33ème anniversaire de l’O.M.S. du Port - 5 -

Identité et responsabilité

23 août 2004

Sur l’histoire de l’OMS du Port, dans sa conférence à l’Université de la Réunion en 1998, Raymond Lauret a évoqué un sujet important : celui de donner aux jeunes des quartiers défavorisés l’opportunité de trouver une place dans la société et leur donner un sentiment de responsabilité, et cela par le biais du Sport.

Intervenir depuis l’école, comme il a été dit précédemment, accompagner l’enfant jusqu’au club, permettre à ceux qui sont davantage doués d’aller bien plus loin : c’est là une démarche normale.
Il nous a fallu également nous tourner vers les quartiers où les choses et les hommes n’étaient pas forcément organisés. Et tout naturellement, nous nous sommes préoccupés de créer les conditions pour que les inorganisés s’organisent.
Le sport interquartier est né de cette volonté de dire aux laissés pour compte du sport réunionnais, qu’ils avaient dans l’organisation du sport de leur ville, une place à prendre.
Aujourd’hui, un peu partout dans l’île, existent des championnats interquartiers de football. La presse réunionnaise en publie régulièrement résultats et classements. La chose paraît naturelle, presque banale. Pourtant, “les interquartiers” ont une histoire, leur histoire.
Tout commence en 1972, au Port. Depuis un peu moins d’un an donc, la cité maritime dispose d’un Office municipal des sports dont les dirigeants s’interrogent sur les initiatives à prendre pour permettre à un plus grand nombre de pratiquer. Déjà, il y a de nombreux jeunes au chômage. Le zamal, des drogues plus dures sont en embuscade et guettent les oisifs, surtout ceux des milieux pauvres. Et puis, il y a chez ces dirigeants le sentiment qu’il est profondément injuste que certains soient privilégiés et puissent pratiquer dans des clubs, pendant que d’autres, pour diverses raisons, n’y trouvent pas place.

Élargir les bases

La ville du Port compte alors relativement peu de licenciés. Les clubs et les sports pratiqués ne sont pas bien nombreux. De plus, le club sélectionne les meilleurs par catégorie. En football notamment, où des règles et des règlements existent. Seule une certaine élite (c’est ainsi qu’on appelle “les meilleurs” !) peut y trouver place. Ajoutons que, pour faire fonctionner un club, il faut des dirigeants - et Dieu seul sait qu’ils ne sont pas nombreux ! - et pas mal de moyens financiers.
Le manque de dirigeants et le manque d’argent montrent à l’évidence que la solution visant à augmenter le nombre de pratiquants n’est pas à chercher dans une intégration au système officiel.
Or, à l’occasion d’un tournoi d’équipes de football des quartiers de la ville organisé le week-end de pâques - chaque équipe pouvait avoir un joueur “licencié”, tout le tournoi se faisant sur un “demi-terrain” avec des matchs à 7, seule la finale se jouant à 11 sur le “terrain” - il était nettement apparu que les dites équipes s’étaient constituées spontanément à partir de jeunes inorganisés. Le tournoi regroupait une dizaine d’équipes (Cœur saignant, la Butte, la SIDR, Titan, Montpellier, la SATEC, l’Eglise, etc...). Les matchs furent arbitrés par les jeunes. Il en vint plusieurs centaines de spectateurs, la famille, la copine, les copains, les amateurs de football du coin, les plus vieux...
Le succès ne fut pas des moindres et, comme on dit, on en causa longtemps dans les chaumières.
L’expérience put être renouvelée une ou deux fois, le temps pour les dirigeants de l’OMS d’arrêter les grands principes du sport interquartiers.

Une question d’identité

Il s’agissait, en tout premier lieu, d’offrir à plusieurs dizaines de jeunes gens, en pleine force de l’âge, l’occasion et l’envie de se rencontrer.
Le sport - et plus particulièrement le foot, avec son universalité légendaire - est l’un des moyens les plus simples dont nous disposons pour favoriser le regroupement des individus. L’objet du “litige” existe. Il a la forme toute arrondie d’un ballon de cuir.
La légende “des enfants de la balle” n’appartient pas, ici, à une quelconque mythologie et n’est pas l’apanage des enfants des favelas brésiliennes. Le langage du football se comprend, se parle partout et, dans les quartiers populaires, on le comprend bien et on le parle encore mieux. Alors, pourquoi chercher ce qui est compliqué quand on peut faire à partir de ce qui est simple ?
En second lieu, il s’agissait de permettre à des citoyens de se prendre en charge, de se responsabiliser, d’assumer ce qui découlerait de tout ce qu’ils auraient à entreprendre. Ainsi, les équipes seraient composées exclusivement de jeunes... qui jouent. Il importait de faire comprendre au plus grand nombre qu’il n’était point indispensable d’avoir des dirigeants pour diriger. Il fallait créer les conditions pour que celui qui joue ait aussi à réfléchir sur l’organisation de la compétition, sur l’encadrement de son équipe, sur l’importance des notions de fair-play, du respect de l’arbitre et de ses décisions. Pendant plusieurs années, quelques-uns des membres de l’OMS, à raison d’une réunion hebdomadaire, aidèrent “les inorganisés” du foot interquartier à s’organiser. Il arriva, bien plus d’une fois, qu’il leur fallut prendre le sifflet pour faire face à des défaillances, ou aux risques qu’il y avait à laisser un directeur de jeu passablement éméché au milieu de 22 gaillards et sous les yeux de deux cents spectateurs au “moucatage” pas toujours bon enfant.
En fait, la grande - et la seule - question, était de savoir si l’on croyait ou non que ces dizaines de jeunes et de moins jeunes, pour la majorité d’entre eux exclus de toute forme de vie associative et ne s’étant pour la plupart jamais retrouvés assis autour d’une table pour écouter et pour discuter, oui, la seule question était de savoir si on voulait bien les croire capables de participer à la construction d’une œuvre humaine. Eux, ils y ont cru. Et nous aussi.

(à suivre)


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