À propos des déclarations de Nicolas Sarkozy sur l’origine génétique de la pédophilie et du suicide des jeunes

La polémique qui gêne Sarkozy.D’après lui, « on naît pédophile », et aussi « le gène du suicide » existe...

16 avril 2007

La théorie sur le déterminisme génétique soutenue par le candidat UMP a provoqué une polémique dans les milieux politiques. Même l’Église y oppose la « liberté de l’Homme ».

Dans “Philosophie Magazine” daté d’avril, le candidat de l’UMP à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, avouait « penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas gérer cette pathologie ». Après les politiques, la communauté religieuse s’émeut de voir révéler le vrai visage de la pensée sarkozienne, recycleuse des thèses déterministes en vigueur aux États-Unis. Un « relent d’eugénisme ? », demandait un journaliste de RTL à l’archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois. « C’est évident », a répondu l’ecclésiastique, pour qui « l’Homme est libre ». L’homme d’église s’inscrit contre la doctrine déterministe : « ce qui me paraît plus grave, c’est l’idée que l’on ne peut pas changer le cours de l’existence (...), cela veut dire que l’Homme est conditionné absolument ».

Et le candidat à l’Élysée de poursuivre : « Il y a 1.200 ou 1.300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense ». Nicolas Sarkozy affirmant que les suicides d’adolescents et la pédophilie sont d’origine génétique ? Cela n’a rien d’un canular. Au contraire, il avait déjà tenté d’imposer, dans son avant-projet de loi sur la « prévention de la délinquance » (bel euphémisme pour une politique de répression), le principe d’une « détection précoce des troubles du comportement » chez les enfants de 3 ans « pouvant conduire à la délinquance ». Il a été appuyé en cela par le fameux rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Publié en 2005, celui-ci préconisait de rechercher chez l’enfant, dès l’âge de 3 ou 4 ans, les signes « prédictifs » d’une délinquance future. Parmi eux, la « froideur affective », « l’indocilité », « l’impulsivité », ou encore un « indice de moralité bas »... Face à la puissante mobilisation du collectif Pas de zéro de conduite, l’ex-ministre de l’Intérieur avait dû finalement renoncé à ce projet. Mais apparemment, il revient avec ses théories dangereuses.


« Un gène ne commande jamais un destin humain »

Le généticien Axel Kahn démonte les ressorts du déterminisme génétique, qui tente d’établir un lien direct entre les gènes et les comportements sociaux.

Axel Kahn est Directeur de l’Institut Cochin et l’auteur de “L’homme, ce roseau pensant...” Essai sur les racines de la nature humaine (1).

Comment le généticien accueille les propos de Nicolas Sarkozy sur le lien entre génétique, pédophilie et suicide ?
- Axel Kahn. La notion fondamentale à saisir est celle-ci : un gène ne commande jamais un destin humain. Il ne fait qu’intervenir dans un programme complexe auquel participent de nombreux autres gènes en interaction subtile avec un programme biologique qui définit la réactivité des êtres vivants à leur environnement. Pour l’Homme, son environnement psychologique, psychique, éducatif, etc...
Une fois pour toutes, il faut abandonner ces notions d’un gène du suicide, du crime, de l’agressivité ou de l’homosexualité. Ce qui n’est pas prétendre qu’il n’y aura aucun effet de la matérialité du cerveau dans la manière dont notre esprit réagit aux agressions du milieu. Cette variabilité correspond profondément à ce à quoi on doit se confronter quand on est en situation de responsabilité. Ce qui est terrible dans ce que j’appelle “la vieille obsession de la nouvelle droite”, c’est ce désir d’utiliser le déterminisme génétique comme un moyen efficace pour s’exonérer de ses responsabilités dans les désordres comportementaux. Lorsque l’on voit la violence, les agressions sexuelles, les suicides dans tels ou tels milieux socialement et économiquement défavorisés, il est confortable de dire que cela n’est que le résultat d’une caractéristique constitutionnelle et que cela ne doit rien aux anomalies du système que l’on contribue à mettre en place. Assumer ses responsabilités implique de prendre en compte la réalité de l’Homme, avec sa diversité. Des individus sont sans doute plus fragiles que d’autres, mais cette fragilité fait partie de l’éventail des comportements possibles.

Connaît-on la manière dont interagissent le patrimoine génétique et son environnement ?
- Il existe deux exemples très parlants. On a observé, il y a une quinzaine d’années, dans une famille néerlandaise une coïncidence entre la mutation d’un gène (le gène MAO-A) porté uniquement par les garçons, et le fait que ces garçons étaient souvent des adultes délinquants, notamment sexuels. Aucun lien statistiquement significatif n’a été relevé entre les deux formes du gène et l’évolution vers la délinquance. Jusqu’au jour où on a pris en compte un troisième paramètre : la maltraitance infantile. On s’est rendu compte que chez les enfants maltraités qui ont hérité d’une forme du gène à faible activité, la fréquence d’une dérive vers la délinquance est jusqu’à 5 fois plus importante que chez les autres enfants. Le gène MAO-A n’est donc pas un déterminant de la délinquance, mais de la fragilité à l’agression de l’intégrité psychique de l’individu lors de l’enfance.
L’autre exemple concerne un gène qui code un recapteur de la sérotonine, essentiel à l’activité cérébrale. Dans la population, rien de statistiquement significatif n’apparaît entre la forme du gène et la dépression. En revanche, des individus qui ont connu des évènements graves, comme la mort d’un proche, et qui portent l’une des formes de ce gène, ont un risque accru de rentrer en dépression, jusqu’au suicide. Néanmoins, la forme de ce gène, en dehors de ces malheurs de la vie, est sans importance.

Pourquoi le débat sur le déterminisme génétique n’est-il pas clos ?
- Depuis plus d’un siècle, sans discontinuité, on exhibe des résultats scientifiques venant à l’appui de préjugés idéologiques. C’est la définition du philosophe Georges Canguilhem de l’idéologie scientifique : un préjugé qui se drape dans les oripeaux de science établie pour renforcer sa force de conviction. Dans “Nature et Science”, les deux plus grands journaux de biologie, 80% à 90% des commentaires des articles montrent que leurs auteurs relèvent de préjugés sociobiologiques (la sociobiologie vise à démontrer l’origine biologique du comportement social - NDLR). Or, le plus souvent, l’élément génétique est très faible par rapport à l’élément social et émotionnel.

“L’homme, ce roseau pensant...” Essai sur les racines de la nature humaine. Éditions Nil, 2007. 333 pages, 20 euros.

Entretien réalisé par Vincent Defait (L’Humanité).

Sur le site du Nouvel Obs, Axel Kahn répondait aux questions des internautes :
« De manière fort explicite, Nicolas Sarkozy endosse des thèses qui sont historiquement celles de la droite anglaise, puis américaine, depuis la fin du 19ème siècle. Dans le monde entier, au début du 20ème siècle, ces conceptions prédominèrent et constituèrent le soubassement des politiques eugénistes, jusqu’à leur barbare expression nazie. N.S. confirme par conséquent son affiliation culturelle et idéologique ».


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