Contribution réunionnaise à l’atelier sur “le rôle de la culture”

Pierre Vergès pour une convention internationale sur la diversité culturelle

12 janvier 2005

On lira ci-après le texte de l’intervention prononcée hier matin par Pierre Vergès, vice-président de la Région Réunion, dans le cadre de la conférence internationale qui se déroule à Maurice. Ce fut la contribution de la délégation réunionnaise lors de l’atelier sur “le rôle de la culture dans les Petits États insulaires en développement”. Les inter-titres sont de “Témoignages”.

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Mesdames, Messieurs les participants à cette conférence,
En premier lieu, je ne saurais intervenir sans exprimer une nouvelle fois, au nom de la délégation française, toute la solidarité que nous devons affirmer envers toutes les victimes du drame qui s’est produit dans la période des fêtes de cette fin d’année 2004 en Asie.
Cette solidarité, je voudrais la partager au profit de toutes celles et tous ceux qui souffrent de la faim, de la pauvreté, d’un déficit en éducation, et en protection sociale, notamment dans le domaine de la santé.
Je ne pense pas ainsi m’éloigner du sujet sur lequel nous sommes invités à débattre : le rôle de la culture dans le développement durable des PEID.

Devoir de solidarité

En effet, le devoir de solidarité est une des conditions du développement de la culture.
Sans un développement économique, social, durable et solidaire, il n’y a pas d’épanouissement humain possible. Mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante, car l’épanouissement humain procède d’un développement culturel continu.
La culture ne peut être envisagée de manière uniforme : "De tous les temps, la diversité culturelle a été constamment soumise à la barbarie des pouvoirs conquérants", déclaraient le sénateur de l’Ile de La Réunion, Paul Vergès, et la représentante du peuple kanak Marie-Claude Djibaou, en décembre 1999, lors de “l’Appel de Nouméa pour la diversité culturelle”.

De nouvelles pratiques culturelles

L’histoire de la majorité des PEID est marquée par les massacres commis à l’encontre des peuples indigènes ou par des peuplements forcés au nom d’impératifs économiques caractérisés par la traite des Noirs et l’esclavage.
De ces sociétés marquées par les violences et l’humiliation, la négation de l’être humain, de son histoire, de ses coutumes et de sa culture, sont nées de nouvelles pratiques culturelles qui sont partie intégrante aujourd’hui de la richesses du patrimoine mondial, notamment parce qu’elles expriment la capacité de résistance humaine à la violence de l’uniformité mortifère.
À l’heure de la mondialisation des échanges dictés par des lois du marché basées sur l’argent, l’uniformisation d’une production de masse menace les expressions multiples de la créativité humaine et exprime une police de la pensée et de la création.

Une planète en danger

Nous devons aujourd’hui, encore plus qu’hier, avoir à l’esprit que la culture ne se résume pas à la musique, au cinéma, à la littérature, à la peinture ou à l’art culinaire. C’est la culture qui est au centre du processus de création dans le domaine de l’architecture, des modes d’aménagement du territoire, de façons tellement diverses et riches selon les populations et les âges.
Vous le voyez, nous ne sommes pas éloignés des autres questions à l’ordre du jour de cette conférence, telles que les vulnérabilités environnementales des PEID, leurs difficultés particulières dans le domaine du commerce et du développement économique, leurs défis sociaux nouveaux comme leur capacité de résistance.
Car la question de l’épanouissement humain par la prise en compte de la dimension culturelle exige de réfléchir de manière urgente et approfondie sur le rapport de l’être humain à son environnement. Parce qu’à quelque endroit dans le monde où nous nous trouvions, dans n’importe quel PEID que nous soyons, nous avons conscience aujourd’hui de faire partie d’un monde fini, d’une planète en danger.

La légitimité des politiques en faveur de la diversité culturelle

En tant qu’originaire de La Réunion, petite île de l’océan Indien qui, au cours de son histoire marquée par l’esclavage et l’engagisme, s’est enrichie de métissage, parfois forcé, parfois volontaire des différentes cultures issues d’Afrique, d’Inde, de Madagascar, d’Asie - notamment de Chine - et d’Europe, je voudrais, au nom de la délégation française, confirmer notre détermination à consacrer en droit la légitimité des politiques en faveur de la diversité culturelle par l’adoption d’une convention internationale sur la diversité culturelle.
Je voudrais conclure en soulignant combien l’art est, comme disait Christian De Duve, prix Nobel de médecine en 1974, l’autre facette de l’ultime réalité de l’être humain.
Confrontés à une œuvre culturelle, bien que nous puissions raisonner à son propos, nous nous laissons d’abord pénétrer par l’émotion. C’est là que réside la richesse de l’être humain.

Pierre Vergès

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