Un patriarche de Villentroy Saint-Paul à ne pas oublier : Emilien Niflore

9 décembre 2008

Le registre de nos centenaires s’enrichit chaque jour. En 2005, La Réunion avait 56 centenaires, en 2008, elle en a 106. En 2001, nous avions rencontré, à Villentroy Saint-Paul, Emilien Niflore. Un an après, il nous quittait. Nous avons écrit les premiers mots qui inaugurent le 3ème Millénaire... le temps, quand il se comptabilise en de si longues périodes, élève ceux qui l’ont expérimenté en “Mémoire vivante”. Aujourd’hui où tous ceux qui nous entourent vouent un culte sans partage au zapping, afficher des tranches de vies aussi démesurées nous rétablit sûrement dans une humanité plus authentique, dans tous les cas, plus proche de notre culture ancestrale...

Emilien Niflore

Le 25 août 1901, la famille besogneuse des Niflore, de Villentroy de la Saline Saint-Paul, dont les seules richesses en ces temps de pénurie sont les enfants, et le plaisir de les faire pour répondre aux commandements divins. Ce jour-là, la dynastie accueille les premiers cris du petit Emilien. Il accompagnera sept filles et complétera une fratrie de trois garçons. Septième dans la lignée, dès l’âge d’être en capacité, comme tous les autres, il prend sa part au quotidien, approvisionnements qui font courir aux bois, aux herbes, aux charoyages de l’eau, toutes ces corvées qui remplissent le jour.

A 12 ans, comme ses autres frères et sœurs, il prend les habits pour rentrer à “l’habitation” comme on prend le voile ou le scapulaire quand on rentre au couvent. Si « l’habit fait le moine », ici c’est « la bertel et la pioche » qui sont les outils pour accabler l’angoissé de la canne à sucre qu’il sera devenu ; tant cette spéculation commande l’attention et les soins qui vampirisent et vident tous ceux qui s’y adonnent. Ce sont les gaulettes de terres (25 m2) de Madame Lefèvre, dont son père est le colon, qui vont être aux petits soins de tous ces dos courbés, tant qu’il fait jour. Cannes, maïs, haricots vont être les spéculations qui vont user leur “courage”.

Le travail dès quatre heures du matin

Les journées de travail de ces années-là commençaient très tôt, à quatre heures du matin. Elles réunissaient ces jardiniers du roseau de sucre, autour de la maman, dans la cuisine au feu de bois. Celle-ci s’affairait à “couler” le café, qu’elle embaumait avec une gousse de vanille.
Le café bu, chacun se chargeait de son garde-manger (gamelle). Ce roboratif était composé du traditionnel “gazon de maïs”, arrosé des grains cuits en “crème”. Les semences de ces haricots étaient le secret du père. Cette pitance ordinaire se transformait en gastronomie avec une queue de morue grillée ou frite dans la graisse (saindoux). Le tout était descendu dans des bouchées rougies du piment confit relevé aux gingembres.

Toute la journée, c’est au rythme des coups de pioches que les reins montent, descendent, l’activité devient la danse de la création, ce sera cette générosité qu’on cueillera à la récolte. Le soleil couchant mettra tout le monde sur les sentiers du retour à la case. Chemin faisant, il fallait ouvrir l’œil et ramasser brèdes “lastrons, morel”, cueillir les piments qui ont été semés dans les fientes des “martins”, d’où son nom « piments martin »...
L’arrivée dans la cour s’organisait hier comme encore aujourd’hui autour du rituel de la tasse à café pour “défatiguer”. Après s’être inquiété des dernières nouvelles de la santé de son petit monde, papa et tous ceux qui l’avaient accompagné reprenaient leurs tâches, non plus des champs ceux-là, mais domestiques, Emilien s’en était fait une spécialité, moudre le maïs :

- maïs cassé pour « manzé pour zanimo »

- maïs moulu fin pour « maïs do riz »

- maïs sosso pour « fé gato »

- maïs le son pour « manzé koson » et pour « fé gato » aussi.

Son père lui a construit sa maison

Chaque jour de la semaine ressemblait à l’autre. La fatigue des jours s’accumulait aux harassants travaux des champs et ainsi de suite... Le seul jour qui se distinguait des autres jours de la semaine, c’était le dimanche. Le jour du Seigneur, celui qui faisait descendre en ville, aller à la messe. Pour nos jeunes gens, c’étaient des moments appréciés car ils se conjuguaient avec la liberté. Pour Emilien, cette récréation dominicale avait le goût de la fête qui avait entouré sa communion solennelle et qui avait invité toutes les personnes que comptait Villentroy. Jusqu’à maintenant, la larme à l’œil montre l’intérêt qu’il garde pour cette époque. Il avait une très bonne mémoire et retenait bien son catéchisme. De Dieu, il répond toujours : « un seul Dieu en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit... ».

Ce goût de la liberté du dimanche le poursuivra jusqu’à 22 ans où son destin va basculer pour une jeune fille aussi besogneuse que lui, qu’il rencontrera aux champs. Acharné aux travaux, il avait rencontré son alter ego à l’ouvrage, ces habitués à l’effort vont unir leur destin. « Nou la fé de troi grimaces ensamb... Nou la èm a nou... ». Son père lui a construit sa maison. Pour ce grand jour, les mariés furent conduits à la cérémonie, en carriole, mariage civil à la mairie, le religieux en l’église de la Saline. Le retour vers “Cinq Heures”-Villentroy, en procession avec la musique en cuivre. Tous les voisins, solidairement, avaient participé pour faire de ce mariage une grande fête si réussie que la salle verte eut du mal à contenir tout le monde.

L’obstination qu’il a toujours démontrée dans ce qu’il a entrepris l’a conduit bien vite à acquérir une charrette avec les quelque quatre sous qu’il avait mis de côté. Travaux des champs et transports vont être les sources où Emilien étanchera les besoins essentiels de sa famille qui, avec les années, comptera 6 enfants, dont 5 garçons et une fille. Dans les bonnes années, il comptabilisera trois charrettes qui, toutes, livreront les cannes à l’usine de Vue-Belle. Aux périodes de l’inter-coupe, le malin qu’il était et qui avait su s’organiser pour subtiliser de la mélasse à l’établissement trafiquait dans les fonds de ravine pour distiller avec un « alambic pays », en douce, du « rhum marron » qui faisait le bonheur de « nos grands gosiers ».

Souvenir du cyclone de 1932

Né au début du 20ème siècle, il a grandi avec les évènements marquants de celui-ci :
A 14 ans, il fait l’expérience des pénuries de la sanglante guerre 14/18. Le temps du second confit mondial, il avait 6 enfants, c’est ce qui le retiendra ici. Il verra beaucoup de ses copains qui ont « sauté la mer » ne jamais retourner... Ils ont payé de leur vie la libération de la France...
Des cyclones, il en connut quelques-uns. De tous, il a un très mauvais souvenir de celui de 1932, qui a eu le malheur d’être accompagné d’un tremblement de terre. Sa famille fût endeuillée. A ses morts, il a fallu rajouter sa case et tous ses meubles, emportés par les eaux. Ces coups du sort anéantissent tous ses patients efforts, ruinant des trésors d’économies dont lui-même, encore aujourd’hui, se demande comment cela fût possible. Ah ! ainsi va la vie...
De ses 6 enfants, dont il a toujours été fier, 4 vont partager avec lui les joies de cet anniversaire, ils associeront leurs 30 enfants, ses 40 arrière-petits-enfants et ses 4 arrières arrière-petits-enfants, soit un total de 74 descendants... Il pensera beaucoup à sa femme avec qui il a vécu plus de soixante ans. Elle est partie à 80 ans.

Le 25 août 2001, il y a eu une messe anniversaire, célébrée par le Père René Payet à Villentroy, chez lui, devant une nombreuse assistance. C’est tout le village de Villentroy qui avait pris rendez-vous avec ses édiles et le G.R.A.H.TER pour rendre hommage à cet ancien. Le diplôme d’honneur du G.R.A.H.TER (Groupe de Recherches sur l’Archéologie et l’Histoire de la TErre Réunionnaise) lui a témoigné une reconnaissance pour le développement du quartier Villentroy. Un an après cette fête à laquelle il a participé pleinement, il nous a quittés. Le G.R.A.H.TER. a rempli son rôle de faire reconnaître la vie lontan à nos jeunes d’aujourd’hui et de demain, un exemple à suivre, un point de repère dans notre vie.

Marc Kichenapanaïdou


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