L’Union européenne sacrifie les intérêts des planteurs de banane

Alerte sur la filière canne : Élie Hoarau et Younous Omarjee appellent à la vigilance

12 février 2011, par Manuel Marchal

Lors d’une conférence de presse tenue hier par Élie Hoarau, député au Parlement européen, et son colistier Younous Omarjee, il a été question des conséquences de l’application par l’Union européenne d’un accord baissant considérablement les droits de douane sur les bananes produites par les multinationales US en Amérique latine. Cet accord signifie la fin de la filière banane aux Antilles, dans les RUP et dans les pays ACP. Cela introduit un dangereux précédent, car tout comme celui de la banane, le marché européen du sucre est l’objet depuis plusieurs années d’attaques provenant des multinationales qui produisent à bas-prix.

C’est une étape décisive dans un conflit commercial datant de plus de 15 ans, avant la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) rappelle Younous Omarjee, co-listier d’Élie Hoarau, député des Outre-mers au Parlement européen. La "guerre de la banane" est en effet le plus ancien contentieux commercial du monde. Il oppose les producteurs de l’Union européenne aux multinationales nord-américaines productrices de "banane-dollars".
Jusqu’à présent, les bananes produites en dehors de l’Europe et des pays du groupe ACP, c’est-à-dire les anciennes colonies de l’Europe, pouvaient être importées dans l’Union européenne à condition de s’acquitter d’une taxe de 178 euros par tonne.

36% de baisse des droits de douane

Considérée comme une barrière tarifaire faisant obstacle à la "concurrence libre et non faussée" qui doit prévaloir au sein du marché unique mondial sous l’égide de l’OMC, cette taxation a été attaquée par plusieurs pays d’Amérique latine. Ces derniers hébergent sur leur sol les plantations de puissantes multinationales des États-Unis, qui veulent envahir le marché européen avec des bananes à bas prix, car produites avec des normes sociales et environnementales très en deçà du minimum décent. Ces pays ont donc décidé de porter plainte auprès de l’OMC, pour demander l’arrêt de cette taxe.
Lors du conseil de l’OMC de décembre 2009 à Genève, l’Union européenne a cédé à cette demande. Les négociateurs européens ont signé un accord diminuant la taxe à 114 euros par tonne. Le 3 février dernier, cet accord signé devait être ratifié par le Parlement européen. Il l’a été à une large majorité, grâce au vote des députés des groupes PPE et PSE, à l’exception des députés du PS français qui ont voté contre. Élie Hoarau a également voté contre, tout comme les députés des RUP.
Cette baisse de 36% des droits de douane imposés à la "banane-dollar" est le début de la fin de la production de bananes aux Antilles, dans les RUP et dans les pays ACP. En mission aux Canaries, Élie Hoarau avait rencontré le président de l’organisation des producteurs de cette RUP espagnole. Ce dernier avait été très clair : la banane des Canaries n’est plus compétitive par rapport aux bananes des multinationales US avec cette baisse de la taxe douanière.

Précédent inquiétant pour le sucre

Younous Omarjee constate un parallélisme entre les attaques contre l’Organisation communautaire de marché (OCM) de la banane et l’OCM Sucre. Ce dernier a fait également l’objet d’une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce. L’OMC a donné raison aux plaignants, aux rangs desquels figurent notamment des pays du Groupe de Cairns tels que le Brésil, l’Australie et la Thaïlande. L’OMC a mis l’Europe en demeure d’apporter des modifications. C’est ce qu’elle a commencé à faire en 2006, en diminuant le prix du sucre de 36%. Si le planteur de cannes n’a pas ressenti cette baisse, c’est parce que l’Europe a autorisé l’État à verser une compensation financière aux producteurs de sucre.
Mais les attaques contre le régime sucrier dont dépendent les planteurs continuent, car les grands pays exportateurs de sucre voudraient avoir un libre accès au marché européen. La question du régime sucrier sera au cœur des négociations qui vont commencer en Europe sur la politique agricole, et sur les fonds structurels européens. Tout cela se déroulera dans un contexte qui n’est pas favorable, marqué par la crise économique.
« Nous devons nous préparer et nous appuyer sur nos atouts », souligne Élie Hoarau.
Ces atouts, c’est tout d’abord l’article 349 du Traité de Lisbonne qui prévoit des mesures dérogatoires. C’est ensuite la volonté de parler d’une même voix pour faire entendre l’intérêt de La Réunion dans cette bataille.
Et de conclure sur un appel à une « vigilance renforcée ».

Manuel Marchal


Défendre nos intérêts dans une Europe à 27

L’Union européenne est d’ailleurs consciente des conséquences désastreuses qu’entraîne cet accord, puisqu’elle prévoit un fonds de compensation de 200 millions d’euros pour la reconversion des producteurs dans les pays ACP. Quant à ceux des RUP, la compensation doit être discutée. Élie Hoarau propose qu’elle soit inscrite dans le prochain POSEI, un programme européen qui permet des aides directes aux producteurs des RUP. Le débat est posé. Si le principe de la discrimination positive au profit des îles de l’Outre-mer est inscrit dans l’article 349 du Traité de Lisbonne, le faire vivre est un combat au sein d’une Europe à 27 États.
Élie Hoarau souligne en effet que l’idée d’une compensation ne suscite pas une adhésion unanime. Des députés de plusieurs pays ne comprennent pas pourquoi l’Europe accorde un traitement spécifique aux Outre-mers.
Quant aux multinationales qui ont réussi à faire céder l’Europe, elles s’opposent également aux compensations.


Prochaine étape : de 114 euros à 78 euros par tonne

La "guerre de la banane" n’est pas finie puisque l’Europe a convenu d’une nouvelle baisse des droits de douane des bananes importées. Des négociations viennent d’aboutir avec trois pays du Groupe andins : le Pérou, l’Équateur et la Colombie. Elles prévoient une nouvelle diminution de la taxe douanière : de 114 euros à 78 euros par tonne de banane importée.
Cet accord doit être signé par la Commission européenne et validé par le Parlement.
Il ne fait guère de doute qu’un alignement à 78 euros sera demandé par les pays producteurs qui paient aujourd’hui 114 euros par tonne exportée vers l’Europe. Cela relancera donc la guerre de la banane, et accélérera la disparition des producteurs en Europe et dans les pays ACP.


Pour une étude d’impact systématique

Élie Hoarau souligne que l’une des priorités, c’est qu’aucun accord ne puisse être signé avant la publication des résultats d’une étude sur l’impact des nouvelles règles résultantes de l’accord.
C’est ce qui est plaidé pour l’accord négocié entre l’Europe et le Groupe andin. Car si l’Europe a un bénéfice lors de la signature de ce genre d’accord, ce gain doit être mis en balance avec les conséquences dramatiques provoquées par la ruine de dizaines de milliers de planteurs dans des pays en voie de développement.


Des accords contre le développement

Younous Omarjee note une contradiction entre les Accords de Cotonou signés par l’Europe et les pays ACP, et les accords commerciaux appliquant les directives de l’OMC.
Les Accords de Cotonou ont pour « objet essentiel la mise en œuvre du développement dans les pays ACP », mais un accord comme celui signé sur le commerce de la banane, est dévastateur pour les pays ACP. Cela va à l’opposé du développement.

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