Jacky Bazon

Les pauvres ont leur défenseur

1er décembre 2010, par Jean Fabrice Nativel

Au Ministère des Affaires sociales, Jacky Bazon s’occupe du “portefeuille des personnes sans domicile fixe”. Il est le témoin de ce qu’elles endurent chaque jour et notre interlocuteur auprès d’elles. En cette fin d’année, “Témoignages” a souhaité le rencontrer pour qu’il nous parle une nouvelle fois de leur situation. Il nous annonce par la même occasion que plus que jamais, il va les soutenir et invite les Réunionnais et les Réunionnaises à faire de même.

Jacky, dimanche votre association — Centre-ville Est — et des donateurs ont organisé (1) un repas pour le public SDF. 80 personnes ont répondu à votre appel. Qu’évoque ce chiffre pour vous ?

- Je constate que le nombre de personnes sans domicile fixe va en augmentant, qu’elles quittent leurs villes pour la capitale, et parmi elles, certaines sont jeunes. C’est terrible, mais c’est comme ça.

La situation de ces personnes s’améliore-t-elle, selon vous ?


- Pour certaines, aujourd’hui, elles vivent en colocation. Cependant, elles ont juste de l’argent pour vivre — payer la location, les factures, etc. Fort heureusement, des associations leur viennent en aide, comme la Fondation Abbé Pierre (rue du Général de Gaulle Saint-Denis) ! Là, elles se toilettent, prennent leur petit-déjeuner, se procurent du linge, ont leur boîte aux lettres, une aide administrative, etc. Pour d’autres, c’est toujours la galère.

Lors de ce déjeuner, qu’est-ce qui a retenu votre attention ?

- Lors d’une discussion avec une femme musulmane, elle m’a dit avoir été mariée, et suite à la séparation, elle s’est retrouvée à la rue. Après des démarches et conseils, elle est orientée vers un centre d’hébergement d’urgence qu’elle quittera pour une colocation même si sa situation reste critique aujourd’hui. Dimanche, je l’ai vu repartir avec sa “barkèt”. Il y a eu aussi cet échange avec ce jeune homme. Actuellement, au lieu d’être sans domicile fixe à Saint-Benoît, il l’est à Saint-Denis ! Ces rencontres m’ont profondément ému.

On vous sait lié à ces Réunionnais et Réunionnaises qui ont pour toit la rue. L’histoire de l’un(e) d’entre-eux(elles) vous a-t-elle touché ?

- (Réflexion), il évoque brièvement le cas de M. Kichenin. Après avoir travaillé en France pendant une période de 16-17 ans, il décide de revenir habiter dans la ville où il a vu le jour : Trois-Bassins. Il vit chez son père et sa mère et occupe un emploi jusqu’à ce qu’on l’en remercie. Il va dès lors sombrer dans l’alcool et devenir sans domicile fixe à Saint-Denis. Il est mon ami et régulièrement je le rencontre assis ou allongé à même le trottoir qui jouxte le Petit bazar. Mais ce qui m’inquiète, c’est son état de santé qui se dégrade.

Sûrement, vous avez une anecdote à nous faire part ?

- Je pense à Marcel. Il dormait sous le pont dit de “la Jamaïque”. Un vendredi soir, avec la Croix-Rouge, on est allé le voir pour lui remettre du café, dentifrice, linge, un sandwich, etc. Il était maigre, marchait à peine — il était mal en point, Médecin du Monde était venu le voir — si bien qu’on l’a aidé à disposer ces dons. Un d’entre nous lui a proposé de faire intervenir un médecin vu son état. Aussitôt dit, aussitôt fait. Il a été conduit à l’hôpital. Deux semaines plus tard, alors que je me rends au crématorium (quartier de Primat), j’apprends le décès de Marcel.

2010 arrive à son terme. Qu’avez-vous à dire aux Réunionnais et Réunionnaises ?

- Plus que jamais, il est important de continuer à toujours donner aux personnes sans domicile fixe. D’ailleurs, pour elles, nous organisons une fête le 1er de l’an — au même endroit que dimanche — et nous invitons tous les Réunionnais et toutes les Réunionnaises à se joindre à nous “avèk in ti kèk choz”. Cela leur fera toujours plaisir.

Jacky, allez-vous continuer votre combat en faveur des personnes qui sont dans le besoin ?

- Oui. Il est crucial de venir en aide aux plus pauvres d’entre nous, de leur donner “in ti kou d’min”. Les voir démunis m’affecte et me préoccupe. Ils m’ont confié que le regard des gens les incommode — à nous de les voir autrement, et ils sont ni plus, ni moins comme vous et moi. Je profite de cette occasion pour saluer le travail accompli par les associations mobilisées chaque jour à leur côté, et celui des bénévoles à leur offrir un repas tous les dimanches. Je rappelle que les personnes SDF ne mangent qu’un repas par jour... — pas toutes.

Comme le dit Jacky Bazon, plus que jamais nous devons être sur le front pour lutter contre la pauvreté qui, mine de rien, gagne du terrain chaque jour à La Réunion, et dans le monde.

Ci et là, on décore pour ceci et cela, on “cocktail” à tout va. Moi, je fais homme de l’année, Jacky Bazon pour sa détermination, discrétion et humilité dans l’action qu’il a entreprise aux côtés des personnes SDF. Alé di partou.

Texte et photo Jean-Fabrice Nativel

(1)
N°3 Espace dionysien de solidarité et d’insertion Alain Peters. Tél. : 0262-20-35-95


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