Gramoun Lélé nous a quittés

Un transmetteur de la culture du fénoir

15 novembre 2004

Gramoun Lélé nous a quittés sur un dernier maloya. Il a porté le maloya sur de nombreuses scènes internationales. Il laisse un héritage inestimable.

Hier, les Réunionnais ont appris avec émotion la disparition à 74 ans de Gramoun Lélé, un des plus illustres représentants de notre culture.
Gramoun Lélé, il y a une dizaine d’années, a été propulsé sous les feux de la scène, parce que Gilbert Pounia, toujours attentif à donner leur chance aux uns et aux autres, avait signalé au directeur de l’Office départemental de la culture (ODC) l’excellence de celui qui était alors à la tête de la Troupe Lélé.
Julien Ernest Philéas alias Gramoun Lélé, découvre le maloya très jeune, dans la cour de l’établissement de Beaufonds où tous les samedis soir, "le kayanm, le roulèr té i fé pèt maloya tout la nuit". Il est également influencé par sa mère qui chantait. Mais c’est vers l’âge de vingt ans qu’il commence réellement à jouer le maloya.
Il raconte dans “Témoignage Chrétien de La Réunion” du 5 novembre 1978 : "Moin la apran chanter èk in boug té ki sort Sinpyèr - il doit s’agir de Tonga Lafa, mais il a aussi appris avec son oncle, Arsène Madia (Ndr). Nout dé li té i fé maloya asanm. Firamézir mwin la gagn trap son vwa é tout domoun la vi moin té pli for kli".

Dans la bataille identitaire

C’est en 1977 que Paul Vergès et Elie Hoarau lui suggèrent de créer une troupe. Il n’a pas à chercher beaucoup pour la constituer. C’est dans sa famille - il a douze enfants - que Gramoun Lélé puise pour former ce qui va devenir d’abord la Troupe Lélé. Et c’est en 1979 qu’il enregistre son premier disque. Un 45 tours édité par les éditions Ediroi créées à l’initiative du Parti communiste réunionnais pour promouvoir le maloya, mais aussi la musique en cuivre. 0n connaît la suite. Quelques années plus tard, après avoir joué au Théâtre de Saint-Gilles et sur toutes les scènes de La Réunion, il rencontre Christian Mousset, le directeur du festival des musiques métisses d’Angoulême. Ce dernier, subjugué, lui fait enregistrer trois albums sous le label Indigo Bleu, un label français prestigieux.

Un homme réunionnais authentique

Mais la vie de Gramoun Lélé, si elle est symbolisée par la réussite musicale, est aussi celle d’un homme réunionnais authentique. Julien Ernest Philéas est né il y a près de soixante quinze ans à Beaufonds. Son père, originaire de Saint-Louis, aura vingt et un enfants. Il est aussi "Jacko" et sa maman a du sang malgache dans les veines. Il ne faut donc pas s’étonner que Gramoun Lélé garde vivant cet héritage culturel indien d’une part et malgache d’autre part, en utilisant largement la langue malgache pour écrire ses textes - plus de deux cents au total.
Son petit nom gâté de "Lélé" lui vient parce que tout petit, il réclamait son lait en criant "lélé, lélé...". Son enfance est difficile. “Témoignage Chrétien de La Réunion” raconte. "Toute la famille vivait très pauvrement. À onze ans, le jeune Julien commence déjà travailler. Il "charoy dolo" pour les ouvriers de la bitasyon". Il apprend à lire la quarantaine passée. De l’habitation, il passe à l’usine où il devient ajusteur avant de prendre sa retraite et de se consacrer totalement au maloya.
Aujourd’hui, après deux ans d’une éprouvante maladie qui ne l’a pas tout le temps empêché de chanter, il s’en va. Il laisse derrière lui des enfants capables de reprendre le flambeau. Ce qui n’est pas étonnant de la part de ce transmetteur de culture.

L. M. 


Message de Paul Vergès
(Président du Conseil régional) :
"Actuellement à Paris, c’est avec émotion que je viens d’apprendre la disparition de Gramoun Lélé.
Après le Roi Kaf, c’est une autre figure du maloya et de la vie culturelle de notre île qui nous quitte.
Garant de l’authenticité du maloya, Gramoun Lélé a apporté une contribution importante au patrimoine vivant de la musique réunionnaise et à l’expression de l’identité réunionnaise.
En mon nom personnel et en celui de la Région, j’adresse à sa famille, à ses proches et à tous ses amis mes très sincères condoléances."

J.C. Carpanin Marimoutou
(Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise) :
"Au nom de la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise, chargé de mission, j’ai appris avec beaucoup de tristesse la disparition de Gramoun Lélé qui, comme le Roi Kaf disparu lui aussi, était l’un des gardiens et des passeurs de la mémoire réunionnaise, un zarboutan nout culture. L’un des Réunionnais qui ont œuvré pour préserver, transmettre et créer une culture qui, sans eux, aurait sinon disparu, du moins perdu une partie de sa force créatrice.
À ce titre, Gramoun Lélé a droit à notre reconnaissance, a droit à notre respect comme il a droit à la reconnaissance et au respect de tous les Réunionnais d’aujourd’hui. Sa disparition est une perte considérable pour la culture réunionnaise et son patrimoine.
Venant du milieu humble des travailleurs de la terre, non seulement il avait su garder la mémoire des racines africaines, malgaches et indiennes issues de l’univers des plantations, mais il aura également réussi à les fusionner dans sa musique pour en faire quelque chose que tous les Réunionnais pouvaient partager."

Parti communiste réunionnais : "Une grande perte pour La Réunion"
"La disparition de Gramoun Lélé est une grande perte pour La Réunion. Avec lui disparaît un personnage emblématique de notre culture. Dans le cœur du musicien qui a tant donné au maloya réunionnais, il avait aussi ce courageux ouvrier d’usine qui, à la pire époque de la répression, n’a pas hésité à s’engager syndicalement et politiquement pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Membre de la CGTR et militant du PCR, il a été de tous les combats.
Il l’a mené jusqu’à son dernier souffle par la musique qui ne l’a jamais quitté. Du maloya des meetings du cinéma “Rio” à la consécration internationale de l’artiste d’aujourd’hui, Gramoun Lélé a été profondément Réunionnais, enrichissant de façon considérable notre patrimoine culturel.
Le Parti communiste réunionnais s’incline devant la douleur de la famille et de ses proches et leur présente ses condoléances attristées.

La section communiste de Saint-Benoît :
Sous la signature d’un de ses responsables, Claude Najède, la section communiste de Saint-Benoît a diffusé le communiqué suivant :
"La section communiste de Saint-Benoît a le regret d’annoncer le décès de notre camarade Lélé. Ce travailleur d’usine et surtout chanteur de maloya a été connu dans les années 1970 lorsqu’il célébrait dans la clandestinité la fête du 20 décembre dans la cour du regretté Volyat avec nos camarades Gilbert Ramin et Daniel Honoré. Il a participé à toutes les fêtes de “Témoignages”, au Port, à Saint-Louis et à Sainte-Suzanne.
En 1979, lors d’une prestation sur podium à Sainte-Suzanne, Jacqueline Meppiel, accompagnatrice de Georges Marchais à La Réunion, demande à Gilbert Ramin si Lélé ne souhaitait pas enregistrer un disque. Dans toute sa modestie, il l’accepta et Gilbert l’accompagna au cinéma Rio à Saint Denis pour l’enregistrement.
Lélé fut donc le deuxième chanteur de maloya de La Réunion, après Firmin Viry, à "sortir "un disque qui fut vendu grâce à la CGTR, dont j’étais un des responsables bénédictins.
L’histoire de Gramoun Lélé se confond avec l’histoire de la section communiste de Saint-Benoît.
À son épouse, ses enfants, à toute sa famille, la section communiste de Saint-Benoît présente ses condoléances attristées."

Priorité Socialiste Réunion :
"Il n’y a pas d’injustice, mais une fatalité devant laquelle nous devons humblement nous incliner.
La mort a frappé à sa porte comme elle le fait quotidiennement à celles d’autres mortels.
Mais quelle perte pour notre pays, pour notre culture et pour notre musique !
PSR salue l’engagement d’un homme, son militantisme au service d’un idéal, son combat pour la reconnaissance d’un peuple, pour le respect d’une histoire.
PSR rend hommage à l’homme, sa simplicité, son énergie sans commune mesure, son humanité au service de tant de causes.
PSR remercie l’artiste incomparable qui a porté très haut à travers le monde nos couleurs et nos sonorités.
Pour tout cela, Gramoun Lélé restera pour nous éternel comme cette éternité qu’il a su donner au maloya et à la culture locale d’une façon générale.
PSR présente à ses proches ses condoléances attristées et les invite à continuer l’œuvre entreprise."

MRA : "Que La Réunion honore ta mémoire"
Sous la signature d’Alain Armand, le Mouvement La Réunion autrement (MRA) a publié le communiqué suivant :
"Gramoun Lélé nous a quittés.
Tu rejoins quelque part là haut le Roi Kaf.
Gramoun Lélé, tu n’es plus, mais tu es et tu resteras dans le cœur de tout un peuple parce que raisonne encore en nous le maloya de nos ancêtres, le maloya de toujours.
Gramoun, c’était avant tout notre tradition afro-réunionnaise si longtemps opprimée qu’il a su ô combien transmettre malgré tout.
Gramoun Lélé, tu as donné à notre culture réunionnaise ses lettres de noblesse. Dans le servis kabaré, lors de kabar la kour ou sur des scènes internationales, tu as su honorer et transmettre une part de ce précieux héritage de nos ancêtres venus de Madagascar et d’Afrique.
Le Maloya ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui si tu n’avais pas mis toute ton âme, tout ton génie pour en faire une des plus belles expressions de notre identité.
Le Maloya ne vivrait pas autant dans nos cœurs si tu n’avais pas courageusement combattu et résisté à l’interdiction de l’expression de notre culture réunionnaise.
Que La Réunion honore ta mémoire et qu’elle te rende un hommage à la hauteur de ton irremplaçable apport.
Fé bien kompliman tout ban lao".

UDSR : "Engagé sur tous les fronts de lutte"
Réaction de l’Union des démocrates et des socialistes de La Réunion sous la signature de Wilfrid Bertile :
"Après le Roi Kaf, c’est une autre figure emblématique de la Réunion qui disparaît avec Gramoun Lélé. Profondément Réunionnais, Gramoun Lélé s’est engagé sur tous les fronts de lutte, syndicale, politique et culturelle.
Homme de courage et de conviction, il a su garder la mémoire de ses racines partagées et faire vivre le maloya du temps de l’interdit pour, par la suite, le tirer avec bonheur du fénoir.
L’UDSR présente ses sincères condoléances à la famille et aux proches de Gramoun Lélé".


Ankor in zarboutan maloya i sa va

Adié Gramoun

Mi apran èk in gran tristèss la mor in zarlor maloya. Gramoun Lélé va rant dann roiyom Zanaar Kiltirèl. Apré Rwa Kaf, sé in gran zartis i sava.
Tout demoun téi koné la puisanss son maloya. Dawar an rézon son soubat po fé valoir son gabié, la not ansanm. Po fé konèt se gayar nou nana, rézman son shanson, son voi la voiyaz dan nout péi, épisa dann le monn. Po amont tout le gayar nout kiltir La-Rényon.
Zordi, nou pèrd in lanspèk. In gramoune i sava lé kome in bibliotèk i bril, i di. Somanké nou gingn sov ankor kèk liv se mémoir lù la kit pou nou. Soman-là, i fo mèt alù an valèr, si nou vé se tradision lé tanou. Episa, la zenèss i rouv son zié sù sat lù la lèss dan nout farfar la souvnans. Maloya la pù solman dann la kour, dann kann, dann bitasion, sansa dann kartié béton. Maloya, ki lèv èk nout zénérasion, va dir tanpirkipé la forss nout mémoir, nout lidantité. Tout bann zèn zartis maloyèr va tienbo tèt, va tienbo lansor, épisa lanspèk, po gard nout mùzik andémik sù la trass son zansèt.
Zordi, Gramoun Lélé, in gran potomitan se kotpar-là nout lidantité, i sava. Nout kèr ansanm. Pars i fémal anou konèt lù la parti, mé lù la aport in bonpé. Gramoun Lélé, konm Rwa Kaf, la désot la vi sèt ané. Dizon le Rwa navé bezoin son prinss dann roiyom Maloya. Poitan té bon servitèr sù la tèr, La-Rényon son paradi, èk tout lamour son fami. Non-va ! Adié Gran Moune. Bonjour Gramoun.

Babou B’Jalah


Bertrand Grondin (Radio Pikan) :
"Sé in grann par nout kiltir i sava, èk tout sak i pe représanté. Dan in zépok ou le maloya té pa rekonu, li la fé tout po mèt ali anlèr. Se léritaj ke li la lèss po nou, bann jèn i doi reprann, é fèr kontinié ali. Demin, Pikan i fé in zourné spésial si li."

Ahmed Soudjaye, conteur :
"C’est une ressource en moins, une perte pour la culture réunionnaise. J’ai une pensée toute particulière pour lui. Car il faut noter toute la force qu’il a impulsé derrière, cette culture qu’il a donné à sa famille, à ses enfants. C’est une figure emblématique et exemplaire, qui a mené le maloya sur les scènes nationales et internationales. Je lui rend hommage."

Axel Sautron, leader du groupe possessionnais 7po :
"Lélé té in gran shèf gérié èk in joli larmé dérièr li. Po moin, sak lélé, lé aporté o maloya podium, li amèn la fors. Moin lé rékonésan po sèt fors ke li la doné, sèt fors, èk se fidélité. Tout nout kondéléans po la fami."

Sophy Rotbard (Art Sénik) :
"Cette année est une triste année pour le maloya. Gramoun Lélé rejoint le Rwa Kaf. Ce sont des grands noms de l’histoire du maloya qui s’en vont, mais j’espère que le patrimoine qu’il nous laisse sera bien gardé."

Eddy Babet, musicien :
"Gramoun Lélé est dans la lignée des chantres du maloya. C’est vrai qu’il nous a quittés. Mais un personnage de cette dimension reste immortel. Ce qu’il a laissé derrière lui, ce sont des œuvres considérables, dont les générations futures vont s’inspirer pour maintenir le flambeau toujours allumé. Cette année est dramatique pour le maloya, le Rwa et Gramoun. Mais la jeunesse prend la relève."

Dominique Aupiais, auteur-compositeur du groupe Renésans :
"Je suis parti à son dernier concert au Palaxa. On voyait ke lu té fatigué. Mé sé toujour le gran lélé ke nou konésé. Moin lé touché par sa disparision. Ça me fait beaucoup de peine. C’est des moments terribles pour la culture réunionnaise."

Propos recueillis par BBJ


Yohan Calciné (musicien de Gramoun Lélé) :

"Pou moin, dan le maloya, sété in hom de foi, li la batay pou sa juska la mor. Lù navé 74 an. Dayèr, navé in kabar intergénérasion pou fèt sé 75 an. Lù voulé amont bann zèn group maloya, sak la suiv son trass. Bon, la pa pù fèr. Sé in patrimoine la parti. Lù navé dé problèm de santé, mé gramoune té vé pa lashé. Le dernié konsèr an dat té à Mayotte, pou le film festival interculturel de Mayotte. Sinonsa son dernié konsèr La-Rényon té à Palaxa. Gramoune la tienbo zisko bout minm. Sé in gran Hom la kit anou."

Claude de Saint-Benoît :
"Je souhaite ici en ces quelques mots, rendre hommage à Lélé. Moi, qui ai grandi dans l’enceinte même de l’usine de Beaufonds ou il travaillait avec mon père Charlot et mon frère Jean-Charles. Travailleur honnête et infatigable, il a, avec son épouse, "trimé" pour élever ses enfants. Les conditions de travail à cette époque étaient très difficiles et avec force, courage et abnégation, il a tenu bon. Vivre à cette époque dans le calbanon ou dans l’écurie et travailler pour l’usine, c’était cela la vie d’un travailleur d’usine. Pas de primes, pas d’heures sup. payées, rien.
La musique l’aidait à surmonter ces épreuves, et à l’approche du 20 décembre, il s’en est allé..."

Ghislaine Bessière, Rasine kaf : "Un passeur d’Histoire"
"Nous éprouvons une grande douleur. Gramoun Lélé était un passeur d’Histoire, un passeur de mémoire comme tous nos ancêtres qui nous ont transmis chacun quelque chose. Après le départ du Roi Kaf, c’est le deuxième "zarboutan" de notre culture qui part. C’est une grande perte, au moment où les Réunionnaises et les Réunionnais sont en train de s’approprier ces messages des ancêtres malgaches et africains. Nous devons continuer à nous construire, à capitaliser aux mieux ces messages et à être à la hauteur de ces deux grands résistants. Nous transmettons nos condoléances à la famille. Nous savons qu’elle est capable de continuer à porter le message de Gramoun Lélé".

Firmin Viry : "Li la port nout maloya dan le Monn"
"Gramoun Lélé est un monument du maloya traditionnel. Li la touzour été la épi li la port nout maloya dan in bonpé péi dans le Monn. Nou té koné dopi dézan li lété malad. Po li lèr larivé. Sét inn perte po Larényon. Mi ansouvyin ankor kan nou la parti Angoulême ék Danyèl... Lo travay Gramoun Lélé la fé la porté. I fo nou kontinyé la tradisyon. In péi napoin kiltir, lé pa vivan, lé konm mor. Rèzman déyèr néna son bann famiy po kontinyé. Mi prézant mé kondoléans la famiy."

Parti communiste réunionnais PCR

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