Paul Vergès à l’ouverture du colloque de l’ONERC à Paris

’Ne laissons pas s’ajouter une fracture climatique’

1er octobre 2004

Dans son discours prononcé hier au Sénat, le président de la Région Paul Vergès a insisté sur la nécessité d’aider les pays les plus démunis à lutter contre les conséquences du réchauffement climatique. Aux fractures sociale et économique qui séparent le Nord et le Sud, point n’est besoin d’en rajouter une autre.

"Le président Christian Poncelet a posé avec gravité et mesure les enjeux contenus dans le défi du changement climatique et le rôle éminent qui incombe aux élus locaux.
Je salue chaleureusement la présence du ministre de l’Écologie et du développement durable. Cher Serge Lepeltier, merci de nous faire l’honneur d’ouvrir nos travaux ce matin sur ce thème des changements climatiques. Je dois rappeler la contribution que vous avez apporté dans la création de l’ONERC, alors que nous étions encore collègues sur les bancs du Sénat. Je sais pouvoir compter aujourd’hui sur votre soutien pour permettre à l’ONERC de disposer des moyens nécessaires afin de répondre aux sollicitations des collectivités locales.

Au moment de l’ouverture de cette rencontre, comment ne pas avoir à l’esprit la tragédie qui frappe les Caraïbes et plus particulièrement l’île d’Haïti.
Le bilan est effroyable : plus de 2.400 morts. Un pays dévasté qui assurément s’enfoncera suite à cet épisode tragique un peu plus dans la pauvreté et le sous développement.
Au delà de la nécessaire solidarité à l’égard du peuple d’Haïti, du secours aux populations et de l’émotion que suscite un tel événement, plusieurs observations s’imposent.

La première, qui est une interrogation, est dans tous les esprits : la multiplication des cyclones tropicaux d’une intensité exceptionnelle peut-elle être rattachée aux effets - aux méfaits - du réchauffement ?
Je sais la prudence des climatologues sur cette question et quelle que soit la part de doute actuelle sur le lien établi avec le réchauffement du climat, je crois que nous devons d’ores et déjà nous préparer à la perspective d’une augmentation de la fréquence et de la violence de ces phénomènes climatiques extrêmes.

Programmes de coopération urgents à engager

Seconde observation : les ravages des cyclones tropicaux sont très inégaux selon qu’ils frappent des territoires où des mesures de prévention et d’adaptation sont mises en œuvre ou non.
Ainsi en Outre-mer, grâce au rôle d’information de Météo France, grâce aussi à la culture de prévention que nous avons forgé au fil des années dans la gestion des crises climatiques et de l’organisation des secours, les cyclones - même les plus violents - ne font plus que des morts par imprudence. Un bilan humain tel qu’à Haïti est grâce à cette préparation impensable chez nous.
Cela signifie que des bases de programme de coopération entre les îles de l’Outre-mer français et les petits États insulaires sont non seulement possibles mais urgents à engager. La France doit s’appuyer sur les régions d’Outre-mer, disséminées sur trois océans, véritables laboratoires dans l’application de solutions pour non seulement venir en aide aux pays des Caraïbes, du Pacifique et de l’océan Indien mais aussi pour promouvoir la recherche française.
À cet égard, je renouvelle M. le Ministre le souhait que la France formule une demande officielle d’adhésion à l’AOSIS, (Alliance des petits États insulaires) afin que les régions françaises d’Outre-mer puissent s’intégrer au réseau d’échange entre les îles, toutes particulièrement vulnérables face aux effets du réchauffement. À cet égard, la participation de l’ONERC à la prochaine conférence des petits États insulaires sur le développement durable - Barbade +10 - qui se tiendra en janvier 2005 à l’île Maurice revêt une importance capitale.

Éviter une nouvelle inégalité

La troisième et dernière observation qu’inspirent les événements en Haïti porte sur le développement des pays ACP (Afrique Caraïbe Pacifique). Sur la base des travaux du GIEC, notamment des impacts régionaux du réchauffement, on peut affirmer que l’ensemble des pays ACP seront concernés par les effets du réchauffement, souvent même la pauvreté.
Avons-nous bien conscience que les efforts réalisés en faveur du développement de ces pays, déjà insuffisants, risquent d’être anéantis par les effets d’une dérive climatique ?
À la tribune de l’ONU, le président de la République a justement rappelé que la planète était traversée de multiples fractures qui séparent chaque jour davantage le monde développé des pays en retard de développement.
Ne laissons pas s’ajouter une nouvelle fracture, une fracture climatique entre les pays riches et les pays pauvres.
Ne laissons pas s’instaurer une inégalité devant les effets du réchauffement climatique selon qu’on a les moyens de se préparer ou non à faire face aux turbulences annoncées. Je vous prie de m’excuser d’avoir été si long sur ce volet international mais c’est un aspect majeur qui entre d’ailleurs dans les missions dévolues à l’ONERC.

Urgent d’agir

Permettez-moi d’évoquer la question centrale du colloque, la définition d’une stratégie d’adaptation pour les collectivités locales. Je crois pouvoir dire que la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes sur notre territoire dans un temps assez court - je pense à la tempête de 1999, aux inondations dans la Somme et dans le Midi et bien évidemment à la canicule - a participé à la prise de conscience à tous les échelons qu’il n’était plus permis d’attendre mais qu’il était urgent d’agir pour adapter tant nos modes de vie que les politiques publiques aux perturbations climatiques annoncées. Celles ci, vous le savez, concernent tous les secteurs et c’est l’ensemble de nos politiques sectorielles qui doivent être revisitées en intégrant la donnée climatique.
C’est là un chantier immense, où tout est à faire, où tout est à imaginer dans l’échange d’informations entre la communauté scientifique et les élus locaux.

Atténuation et adaptation

Puisse ce colloque aider l’ONERC à nourrir les propositions qu’il aura à vous faire M. le Ministre, pour la mise en œuvre d’une véritable stratégie nationale d’adaptation, et cela conformément au Plan Climat.
Pour la première fois cette année, à côté du volet relatif à l’atténuation, figure dans le Plan Climat un volet consacré à l’adaptation. C’est là une avancée importante car une politique aussi globale qu’équilibrée doit impérativement reposer sur ces deux piliers interdépendants.
Pour atteindre nos objectifs, et je crois que cela intéresse grandement les collectivités locales, nous devrons approfondir les études pour élaborer une cartographie très fine, région par région, des effets du réchauffement aussi bien sûr le plan des productions agricoles, de la biodiversité que sur le plan économique ou touristique. Je ferais des propositions au Conseil d’orientation de l’ONERC en ce sens afin de pouvoir engager une grande action en partenariat tant avec les organismes de recherche que les associations représentant les collectivités locales, AMF, ADF et ARF.

"Bâtir une stratégie européenne"

Avant de conclure, permettez moi de dire deux mots sur l’espace européen de la recherche. Si nous devons bien sûr, avancer dans la mise en œuvre de solutions nationales et régionales, il est également impérieux en matière d’adaptation de coordonner nos politiques au niveau communautaire.
Si l’Union européenne proclame son engagement en faveur de la réalisation des objectifs du protocole de Kyoto, rien n’est encore imaginé en matière d’adaptation. Or, le récent rapport de l’Agence européenne de l’environnement conclut à des bouleversements considérables sur l’ensemble du territoire européen, du réchauffement.
Aussi devons nous réfléchir, en nous inspirant de ce que nous avons réalisé en France avec l’ONERC, à proposer aux instances communautaires des solutions visant à favoriser l’échange d’informations entre les services des gouvernements des États membres en charge de ces question, en vue de bâtir une stratégie européenne en matière d’adaptation.

"Une question éminemment politique"

Je souhaite que nos travaux contribuent à renforcer nos connaissances sur ces projets complexes et qu’ils nous aideront mutuellement à progresser ensemble vers la réalisation de nos objectifs.
La forte mobilisation des élus ici réunis confirme que le réchauffement climatique a cessé d’être une question strictement scientifique pour devenir une question éminemment politique. Il a aussi cessé d’être une question uniquement globale, inscrite dans un espace temps qui nous dépasse pour être une question qui de plus en plus raccroche notre quotidien. Il met en cause l’avenir de la planète, c’est à dire de l’humanité comme de l’ensemble des espèces : cela concerne aussi bien nos habitudes de vie que l’aménagement de nos communes ou notre santé.
Puisse se confirmer l’idée que plus graves sont les menaces qui pèsent sur la planète, plus grande sera également l’espoir d’un sursaut salvateur.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention".


Intervention du ministre de l’Écologie

Serge Lepeltier : "Nous sommes des pionniers de l’adaptation"

Comme Paul Vergès, le ministre Serge Lepeltier est, lui aussi, convaincu de l’urgence de trouver des solutions.

"C’est à un double titre que je suis heureux d’introduire ce deuxième colloque de l’ONERC, consacré à l’adaptation au réchauffement climatique.
Tout d’abord, parce qu’en tant que sénateur j’ai participé activement aux travaux de l’ONERC, j’étais d’ailleurs membre du Conseil d’orientation de l’Observatoire.
Ensuite, je suis heureux de me trouver à nouveau au Palais du Luxembourg, ici même où en 2001 nous avons contribué, avec Paul Vergès, à la création de l’ONERC. En effet, je le rappelle, l’ONERC a été créé par une loi de 2001, votée à l’unanimité des deux assemblées. L’objectif était, déjà, d’assurer un dialogue plus étroit entre la communauté scientifique et les décideurs, en particulier locaux et régionaux.
Je tiens à saluer tous les élus ici présents. Le nombre et la qualité de cet auditoire montrent combien le sujet est important aux yeux de tous. Les attentes des Français sont très fortes, et je crois que la mobilisation des élus aujourd’hui est au rendez-vous.
Le sujet traité, celui des mesures d’adaptation au changement climatique, est crucial, et pourtant malgré les travaux déjà réalisés, je dirais qu’il est à peine effleuré, encore à peine défriché.

Des mesures importantes ont été lancées pour prévenir le changement climatique et lutter contre l’effet de serre. Le Plan Climat, plan gouvernemental de lutte contre l’effet de serre que j’ai présenté le 22 juillet dernier, va permettre d’économiser 72 millions de tonnes de gaz carbonique par an et va ainsi maintenir la France sur la trajectoire de Kyoto.
Des mesures très importantes dans les transports, le bâtiment, l’industrie, le secteur énergétique, sont lancées et seront suivies par un tableau de bord qui sera publié tous les 3 mois.
La mesure la plus novatrice est sans doute la mise en place, au 1er janvier 2005, d’un marché de quotas d’émissions de gaz carbonique pour toutes les installations industrielles. Quand on songe que ces émissions de gaz étaient jusqu’à présent illimitées, on réalise l’importance de cette étape que nous sommes en train de franchir, avec un simple marché : nous sommes vraiment aujourd’hui en train d’inscrire l’écologie au cœur de l’économie libérale.

"Provoquer une vraie prise de conscience"

Pour revenir à l’adaptation, c’est-à-dire l’ensemble des actions et des politiques à mettre en place pour répondre aux conséquences inévitables du changement climatique, je dirais que nous en sommes encore aux premières étapes, nous sommes même des pionniers.
Et pourtant. Et pourtant, l’actualité nous amène chaque jour de nouvelles catastrophes, de nouveaux drames humains. Les épisodes climatiques extrêmes qui se sont récemment multipliés, à commencer par la canicule de l’été 2003 qui a frappé beaucoup de nos concitoyens parmi les personnes les plus fragiles, mais aussi les cyclones qui ont frappé Haïti et la Floride ces jours derniers, nous mettent dans une situation d’urgence.
Nous devons avoir toujours à l’esprit ces drames humains intolérables, et nous devons avoir une pensée pour les victimes. Ces événements doivent provoquer une vraie prise de conscience du péril qui nous menace, et entraîner une mobilisation citoyenne au niveau français comme au niveau de la communauté internationale. L’attitude d’indifférence n’est aujourd’hui plus possible.
Tous les pays doivent donc se mobiliser. Nous ne pouvons plus considérer que le pire est incertain et lointain, nous devons prévoir tous les scénarios et avoir une réponse prête pour toutes les situations qui peuvent, malheureusement, se présenter.

Prévoir ces situations, c’est la mission qui a été confiée à l’ONERC dans le cadre du Plan Climat. Un volet entier du Plan Climat, et c’est une nouveauté, est consacré au lancement d’une stratégie d’adaptation. Cette stratégie nécessite l’implication de tous, et avant tout de vous, les élus, les responsables de collectivités. Je crois que nous avons là des enjeux qui dépassent complètement les clivages politiques, c’est une mobilisation citoyenne qu’il faut mettre en marche.
J’ai donc demandé à l’ONERC de proposer les éléments d’une stratégie d’ensemble sur l’adaptation que nous puissions mettre en œuvre dès 2005. Nous sommes donc aujourd’hui réunis pour réfléchir à cette stratégie et sur les moyens à mettre en place. C’est de cette journée de réflexion que nous déduirons les actions à mettre en place.
J’aimerais, si vous le voulez bien, vous encourager à creuser durant cette journée quelques pistes de travail qui me paraissent essentielles :

- 1ère question, celle de la connaissance scientifique. Comment favoriser l’échange entre les décideurs locaux et la communauté scientifique pour que les connaissances concernant l’évolution du climat, concernant la vulnérabilité au climat de nos sociétés et de nos écosystèmes, se diffusent ? Comment identifier avec certitude les secteurs, les activités, les régions les plus sensibles au changement climatique ? Quelles sont les meilleures réponses à y apporter ?
Voilà, il me semble, des premières questions qui impliquent l’interaction des collectivités avec le monde scientifique. Cela pose la question des outils, des structures et des organismes qui sont le plus à même de développer l’information et de la communiquer aux acteurs concernés - dispositif dans lequel l’ONERC doit jouer un rôle central car c’est sa mission même.

"Des politiques d’adaptation"

- 2ème question, l’intégration des préoccupations climatiques dans les politiques locales. Comment les décideurs locaux et régionaux peuvent-ils mettre en pratique les connaissances existantes pour prendre en compte les risques correspondants dans leur planification ? L’adaptation peut-elle s’intégrer aux politiques de développement local ? Comment peut-on intégrer les politiques d’adaptation et de lutte contre le changement climatique au sein des Agendas 21 locaux ? Faut-il une normalisation de ces types actions ?
Voilà, me semble-t-il un deuxième volet que vous pourriez creuser en cette journée.
Comme vous le savez, un certain nombre de cadres d’action ont été mis en place au sein du Plan Climat, avec notamment ce que l’on appelle les "Plans Climats territoriaux".
L’idée, c’est que les collectivités, les Régions, les départements, les villes qui le souhaitent puissent réaliser le bilan des émissions de gaz à effet de serre sur leur territoire, et puissent mettre en place des actions de réduction des émissions et des politiques d’adaptation au changement. Des outils méthodologiques seront proposés d’ici la fin de l’année en ce sens.

"L’Outre-mer, le premier à apporter des solutions"

- 3ème question, enfin, comment encourager les échanges d’expériences entre les collectivités territoriales au niveau français d’abord, et pourquoi pas aussi entre les collectivités en Europe et dans le monde. Les échanges d’expériences avec l’Outre-mer et, plus généralement, au plan international me semblent particulièrement importants. Inutile de rappeler que nos départements et territoires d’Outre-mer sont extrêmement sensibles à cette question du réchauffement climatique, car ils sont parfois les premiers menacés, du fait de leur climat tropical, du fait de leurs nombreuses îles et de leurs littoraux. Ce sont des territoires avec lesquels nous réaffirmons ici notre indissoluble solidarité.
Je ne suis donc pas surpris non plus de voir ici un certain nombre de participants venant de l’Outre-mer.
L’Outre-mer, qui subit de plein fouet le changement climatique, est aussi le premier à apporter des solutions. Je citerais les exemples de l’adaptation de l’habitat à la chaleur, ou des méthodes d’organisation pour éviter les dommages en cas d’ouragans. Toute cette expérience acquise par les départements et territoires d’Outre-mer, il faut que nous en ayons un retour, il faut que nous l’échangions et que nous en profitions en métropole.

"Un devoir de solidarité"

Enfin, bien entendu, je rappellerai que la France doit se tourner vers ses partenaires internationaux en veillant particulièrement aux pays en voie de développement. Le GIEC a montré que c’est là, dans les pays du Sud, que le réchauffement climatique aurait les conséquences les plus lourdes, et il importe de mieux évaluer ces conséquences. Nous avons un devoir de solidarité. Il faut également encourager une approche régionale des questions climatiques, car dans une même région du globe, souvent des États voisins peuvent construire ensemble une vision commune de leur avenir et des solutions efficaces.
Voilà rapidement brossé, les principaux points que je pense pouvoir être creusés lors de ce colloque d’aujourd’hui. J’aimerais en conclusion, si vous le voulez bien, mettre en perspective cet enjeu dans l’action que je vais mener, en tant que ministre, sur les prochains mois.
Le changement climatique et le défi énergétique sont ma priorité. Ce sont des enjeux qui remettent en question totalement les stratégies établies dans les dernières décennies.
La France a besoin d’une nouvelle stratégie pour l’avenir, une nouvelle stratégie énergétique pour développer les technologies propres. Il y a là un enjeu à la fois écologique et économique pour le prochain siècle car les technologies propres sont les technologies de demain. (...)
Je visiterai cet après-midi un parc d’éoliennes, je serai le premier ministre de l’Écologie à le faire, je crois qu’il s’agira d’une visite particulièrement symbolique et ce sera l’occasion de présenter un panorama de ma stratégie. Je souhaite, si vous le voulez bien, qu’en tant que décideurs et élus et au-delà des clivages politiques, nous nous emparions de ces sujets tous ensemble et que nous donnions un nouveau souffle à l’écologie, en France et dans le monde.


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