Souvenirs

Coupeur de cannes

9 mai 2007

J’avais 13 ans, j’habitais dans la cour de l’usine de la Rivière-du-Mât les Hauts, commune de Bras Panon. C’était en 1957. Nous étions une série de jeunes de 13 à 15 ans qui se réveillaient à 4 heures du matin pour être dans les champs de cannes de “Ti Bouk”.
Les champs de cannes se trouvaient dans un fond de ravine. Il fallait chevaucher les rochers avant d’y parvenir. Il y avait sur le pont de la Rivière-du-Mât deux ou trois pierres qui servaient à aiguiser nos sabres.
Nous pliions légèrement la canne de la main gauche et de la main droite nous coupions d’un coup sec au pied du bourgeon. La canne entre les mains, nous la nettoyions, nous enlevions les feuilles, nous coupions le cœur et nous la déposions propre. Ce travail se faisait de 5 heures du matin jusqu’à 2 ou 3 heures de l’après-midi. Ensuite, nous confectionnions des paquets de 20 à 50 kilos. Nous enjambions les rochers et nous la déposions sur le bord du chemin. Lorsque les quantités étaient suffisantes, nous chargions les charrettes bœufs ou les camions de 2 à 3 tonnes. Ils se dirigeaient ensuite à l’usine. Nous rentrions chez nous le soir vers 18 ou 20 heures.
A cette époque, il n’existait pas de gants. Tout le travail se faisait à mains nues. Que nous le voulions ou pas, nous avions les mains remplies de duvets coupants. Alors, c’est au repos que les douleurs apparaissaient. Nos familles s’occupaient de nous, en particulier nos mères ; pour diminuer notre douleur, nous brossions nos corps avec de la cendre.
Si, le matin, nous mangions notre riz chauffé avant de couper les cannes et le midi nous prenions notre déjeuner dans notre gamelle, le soir, nous nous rattrapions avec un bon repas. Puis, le sommeil vite arrivait pour pouvoir se voir réveiller de nouveau à 4 heures du matin.
Nous étions payés à la tonne de cannes coupées et chargées et c’est chaque semaine que nous recevions notre pécule, que nous gardions précieusement après avoir remis une bonne partie à nos mères.
Ainsi, nos vacances scolaires étaient bien remplies. Il est évident que les coupeurs professionnels qui avaient plus de forces, plus d’habilité, plus de technique, plus d’endurance, coupaient beaucoup plus de tonnes que nous et gagnaient beaucoup plus d’argent. C’est vrai que, contrairement à nous, ils avaient une famille à faire vivre.
En 2007, la plupart des cannes sont coupées à la machine. Mais il reste encore des coins et des recoins où la machine est inaccessible. Pourquoi ne pas former nos jeunes Rmistes qui n’ont pas d’emploi pour aller aider les planteurs à couper les cannes ? Il n’y a pas de métier déshonorant. J’ai coupé les cannes étant écolier ; étudiant, cela m’a permis de comprendre mieux les planteurs de cannes et autres qui sont indispensables à la vie économique de notre pays.

Marc Kichenapanaïdou


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Messages

  • Un témoignage touchant, plein d’humilité et de dignité, à l’image des Réunionnais !
    Merci Marc pour vos mots qui nous racontent une partie importante notre histoire.

  • Je ne vois pas pourquoi on dit que les réunionnais sont touchants, nous ne sommes pas plus touchants que d autres, cette tendresse m exaspère et cache un racisme primaire. C’est le témoignage d’un homme qui a travaillé dans les champs de canne, point. Le témoignage est intéressant, l’homme est certainement touchant mais il n’y a pas de quoi parler de tous les réunionnais touchants. Ca m’énerve, comme les personnes qui parlent de l’Afrique si accueillante, si simple, et de ces gens si si si... Nous sommes tous pareils, il y a des bons, des mauvais, des tendres, des moins tendres, nous sommes tous humains et égaux en tous domaines humains !


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