... « C’est dur. On a mal, on en a marre, mais si tu as envie tu continues » dit la jeune femme en citant le grand Victor Hugo : « L’épuisement des forces n’épuise jamais la volonté ».
Même avec les mains et le visage rongés par le sel, même avec les doigts cassés - Maud Fontenoy ne peut plus fermer son poing gauche, ni en plier le pouce - elle raconte « cette énergie qu’on trouve en soi et qu’on a tous ». Cette force côtoie une grande fragilité - c’est l’autre partie de ce qu’elle a appris sur elle - une vie qui ne tient qu’à un fil, une sensibilité à fleur de peau qui la faisait pleurer devant un coucher de soleil.

La jeune femme est revenue plus forte que jamais, rayonnante, “gonflée à bloc” et pleine de projets : un film, racontant son tour du monde vu dans le regard des enfants ; un livre, puisé aux notes de son carnet de bord et « deux-trois idées sympas » de navigation, solidaire cette fois, autour de la France avec des enfants auxquels elle veut absolument transmettre un message écologique urgent : il faut sauver les océans et ce nouvel exploit a besoin de chacun de nous.

P. David


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