Philosophie : Les rencontres de Bellepierre
Les conditions du “vivre ensemble”
17 janvier 2007
Les rencontres de Bellepierre constituent un cycle de 9 rencontres dont le thème est : “Le politique, regards croisés”. Ces séances gratuites se déroulent dans le lycée de Bellepierre. La première séance a eu lieu le samedi 9 décembre. Arnaud Sabatier, professeur de philosophie dans l’établissement d’accueil exposait : “Penser : est-ce ne rien faire ? Présentation de la philosophie politique d’Hannah Arendt”. La prochaine session est prévue pour le samedi 27 janvier. Elle sera présentée par Attila Cheyssial, sociologue et urbaniste. Le thème exact sera : “Construire et aménager sont-ils des actes politiques : illustration par l’exemple”. Pour avoir plus de détails sur les séances, voir http://lesrencontresdebellepierre.blog.fr/
Pour le centenaire de la naissance de Hannah Arendt, Arnaud Sabatier, professeur de philosophie au lycée de Bellepierre, s’est interrogé sur les rapports entre pensée et action chez cette intellectuelle allemande. Inclassable, cette grande philosophe allemande, très vite déchue da sa nationalité par le régime nazi parce qu’elle est juive, reproche aux philosophes de ne pas se confronter aux événements. Sa critique porte d’autant plus qu’elle n’a cessé, tout au long de ses œuvres, de confronter sa réflexion à l’épreuve du réel.
Afin de baliser sa présentation, Arnaud Sabatier propose d’étudier d’abord la réflexion de l’auteur sur le totalitarisme, puis de présenter les conditions du vivre ensemble, telle que cette intellectuelle allemande l’a pensé. Pour cela, il cite un de ses livres les plus célèbres : “Les origines du totalitarisme”. Pour Arendt, une des caractéristiques du phénomène totalitaire, c’est qu’on ne peut ni le punir, ni le pardonner. On est devant un mal radical où des personnes tâchent de détruire l’Homme en l’Homme. Pour cela, le régime a besoin de parfaits bureaucrates. Ceux-ci sont recrutés dans la classe des “hommes de masse”. Pour la philosophe, la première caractéristique de cet “homme de masse”, c’est le désintérêt, celui qui n’a pas de relation à autrui. La seule chose qui reste à ces hommes, c’est l’intelligence. Ces hommes ne désirent plus, mais gèrent, et on peut se rappeler, ici, de “La mort est mon métier” de Robert Merle.
Cette entreprise de déshumanisation passe par 3 étapes. Tout d’abord, il faut tuer l’homme juridique, en dénationalisant les Juifs par exemple. Puis, il faut rendre impossible le jugement moral. Il s’agit d’effacer la frontière entre bourreau et victime. Enfin, il y a la destruction de la personne psychique. Les personnes, dans les camps de concentration, prennent des gestes mécanisés, leurs réflexes sont annihilés.
Puis, Arnaud Sabatier a rappelé la couverture par Hannah Arendt du procès Eichmann à Jérusalem. Ce dernier a été un bourreau à grande échelle du système nazi. Pourtant, l’intellectuelle a mis en évidence la banalité du mal qu’elle a découverte en lui. En effet, cet homme n’a rien du monstre sadique qu’on attend. Il est « affreusement » normal. Il y a juste, chez lui, un manque de pensée, de profondeur. D’ailleurs, ce bourreau le dira lui-même, il ne connaît qu’une langue : le langage administratif.
Devant cette érosion de la pluralité qu’entraîne tout totalitarisme, Hannah Arendt propose des règles pour vivre ensemble. Pour cela, elle rappelle « la condition de l’Homme moderne » pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages les plus célèbres. Elle indique qu’il n’y a pas de nature humaine. Pour la philosophe, il n’y a que des conditions, et elle en voit 5. Tout d’abord, il y a la vie. La seconde condition est la naissance. Puis, il y a la mort.
Les 2 dernières conditions nous occuperont un peu plus. En effet, la 4ème réside dans la pluralité. Ce n’est pas l’Homme, mais les hommes qui peuplent l’univers. En outre, c’est le pluriel qui fonde le singulier. Cependant, elle constate que la liberté a quitté l’espace politique pour aller dans l’individuel. La philosophe appelle alors à porter une attention régulière au respect de la pluralité. Pour « vivre ensemble », il ne faut pas viser la cacophonie, ni l’unisson, mais la polyphonie. Pour Arnaud Sabatier, interprétant ce point de vue, il lui semble qu’on a réalisé l’exploit de concilier l’unisson et la cacophonie.
Enfin, l’appartenance au monde constitue la dernière condition. Il faut des lieux pour “vivre ensemble”. Il faut plus d’espace public. Là aussi, la philosophe revient avec force sur ce point.
Alors, en conclusion, l’auteur indique que, s’il faut se méfier de ses pensées, il s’agit également de les entretenir car « devenir, c’est commencer ». Or, le petit rien d’une nouvelle réflexion garantit la liberté. En effet, la pensée ouvre sur tout. Enfin, en recommandation terminale, l’auteur nous invite à en faire un peu moins, et donc à réfléchir un peu plus pour mieux agir.
Le débat qui s’est prolongé pendant presque 1 heure montre que la trentaine de personnes présentes était en demande de dialogue avec un professionnel de l’exercice de pensée. Un tel succès encouragera certainement d’autres initiatives d’éducation populaire.
M. D.
Le programme
9/12/06 Philosophie et politique, A. SABATIER, professeur de philosophie ; « Penser est-ce ne rien faire ? Présentation de la philosophie politique de Hannah Arendt »
27/01/07 Architecture et politique, A. CHEYSSIAL, architecte et sociologue ; « Construire et aménager sont-ils des actes politiques : illustration par l’exemple »
17/02/07 Sociologie et politique, D. GAUVIN, professeur de sciences sociales ; « La place du politique en France : déclin des idéologies et montée de la “démocratie d’opinion” ».
3/03/07 Théâtre et politique, E. GENVRIN, directeur du Théâtre Vollard
31/03/07 L’entreprise et le politique, E. DUCROUX, professeur d’économie et gestion ; « L’entreprise doit-elle être citoyenne ? le peut-elle ? »
14/04/07 Introduction à la psychanalyse, C. PETIT, professeur de philosophie
21/04/07 Psychanalyse et politique, J.-F. REVERZY, psychanalyste et éditeur
12/05/07 Histoire et politique, J. HÉDO, professeur d’histoire ; « La République et l’histoire »
26/05/07 Journalisme et politique, M. RABOU, ancien rédacteur en chef du Quotidien ; « Presse et liberté à la Réunion : l’exemple du Quotidien »
09/06/07 Économie et politique, G. DUMOULIN, professeur d’économie ; « La mondialisation implique t-elle la fin des politiques économiques nationales ? »
23/06/07 Art et politique, Alain SÉRAPHINE, directeur de l’école supérieure des Beaux-Arts du Port ; "Pour un art impliqué".