Manifestation contre le racisme

Leçon de dignité

28 septembre 2005

Ibrahim David Dindar, président de l’UCL (Union centriste et libérale) et vice-président du Conseil général de La Réunion, a été pris à partie hier-matin dans le hall du Conseil général à Saint-Denis par des manifestants. Pour arrêter les trafics supposés de paternité, il avait proposé que des tests ADN soient pratiqués sur les enfants nés de mère comorienne et de père réunionnais ou mahorais. Ibrahim Dindar a publiquement demandé pardon à ceux que ses propos auraient “heurtés” ou “blessés”.

"Jamais, je le jure, je n’ai voulu blesser ou offenser qui que ce soit. Je n’ai fait qu’émettre une proposition. Elle devait être mauvaise puisqu’elle vous a choqué. Je vous présente publiquement mes excuses. Je vous demande pardon". Debout sur une chaise dans le hall du Conseil général, Ibrahim Dindar fait face à quelque 200 manifestants. "C’est bon" lui répondent ces derniers. "Il a fallu lutter pour que ces excuses sortent de sa bouche, mais il a fini par les formuler", ajoute l’un des manifestants. C’est la fin d’une matinée de tension générée par les propos tenus par Ibrahim Dindar en fin de semaine dernière. Il avait proposé que des tests ADN soient pratiqués sur les enfants nés de mère comorienne à Mayotte ou à La Réunion afin de prouver leur paternité française et d’endiguer "les flux d’immigration clandestine". Ibrahim Dindar affirme en effet qu’il existe un trafic de paternité à La Réunion ou à Mayotte. Selon lui, des mères de familles comoriennes viennent accoucher dans l’une de ces 2 îles et demandent à des pères fictifs, Réunionnais ou Mahorais, de reconnaître leurs enfants qui sont ainsi Français par droit du sol et droit du sang.
À La Réunion, terre de métissage et d’accueil, ces déclarations ont immédiatement soulevé un très vif émoi. Au sein des communautés mahoraise et comorienne bien-sûr, mais également chez bon nombre de Réunionnais. D’où l’appel à manifester lancé pour ce mardi matin par plusieurs associations comoriennes, mahoraises, de défense des droits de l’Homme et de lutte contre le racisme et la xénophobie. 200 personnes, de toutes origines, y ont répondu. Il y avait des personnalités et des anonymes, certains avec des gants et des seringues. "Nous allons dire à M. Dindar que nous sommes d’accord pour qu’on nous fasse des tests ADN, mais nous voulons lui en faire un à lui aussi pour savoir s’il a du sang de Le Pen dans les veines", ironisait le danseur Ismaël Aboudou.
"Que pour masquer leurs responsabilités, des hommes politiques stigmatisent une frange de la population réunionnaise pour lui faire porter le poids du manque de logements sociaux ou d’emploi, n’est pas acceptable. C’est du racisme à l’état pur, c’est intolérable", soulignait la sénatrice communiste Gélita Hoarau, présente à la manifestation. "À La Réunion, nous avons tous été des étrangers. Tenir de tels propos est effrayant. C’est une insulte à notre peuple et à notre histoire. Ce n’est pas un dérapage de langage, c’est beaucoup plus profond que cela", commentait Sudel Fuma, conseiller municipal de l’opposition à Saint-Denis. "Protester contre ce genre de comportements et de déclarations est un devoir citoyen, car cela peut donner lieu à toutes les dérives. Il faut tout de suite arrêter la spirale infernale", notait pour sa part Élie Hoarau, secrétaire général du Parti communiste réunionnais. "Les paroles d’Ibrahim Dindar sont blessantes. Pour ma part, je me sens à la fois Français, Réunionnais et Comorien, c’est pour cela que je ne peux pas accepter les propos de M. Dindar, pour moi c’est du racisme", affirmait Mulot Verkis, membre de l’association Pass’Port au Port.

Bousculade

Aux cris de "Dindar démission", "Dindar raciste", les manifestants se sont dirigés du Jardin de l’État au Conseil général. Ils ont demandé à rencontrer Ibrahim Dindar. Ce dernier était absent, mais il faisait prévenir qu’il arrivait. "Nous attendrons jusqu’à minuit s’il le faut", lançait un manifestant. Puis la foule se mettait à réciter des versets du Coran. "Ce sont des prières que l’on dit dans les veillées mortuaires, car ce qu’a dit Ibrahim Dindar c’est la mort de la démocratie", expliquait un jeune homme.
Le vice-président du Conseil général arrivait quelques instants plus tard. La bousculade était immédiate. Les invectives "raciste" ou encore "Le Pen" fusaient dans la foule. Ibrahim Dindar disait à Saïd Larifou et Samuel Mouen, 2 des organisateurs, qu’il était prêt à rencontrer une délégation. "Non, vous vous êtes adressé à tout le monde lorsque vous avez demandé les tests ADN, c’est devant tout le monde que vous devez vous expliquer", répliquaient les manifestants. "Je ne peux pas discuter dans ces conditions, c’est un lynchage", lâchait alors Ibrahim Dindar, visiblement énervé avant de tenter de forcer le barrage de la foule.
Une brève bousculade s’en suivra. Protégé par les organisateurs, l’élu finira par sortir de la foule, la chemise déchirée par des manifestants qui voulaient le retenir dans le hall.
Les esprits se sont ensuite calmés et une délégation a finalement rencontré Ibrahim Dindar dans une salle de réunion. Passées les premières minutes de tension, la discussion a pu s’engager. "Vous êtes bien placé pour savoir que dans la religion musulmane, les valeurs de fraternité sont très fortes. Les propos que vous avez tenus sont insultants et injustes, et si nous laissons couler l’injustice lorsqu’elle vient de la rue, nous ne pouvons l’accepter d’un élu de la République. Nous sommes là pour vous demander de vous expliquer sur les tests ADN que vous proposez, car nous ne savons pas ce que vous êtes capable de réclamer demain", disait Mohamed Maoihibou, président de la Maison de Mayotte. "Je ne suis pas raciste. Je voulais seulement lutter contre l’immigration clandestine pour ne pas ajouter la misère comorienne à la misère de La Réunion ou de Mayotte et accentuer ainsi les comportements vexatoires envers les gens de vos communautés", disait Ibrahim Dindar. "Si la proposition de tests ADN vous a choqué, c’est sans doute qu’elle n’est pas bonne, mais pour moi, c’était un moyen de lutter contre le trafic de paternité, ce n’était pas du racisme", ajoutait-il.
Après plus d’une heure de discussion, Ibrahim Dindar a finalement accepté de faire des excuses publiques à la communauté comorienne et mahoraise.


Ibrahim Dindar s’enfonce

Ibrahim Dindar a tenu à apporter des précisions sur ses précédentes déclarations concernant l’immigration comorienne. Il a expliqué qu’il demandait que l’on soumette à un test ADN tous les Mahorais qui délivrent des certificats de complaisance aux femmes anjouanaises venant accoucher à Mayotte, afin que leur progéniture bénéficie de la nationalité française. Il a qualifié ces hommes d’"escrocs".
Si c’est bien cela qu’il a voulu dire, une première question se pose : de quoi se mêle-t-il ? Au nom de quoi peut-il s’interférer dans un problème anjouano-mahorais ? De quel droit peut-il dire - et ce de manière assez péremptoire - aux Mahorais ce qu’il faut faire en la circonstance ? Il y a de sa part une grande dose d’arrogance qui, en elle-même, est déjà condamnable.
Ibrahim Dindar persiste et signe sur un point : il continue à jeter la vindicte sur la majorité des Mahorais en les considérant comme des escrocs actifs ou potentiels ou, comme il le dit des "vendeurs de nationalité".
Il n’en reste pas moins que dans ces premières déclarations, le vice-président ne s’en prenait pas seulement à des hommes accusés de complaisance : il mettait en cause les immigrés arrivant à Mayotte et à La Réunion. Il accusait ces derniers de venir peser sur le marché du logement social et de chercher à détruire la culture réunionnaise.
Dans les précisions qu’il a apportées avant-hier, Ibrahim Dindar n’a pas démenti avoir tenu un tel discours. Dont acte.

J. M.


Rectificatif

Dans notre édition d’hier, nous avons malheureusement laissé échapper une erreur en page 7, dans l’article intitulé “Le débat dérape”.
Dans la 5ème colonne, 2ème paragraphe, nos lecteurs ont pu lire "Si l’on suit le raisonnement d’Ibrahim David Ingar qui voudrait instituer des tests ADN...". L’auteur du raisonnement en question est bien-sûr Ibrahim Dindar, car il aurait fallu lire "Si l’on suit le raisonnement d’Ibrahim David Dindar qui voudrait instituer des tests ADN...". Toutes nos excuses pour cette “coquille”.


Propos de François Baroin

Réaction du Culte musulman de La Réunion

Voici un communiqué du Culte musulman de La Réunion, sous la signature de son vice-président Houssen Amode, concernant les déclarations de François Baroin sur la suppression du droit du sol en matière d’acquisition de la nationalité pour certaines régions outre-mer.

"Les déclarations de Monsieur le ministre François Baroin relatives à la suppression du droit du sol en matière d’acquisition de la nationalité pour certaines régions outre-mer ont trouvé un large écho à La Réunion concernée par une immigration sensible de populations originaires de Mayotte, des Comores et de Madagascar.
La polémique alimentée localement par les prises de position politiques, voire par des propos qui auront pu choquer, tels ceux relatifs à la proposition d’utilisation de tests ADN, est révélatrice de l’acuité du problème dans une île confrontée à de graves problèmes économiques et sociaux, et où la cohésion de la population reste fragile.
Cette réalité n’aurait-elle pas dû conduire tous ceux qui sont légitimement intervenus en raison de leurs fonctions et de leurs missions (ministres du gouvernement, élus politiques et autorités morales) à aborder la question avec retenue et sagesse ?
Il ne nous semble pas que la nécessaire recherche de solutions, qu’elles soient administratives ou de co-développement, puisse s’accomoder d’outrances ou de maladresses qui sont plus de nature à réveiller les mauvais instincts qu’à éveiller les consciences.
Les Réunionnais d’origines et de cultures diverses témoignent au quotidien de leur capacité de vivre ensemble. Leur formidable générosité n’est d’ailleurs plus à démontrer si l’on se réfère aux multiples actions caritatives diligentées dans la zone océan Indien et à leurs manifestations de solidarité à l’occasion de catastrophes naturelles comme le tsunami.
Stigmatiser et risquer ainsi de jeter en pâture des hommes et des femmes dont le seul crime serait de fuir la misère, et qui restent par ailleurs les moins biens lotis, nous apparaît ainsi inacceptable dans une société qui s’enorgueillit d’être religieuse, de respecter les valeurs républicaines et d’appartenir au pays des droits de l’Homme."


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