New Horizons part demain

La sonde pour Pluton s’envole à minuit !

16 janvier 2006

C’est demain que doit être lancée la sonde New Horizons vers Pluton, la planète du système solaire actuellement la plus éloignée du soleil. Guy Pignolet, scientifique sainte-rosien bien connu des Réunionnais, nous a fait parvenir une tribune sur ce sujet. Nous la reproduisons ci-après avec des intertitres de “Témoignages”.

Écoute bien Gran Mer Kal, accroche-toi à ton balai ! C’est à minuit que la sonde pour Pluton prend son envol ! Et ce sera mardi soir, à 3.000 kilomètres au-dessus du Grand Brûlé !

Mais d’abord, mes excuses à tous ceux qui sont venus à la conférence de mercredi dernier ou qui en ont lu le compte-rendu dans les journaux, et à qui j’ai dit qu’il n’y aurait rien à voir, parce que ça se passerait en plein jour... Ça, c’est la faute à Windows, qui n’en est pas à un bug près. Je suis allé mardi dernier voir sur le site de Johns Hopkins, qui a la responsabilité technique du lancement de New Horizons (http://www.jhuapl.edu/), et je suis tombé en admiration devant le panneau du compte à rebours qui égrainait les secondes, tout juste s’il ne faisait pas tic-tac.
J’ai ajouté le temps affiché à l’heure qui passait, et je suis tombé au résultat sur un début d’après-midi en temps péi. Ce que je n’ai pas réalisé, c’est que par l’un des miracles foireux du plus grand virus informatique du monde qui sait si bien tout faire à la place de tout le monde, l’horloge du compte à rebours s’était calée sur l’heure locale de mon ordinateur, soit un tout petit écart de 9 heures par rapport aux valeurs vraies... Je m’en suis rendu compte en reprenant le dossier ce vendredi 13, et je vous fais toutes mes excuses. Notons en passant que le nombre 13 n’a aucune signification particulière dans la culture japonaise, mais c’est un autre sujet.

La destination la plus lointaine

Donc le zinzin, l’engin qui va être le plus rapide de toute l’histoire de l’astronautique, avec la destination la plus lointaine, va décoller ce mardi 17 janvier 2006 en début d’après-midi, à 13 heures et 24 minutes exactement si tout se passe bien, de Cap Canaveral, perché sur un moteur Star 48 modèle B, lui-même installé en haut d’un étage de propulsion Centaur, lui-même grimpé au sommet d’une belle fusée Atlas. En 4 minutes et 28 secondes, avec l’aide de 5 propulseurs d’appoint qui vont ajouter leur poussée pendant les 107 premières secondes du lancement, l’ensemble va s’élever au-dessus des couches denses de l’atmosphère, s’incliner vers l’Est, et commencer à prendre de la vitesse parallèlement à la surface de la Terre. 16 secondes plus tard, après le largage du premier étage qui va retomber dans l’Atlantique, le Centaur du deuxième étage va se mettre à pousser pendant 5 minutes et 22 secondes, pour accélérer l’ensemble jusqu’à la vitesse orbitale de 8 km/s avant de s’arrêter provisoirement pendant une vingtaine de minutes.

L’orbite de parking

Nous sommes en orbite autour de la Terre, tous feux éteints, sur une orbite inclinée qui s’inscrit déjà dans le plan de l’écliptique, celui dans lequel notre planète se déplace à 30 km/s dans sa course annuelle autour du Soleil, glissant sur cette orbite dite de parking, et remontant les fuseaux horaires, un fuseau toutes les 4 minutes, jusqu’à atteindre l’instant d’un dernier élan, qui commencera en principe 32 minutes et 23 secondes après le départ de Cap Canaveral. En principe, parce que l’important, c’est au bout de la poussée finale, de se retrouver en pleine vitesse pour quitter la Terre au moment d’un minuit local, à l’opposé de la direction du Soleil, de manière à partir tangentiellement à la trajectoire de notre planète autour du Soleil et à bénéficier pleinement de l’effet de fronde des fameux 30 km/s. Si jamais il y avait un petit retard au décollage de Cap Canaveral, pour des raisons météo ou autres, ce retard serait rattrapé en réduisant le temps passé sur l’orbite de parking, puisque la Terre, pendant ce temps, elle continue à tourner !

30 fois plus rapide que le Concorde

Donc nous voilà, ayant franchi l’Atlantique en quelques minutes, prêts pour le grand départ. Le Centaur va se rallumer et pousser pendant un peu moins de 10 minutes, avant d’être largué à son tour pour être relayé pendant 1 minute et demie par le propulseur Star 48 modèle B qui donnera l’impulsion finale. En 12 minutes, nous allons traverser l’Afrique, pendre de l’altitude et de la vitesse, pour nous retrouver, 44 minutes après le départ de la Floride, à quelque 3 ou 4.000 kilomètres au-dessus de l’océan Indien, au-dessus de La Réunion, avec une vitesse d’injection encore jamais atteinte depuis qu’a commencé la conquête spatiale, une vitesse de 18 km/s, soit environ 66.000 km/h, près de 30 fois plus rapide que le Concorde.

Jupiter dans 3 ans

Trois minutes de préparation finale pour vérifier que tout va bien à bord, et c’est là qu’interviendra la station de poursuite implantée sur le Piton Cascades, dit aussi Piton Rouge, à Sainte Rose, Île de La Réunion, sur la Planète Terre, avant la séparation d’avec le troisième étage désormais inerte, et l’envol en direction de Jupiter, à 23 heures et 11 minutes, heure locale de La Réunion, ce mardi 17 janvier 2006.
D’accord, Gran Mer Kal, ce n’est pas tout à fait minuit, mais il faut compter que pendant que la sonde s’éloigne, sa trajectoire, parabolique par rapport à la Terre, continue à s’incurver légèrement sous l’effet de l’attraction diminuante de notre planète. La vitesse de la sonde diminue aussi, un peu, mais il restera encore assez d’élan pour aller largement au-delà de Jupiter. À minuit, heure de La Réunion, la sonde aura déjà franchi l’orbite des satellites géostationnaires, fonçant alors pratiquement en ligne droite vers l’espace interplanétaire.
9 heures plus tard seulement, elle aura franchi l’orbite de la Lune, et se trouvera déjà pratiquement sur l’orbite elliptique, par rapport au Soleil, qui lui permettra de rejoindre Jupiter d’ici 3 ans. À quelques minutes de vol, elle sera suivie par l’enveloppe vide du troisième étage, qui l’accompagnera jusqu’à Jupiter avant de se perdre on ne sait où et de devenir une météorite quelconque mais "Made in Earth", tandis que les restes du Centaur suivront aussi, mais de beaucoup plus loin, pour aller se perdre au milieu des millions d’astéroïdes qui sillonnent notre système solaire.

Dans l’histoire de notre île

Quelques instants après la séparation, à la verticale de La Réunion, la sonde New Horizons et l’étage Star 48 B commenceront à être éclairés par les rayons du soleil qui affleureront sur l’Australie. Mais même si on lève les yeux, il n’est pas sûr que l’on puisse voir ces petits points briller sur le fond d’étoiles en se déplaçant doucement vers l’Est, car ils sont bien petits et ils seront déjà bien loin. Mais qui sait, avec de bons yeux ?

Et voilà Gran Mer Kal, ça te remonte ton balai ! Dans mon inconscient, je ne t’ai jamais considérée comme un être maléfique, et je t’ai raconté tout ça parce que je pense que mardi prochain, un peu avant minuit, New Horizons va te rejoindre dans l’histoire légendaire de notre île. Nous dirons merci à tous nos amis américains planétaires et solariens qui nous ont fait l’honneur que Piton Sainte-Rose soit la dernière station de service ouverte avant l’autoroute interplanétaire. Et puisqu’au moment où nous publions ces lignes la sonde n’est pas encore partie, je parlerai avec des mots empruntés à la grande tradition de nos amis japonais, pour que les mauvais esprits qui pourraient passer par là et entendre nos propos se désintéressent de la chose et ne nous fassent pas d’embêtements, en disant que New Horizons est finalement une cochonnerie de programme vraiment sacrément mal foutu.

Guy Pignolet,
Sainte Rose


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